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Rosa Luxemburg : la biographie

Publie le lundi 19 janvier 2004 par Open-Publishing
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ROSA
Luxemburg : la biographie




Rosa (Roza en polonais) Luxemburg naît le 5 mars 1871, d’une famille d’intellectuels
juifs non orthodoxes à Zamosc, une petite ville polonaise prés de Lublin. La
ville natale de Rosa est soumise depuis quelques décennies à la domination de
l’empire russe du tsar Nicolas II. Quelques années plus tard, la famille déménage à Varsovie
où Rosa, souffrant de la hanche est mal soignée : elle en portera une légère déformation
pendant toute sa vie. Ensuite, Rosa sera une des rares juives admises au lycée
pour filles de la ville ; elle fréquente des cercles juvéniles polonais qui s’opposent
au processus de "russification" dominant en cette période dans les écoles polonaises.
Diplômée avec de très bonnes notes, elle adhèrera ensuite au Parti socialiste
polonais. Après avoir réalisé un écrit ironique contre le Kaiser Guillaume 1er,
en visite officielle à Varsovie, elle est contrainte à quitter clandestinement
la Pologne.

Le 1er février 1889, elle est à Zürich où elle s’inscrit dans un premier temps à la
faculté de philosophie puis à celle de Sciences Politiques. Au cours des mêmes
années, commencent en Pologne les grandes grèves ouvrières qui vont contribuer à la
diffusion des idées socialistes et Rosa commence aussi sa bataille personnelle
contre le nationalisme polonais. Elle restera en fait toujours convaincue que
les travailleurs polonais ne peuvent trouver de possibilités concrètes d’émancipation
qu’en collaborant avec la classe ouvrière russe et plus généralement avec toutes
les classes subalternes des pays soumis à la domination du tsar.

A cause de ses conceptions, elle tombe bientôt en disgrâce à l’intérieur du mouvement
socialiste polonais où l’idée nationaliste domine. Elle reprend donc la lutte
sous un faux nom et devient l’inspiratrice du congrès de la social-démocratie
polonaise en 1894. En 1895, à Londres, durant le congrès international socialiste
sa ligne est battue et c’est la thèse selon laquelle l’autodétermination des
peuples doit précéder la lutte de classe qui prévaut. En d’autres termes, il
faut d’abord que, par la lutte unitaire des bourgeois, des ouvriers et des paysans,
les nations soumises à la domination de puissances étrangères deviennent indépendantes
et ce n’est qu’ ensuite que les ouvriers pourront se battre pour parvenir à leurs
revendications politiques et économiques.

En 1897, à 26 ans, elle obtient son diplôme avec les notes maximum et fait un "mariage
blanc" avec Gustav Lübeck, dans le but d’obtenir la nationalité allemande. Elle
s’installe ensuite à Berlin. Là, en mai 1898, elle adhère à la Social démocratie
allemande, collabore à différentes revues et participe aux Congrès de l’Internationale
Socialiste dans les principales capitales européennes en tant que déléguée polonaise
ou allemande. Entre-temps, elle divorce et vit avec Léo Jogiches, un jeune Juif
lithuanien qu’elle a connu à 20 ans en Suisse et auquel elle sera liée de 1892 à 1907.
En 1903, accusée d’outrage à l’empereur, elle est condamnée à trois mois de prison.

Entre temps, Rosa a été chargée de diriger le quotidien social démocrate de Leipzig
et était entrée dans une vive polémique avec Lénine (1870/1924) sur la conception
du Parti. En effet, Vladimir Ilijich Oulianov ( le vrai nom de Lénine) soutenait
la nécessité d’organiser des partis révolutionnaires de petites dimensions, composés
de militants de grande expérience et fortement motivés, en mesure de guider les
masses le moment venu. Rosa Luxembourg craignait au contraire qu’un parti composé uniquement
de révolutionnaires professionnels finisse par dégénérer en un organisme sectaire
et bureaucratique, séparé de la sensibilité et des intérêts réels des masses
populaires. En 1905, éclate soudain la révolution dans tout l’empire des tsars.
Rosa rentre immédiatement à Varsovie sous un faux nom mais est arrêtée avec Léo
Jogiches et emprisonnée par la police tsariste. Libérée sur caution, après deux
mois et demi de prison, elle fuit en Finlande. De là, elle revient ensuite en
Allemagne où l’attend un nouveau procès.

Dans cette période, se consomme aussi la rupture traumatique avec Léo Jogiches,
probablement à cause d’une trahison de ce dernier.

En 1907, elle est chargée d’enseigner l’économie politique à l’école centrale
du parti social démocrate allemand. Ses leçons seront ensuite recueillies après
sa mort dans l’ "Introduction à l’économie politique". Entre temps, elle élabore
et rédige ce qui est considéré comme son chef d’œuvre au niveau théorique, "L’accumulation
du capital", qui est publié en 1912.

Au centre de l’ouvrage, il y a l’idée que l’accumulation du capital ne se détermine
qu’en vertu des échanges inégaux que les pays capitalistes mettent en œuvre avec
les pays moins développés. Ce serait donc l’impérialisme, la domination politique
et l’exploitation économique des pays les plus pauvres qui détermineraient la
richesse des grandes puissances européennes. Mais Rosa Luxembourg soutient aussi
que le capital, qui a besoin pour se développer d’exploiter les pays du Tiers-monde,
c’est-à-dire d’agir dans un cadre non capitaliste, finira par épuiser plus tôt
ou plus tard ses possibilités d’expansion et donc par s’auto détruire ; En d’autres
termes, Rosa adapte la vieille prophétie de Karl Marx sur l’écroulement du capitalisme, à l’âge
de l’impérialisme dans lequel elle était en train de vivre.

En septembre 1913, dans un discours prés de Francfort, elle invite les soldats
allemands à refuser de combattre dans une guerre contre la France. Cela lui vaut
une condamnation à un an de prison qu’elle purgera à partir de février 1915.
Mais en réalité, la condamnation sera prolongée sous la forme de " garde protectrice
militaire" et Rosa restera en prison, bien qu’avec quelques interruptions, jusqu’en
novembre 1918.

Cela ne l’empêcha pas de continuer à écrire et à s’occuper de politique, en particulier
en suivant de manière critique les développements de la Révolution russe démarrée
par Lénine en octobre 1917. Rosa Luxembourg ne manquera pas de souligner les
risques d’involution autoritaire présents dans l’expérience soviétique et se
prononcera contre toute forme de terrorisme.

En 1918, l’Allemagne perd la guerre et après l’empire russe, s’écroule aussi
l’empire allemand. Selon le modèle soviétique, en Allemagne aussi éclate la révolution
et sont créés les soviets, c’est-à-dire les conseils des ouvriers et des soldats.
Entre temps, l’aile modérée du vieux parti social démocrate assume la responsabilité de
gouverner le pays. Rosa Luxembourg, libérée de prison, essaie de pousser son
vieux parti sur le chemin de la révolution mais la social démocratie officielle,
par crainte du chaos et d’une dictature bolchevique fait alliance avec l’état-major
de l’armée qui est encore la plus puissante force organisée présente en Allemagne
et s’apprête à mettre en œuvre une répression extrêmement dure.

A ce point, le mouvement ouvrier allemand se divise définitivement et en décembre
1918 est fondé le nouveau parti communiste d’Allemagne auquel adhère aussi le
Spartacus Bund, la ligue de Spartacus, l’association dirigée par Rosa Luxembourg
et Léo Jogiches. En janvier 1919, à la suite du limogeage du préfet de police
de Berlin - proche des communistes - par le gouvernement, les masses spartakistes
et communistes descendent dans la rue. Rosa ne réussit pas à empêcher les dirigeants
du parti de soutenir une révolte mal organisée et gérée encore pis, qui s’achève
par un échec sanglant. La police s’empare du siège du parti et plusieurs représentants
communistes sont arrêtés et fusillés. Rosa se sauve mais elle est arrêtée quelques
jours après, le 15 janvier, avec le secrétaire du parti Karl Liebknecht qui est
assassiné ensuite par les soldats. Rosa Luxembourg avait écrit dans son dernier
article, rédigé la veille de son arrestation et intitulé "L’ordre règne à Berlin" : "de
cette défaite fleurira la victoire future.

L’ordre règne à Berlin ! Assassins stupides ! Votre ordre est bâti sur le sable.
Déjà demain, la révolution se redressera et annoncera par un son de trompette,
en vous laissant profondément horrifiés : j’étais, je suis, je serai ! ". Dans
la nuit du 15 au 16 janvier 1919, durant son transfert en prison, Rosa est d’abord
frappée par la crosse d’un fusil puis achevée par un coup de revolver et jetée
dans un canal de Berlin. Le 17 janvier, Léo Jogiches communiquera l’évènement à Lénine
par une seule ligne : "Hier, Rosa et Karl ont rendu le dernier service à notre
cause".

Le 10 mars, il sera tué lui aussi. Le cadavre de Rosa Luxembourg ne sera repêché que
le 31 mai et sera enterré dans la ville même. Auparavant, pendant les mois où le
corps de la leader politique semblait avoir disparu, Bertolt Brecht avait écrit
l’épitaphe 1919 :

Aujourd’hui la Rose rouge vient de disparaître
Nul ne sait où elle est ensevelie
Et comme aux pauvres elle a dit la vérité
Les riches l’ont expédiée dans l’au-delà.



En 1926, dans le cimetière de Friedrichsfelde, sera inauguré le grand monument à Karl
Liebknecht, Rosa Luxembourg et Léo Jogiches, projeté par Walter Groppius. Il
sera ensuite rasé par les nazis et reconstruit au terme de la seconde guerre
mondiale.

Réformisme : prémisses au dépassement du capitalisme. Contre le révisionnisme
de Bernstein.

Quelques traits de la pensée de Rosa Luxembourg.


Militante de premier plan, de la social démocratie allemande et auteur d’écrits
théoriques ("L’accumulation du capital"), d’importance indubitable, Rosa Luxembourg
ne niait pas la validité du choix réformiste pourvu qu’il soit, contrairement à ce
que semblait soutenir Bernstein, la prémisse d’un bouleversement total du système
capitaliste. La critique de Rosa Luxembourg au réformisme apparaît inspirée par
la crainte que celui-ci puisse constituer le champ où l’action du mouvement ouvrier
finirait par s’épuiser.

En fait, c’est exactement ce choix qu’elle reproche à Bernstein et à ses partisans,
en l’accusant de "révisionnisme" et d’ "opportunisme", quand il a mis en discussion
le cours même de la société capitaliste et par conséquent le passage à l’ordre
socialiste. Rosa Luxembourg critiquait les thèses des réformistes car ceux-ci
refusaient de considérer inévitable l’écroulement du capitalisme. Elle voyait
dans ce refus un contre sens logique : si le capitalisme n’est pas destiné à s’écrouler,
quel sens cela a-t-il de parler de socialisme comme but "objectivement nécessaire" ?
Dans ce contexte, "objectivement nécessaire" signifie que, pour les révolutionnaires
comme Rosa Luxembourg, le capitalisme était miné par des "contradictions" internes
qui tôt ou tard l’amèneraient à l’autodestruction. Les "contradictions" étaient
les crises récurrentes du système capitaliste, la concurrence et l’anarchie économique
que Bernstein considérait dépassées.

Si on niait le caractère contradictoire du système capitaliste, soutenait Rosa
Luxembourg, on ne pouvait plus considérer, comme au contraire les considérait
Bernstein, la socialisation des moyens de production et le développement de la
conscience de classe comme deux facteurs de transformation de la société dans
le sens socialiste. La socialisation des moyens de production correspondait à l’implication
de plus en plus grande des différentes classes sociales dans la logique de la
production capitaliste et dans le caractère de plus en plus "anonyme" que le
capital était en train de prendre, tandis que le développement d’une conscience
de classe par le prolétariat était la conscience d’appartenir à une classe sociale
déterminée destinée à remplacer la classe capitaliste au pouvoir. Se posait ainsi,
selon l’avis de Rosa Luxembourg, un choix radical entre deux conclusions : ou
bien le capitalisme ne s’écroulera pas et alors le socialisme est une illusion,
ou bien le socialisme est l’issue historique du capitalisme et alors, l’opportunisme
des réformistes ne peut pas être soutenu comme instrument unique de transformation
de la société.

L’accusation formulée par Rosa Luxembourg aux réformistes était l’abandon de
l’idéal socialiste, de l’espoir d’édifier un jour une société basée sur la socialisation
des moyens de production, sur l’égalité substantielle des individus et sur une
juste répartition des richesses ; les réformistes comme Bernstein exhibaient au
contraire pour soutenir leur thèse, les améliorations effectives qui, dans une
période économiquement favorable, avaient permis d’élever le niveau te vie des
travailleurs. De plus, les réformistes fondaient leurs perspectives sur le fait
que les données sociologiques de cette période semblaient invalider un des fondements
de la théorie marxiste concernant la nécessité historique de l’avènement du socialisme, à savoir
l’augmentation de la masse des prolétaires.

A 85 ans de sa mort, nous commémorons Rosa Luxembourg

"Sans liberté..."

Pendant l’été 1918, la dirigeante spartakiste Rosa Luxembourg écrit en prison
un texte dont le titre est "La révolution russe", où elle entre en polémique
avec Lénine et Trotsky et où elle affirme en particulier, avec une pré connaissance
surprenante : "En étouffant la vie politique dans tous le pays, la vie des soviets
elle non plus ne pourra pas échapper à une paralysie de plus en plus étendue.
Sans des élections générales, sans une liberté de presse et de réunion illimitée,
sans la libre compétition des opinions dans toute institution publique, la vie
s’éteint, elle devienne apparence et le seul élément actif en elle reste la bureaucratie.

Peu à peu la vie publique s’endort, quelques douzaines de chefs de parti pourvus
d’une inépuisable énergie et animés par un idéalisme sans limite dirigent et
gouvernent : parmi ceux-ci le guide effectif est ensuite aux mains d’une douzaine
de têtes supérieures ; et une élite d’ouvriers est convoquée de temps à autre
pour applaudir les discours des chefs, pour voter à l’unanimité des résolutions
préfabriquées : au fond donc une suprématie de cliques, une dictature, certes ;
pas la dictature du prolétariat mais la dictature d’une poignée de politiciens,
c’est-à-dire dictature au sens bourgeois, au sens de la domination jacobine (le
renvoi des congrès des soviets de trois à six mois).

Dans une telle situation il est fatal que mûrisse un retour à la barbarie de
la vie publique : des attentats, des otages fusillés etc. C’est une loi objective,
toute-puissante, à la quelle personne ne peut se soustraire. (...) L’ erreur
fondamentale de la théorie de Lénine-Trotzky est précisément celle d’opposer,
exactement comme le fait Kautsky, la dictature et la démocratie. "Dictature ou
démocratie" : le problème est ainsi posé aussi bien auprès des bolchevistes que
de Kautsky.

Ce dernier naturellement opte pour la démocratie et précisément pour la démocratie
bourgeoise, étant donné qu’il la situe justement en fonction alternative à la
subversion socialiste. Lénine et Trotsky optent au contraire pour la dictature
en opposition à la démocratie et par conséquent pour la dictature d’une poignée
de personnes, c’est-à-dire pour la dictature conforme au modèle bourgeois. Il
s’agit de deux pôles opposés, tous les deux très éloignés de l’authentique politique
socialiste. (...) Qui s’attend encore de la part de Lénine et de ses camarades
qu’ils fassent surgir en de telles circonstances la plus belle des démocraties
prétendrait un ouvrage surhumain (...) Le danger survient quand ceux-ci veulent
faire de nécessité vertu, en arrêtant point par point une tactique qui leur a été imposée
par des conditions fatales et en recommandant au prolétariat international de
l’imiter comme modèle de tactique socialiste".

Rosa Luxemburg, La rivoluzione russa, La nuova sinistra Edizioni Samonà e Savelli,
1970

(traduit de l’italien par MC et GR)

18.01.2004
Collectif Bellaciao

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