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La longue marche du Forum social mondial

Publie le samedi 20 janvier 2007 par Open-Publishing

Kenya . Près de 150 000 personnes sont attendues demain à Nairobi pour la septième édition du grand rendez-vous altermondialiste. Retour sur un processus démarré à Porto Alegre en 2001.

de Camille Bauer Nairobi (Kenya), envoyée spéciale.

C’est un Forum social mondial traversé de questionnements qui ouvre, demain à Nairobi, sa septième édition. Alors que la capitale kényane s’apprête à accueillir près de 150 000 participants, dont 20 000 étrangers, pour partager leurs savoirs et leurs expériences de luttes, le débat sur le sens et l’avenir du processus lancé en 2001 dans la ville brésilienne de Porto Alegre fait rage. Au-delà des neuf thèmes de discussions définis par le comité d’organisation kényan, (« Libérer le monde de la domination des multinationales et du capital financier », « Garantir les droits humains, sociaux et culturels et particulièrement l’alimentation, la santé, l’éducation, le logement et un travail décent » ou encore « Lutter contre les discriminations »...), l’heure est aux bilans et aux questions de fonctionnement.

« La grande avancée dont on doit créditer les six

Forums sociaux mondiaux tenus à ce jour est d’avoir ancré dans la conscience col- lective le fait que le néolibéralisme n’est pas éternel et qu’il existe des alternatives à lui opposer », résumaient récemment dans le Monde diplomatique François Houtart et Samir Amin, économistes et piliers des FSM. Une évolution par rapport au blocage idéologique qui régnait à la fin des années quatre-vingt-dix, au moment du lancement du FSM, quand le libre-échange, la destruction de l’État-providence et la libre compétition sur les marchés étaient des valeurs incontestées.

En lançant le slogan « Un autre monde est possible », les Forums ont rouvert la possibilité d’une critique du système dominant. Ils ont permis « la reconstruction d’un référentiel commun de vision du monde et la prise de conscience des réalités du système qui régit le monde », constatait Gus Massiah, président du Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), dans un article de 2006 consacré au Forum de Karachi.

Au fil des ans, les FSM ont également élargi leur base sociale et géographique. En se délocalisant à Mumbai en 2005, le forum est sorti du tête-à-tête entre l’Europe et l’Amérique du Sud pour s’ouvrir à des cultures politiques différentes. Le rôle central qu’y a joué le mouvement d’émancipation des dalits lui a permis de s’ouvrir à des catégories sociales défavorisées, tout en prenant en compte le fait que les inégalités « ne sont pas seulement verticales entre le Nord et le Sud mais aussi horizontales, endogènes et traversent les sociétés et les États du Sud », comme le souligne le journaliste sénégalais Tidiane Kasse.

Nairobi s’est promis de relever ce défi de l’accroissement de la participation des classes populaires, notamment par le biais de la sensibilisation en amont des habitants des bidonvilles de la capitale.

Le questionnement sur l’efficacité des forums a néanmoins conduit certains participants à interpeller leur mode d’organisation. Refusant toute structure de commandement susceptible de réduire les débats à une ligne unique, les forums se veulent, comme lleur charte, « un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion ». Chacun doit pouvoir y décider en toute liberté des déclarations et des actions qu’il veut mener. Dans une réflexion inspirée par la chute du « socialisme réel », les FSM envisagent un mode d’action non vertical, fait de mises en commun des forces plus que d’injonctions.

Ce fonctionnement, qui implique l’impossibilité de faire des Forums le lieu d’élaboration d’un programme d’action global, a été remis en question notamment par la vingtaine de personnalités qui, sous le nom de Consensus de Porto Alegre, ont proposé en 2005 un « socle minimal » de douze revendications. Les mêmes suggèrent que, faute de générer des entités politiques capables de peser au niveau mondial, les FSM se condamnent à l’impuissance. Une proposition vivement combattue, notamment par une majorité d’intellectuels brésiliens qui craignent de voir se constituer une « avant-garde éclairée » décidant à la place des gens qu’elle est censée représenter, et risquant de s’aliéner une partie des militants. L’objectif n’est pas pour eux de publier un document final mais de générer une multitude de luttes nouvelles grâce aux convergences acquises lors des FSM.

Les mêmes s’opposent sur le rôle des partis politiques et sur la question de la prise du pouvoir. Inspirés par les limites de l’arrivée de Lula à la tête de l’État, certains estiment qu’il est plus important, pour faire aboutir les luttes, d’avoir des contre-pouvoirs forts. D’autres au contraire prônent une alliance avec les pouvoirs qui se positionnent comme anticapitalistes et anti-impérialistes et citent en exemple le président vénézuélien Hugo Chavez.

En réponse à ces interrogations, le FSM 2007 consacrera mercredi prochain une journée à l’élaboration d’alternatives politiques et de programmes d’actions. Une initiative pour apaiser les querelles mais qui ne devrait pas suffire à épuiser un débat qui engage l’ensemble des mouvements désireux de remettre le respect de l’homme au centre des prises de décisions.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2007-01-19/2007-01-19-844283