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Hugo Chávez - Les causes précèdent toujours les conséquences

Publie le dimanche 21 janvier 2007 par Open-Publishing

de Maurice Lemoine

Il est rare que la docte Assemblée générale des Nations unies éclate de rire. Mais Hugo Chávez réchaufferait une morgue, tout le monde le sait. Il faut préciser que la veille de ce jour mémorable du 19 septembre 2006, George W. Bush occupait la place du président vénézuélien devant ce gratin de la gouvernance (ou de l’ingouvernabilité) mondiale (chacun choisira sa version). Vingt-quatre heures ont passé. Chávez contemple l’assistance, prêt à se lancer avec délectation dans la bagarre. Et donc, il s’y lance, c’est son style à lui. « Hier le Diable est venu ici, dans ce même endroit. Ça sent encore le souffre sur ce pupitre d’où je parle maintenant », jette-t-il en se signant, puis en joignant les mains en signe de prière, levant les yeux au ciel pour en appeler à Dieu. D’où les rires, les applaudissements (et quelques grincements de dents). « Hier, Mesdames, Messieurs, depuis cette même tribune, Monsieur le président des États-Unis, que j’appelle le Diable, est venu, parlant comme s’il était le propriétaire du monde, le porte-parole de l’impérialisme venu délivrer son message de domination et d’exploitation. »

Évidemment, comme toujours, Chávez a agacé. Dans les jours qui suivront, on verra fleurir les commentaires sur son « anti-impérialisme histrionique », son « narcissisme léninisme », ses « gesticulations intercontinentales », etcetera, etcetera. Même ceux qui ne lui sont pas fondamentalement hostiles hocheront la tête, mi-amusés, mi-affligés. D’une façon générale, ce qui lui porte tort, c’est qu’il parle trop. Interrogé quelques jours plus tard par Time Magazine sur son discours au vitriol, le président vénézuélien s’en expliquera, posément cette fois : « Je n’attaque pas le président Bush. Simplement, je contre-attaque. Bush a attaqué le monde, et pas seulement avec des paroles. Avec des bombes ! Quand je prononce ces mots, je crois que je parle pour beaucoup de gens. Eux aussi croient le moment venu de stopper la menace de l’Empire US, qui utilise les Nations unies pour justifier ses agressions contre la moitié de la planète. »

Qu’on aime ou non Chávez, la thèse se défend. Évidemment, pas partout. Pour ses opposants, à Caracas, c’est tellement nul que c’en est comique (une fois de plus !). Mais eux n’ont pas envie de rire : le pays sombre dans l’anarchie et le président voyage beaucoup. Sans parler de ce qu’ils dénoncent depuis maintenant huit années : il menace la démocratie, gère mal l’économie du pays, dilapide l’argent du pétrole, provoque l’instabilité régionale.

Sur un point au moins, Chávez ne peut pas nier. Il ne laisse pas souvent l’avion présidentiel rouiller dans un hangar. En 2005, il a voyagé en Europe, on l’a même aperçu à Paris, chez Dominique de Villepin. À la fin juillet 2006, il a visité la Russie, la Biélorussie, le Qatar, l’Iran et le Vietnam. En août, il était en Chine, en Malaisie et en Angola. En Algérie, on ne sait plus quand, mais il y est allé. De même qu’au Mali et au Bénin. Sans parler, bien sûr, de tous ses séjours à Cuba... Chávez objecte qu’il ne court pas la planète pour le plaisir de vagabonder. Ces derniers temps, il cherche à faire en sorte que le Venezuela, en représentation de l’Amérique latine, occupe un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU en 2007 et 2008. Dans une période où le président George W. Bush passe son temps à mener des « guerres justes » au nom de sa nation et de la démocratie, la démarche n’est pas forcément inutile. Mais, pour ce faire, il faut au Venezuela des alliés car Washington lui oppose le Guatemala [1].

Washington, faut-il le préciser, n’aime pas Chávez. Assis sur son pétrole et sa « révolution bolivarienne », il veut passionnément instaurer un pouvoir fort et fier défiant le néolibéralisme et les États-Unis. Le 18 août 2006, John Negroponte, directeur de la communauté du renseignement américain, a annoncé la création d’une nouvelle mission spéciale de la Central Intelligence Agency (CIA) pour superviser les activités de cette dernière au Venezuela (et à Cuba).

Comme directeur exécutif de cette nouvelle division, il a désigné un vétéran de l’Agence, J. Patrick Maher. Celui-ci devra faire en sorte que les décideurs politiques puissent disposer d’une panoplie complète de renseignements récents et efficaces sur lesquels ils pourront s’appuyer pour prendre leurs décisions. Quelles décisions, on l’ignore, mais, connaissant l’Amérique latine, du Chili au Nicaragua, on peut plus ou moins deviner. La stratégie implique en tout cas un accroissement des agents de la CIA sur le terrain.

Par rapport à ce type d’annonce, Chávez et les siens professent une théorie qui peut plus ou moins s’exprimer ainsi : l’idée selon laquelle la brute ne va pas venir s’en prendre à toi si tu baisses humblement la tête lorsqu’elle s’approche est complètement fausse, comme le savent tous les gamins dans les cours de récréation.

Les causes précèdent toujours les conséquences. Hugo Rafael Chávez Frías est devenu « Chávez » parce que, dans un Venezuela cinquième producteur mondial de pétrole, il a été un gosse si pauvre que ses parents durent l’envoyer vivre chez sa grand-mère. En ce temps-là - dans les années 1960, puis 1970 -, le pays vivait sous la coupe d’une classe politique corrompue jusqu’à la moelle, adepte de la kleptocratie. L’instinct de possession était fort chez ses membres et leurs affidés, le monde leur avait apporté richesse et succès, ils voulaient le garder en l’état. Un Venezuela transformé en méga centre commercial de produits importés pour une minorité.

Le jeune Hugo devint militaire en 1971 (nul n’est parfait). Encore que l’Amérique latine ait croisé, au long de son histoire tumultueuse, un certain nombre d’officiers progressistes : l’équatorien José Torres, le péruvien Velasco Alvarado, le panaméen Omar Torrijos, pour ne citer qu’eux. L’Europe elle-même n’étant pas en reste avec, par exemple, au Portugal, ceux qui menèrent la « révolution des œillets ». Comme quoi les idées toutes faites méritent à l’occasion d’être interrogées (même si une exception demeure une exception). D’autant que Chávez n’a pas pour modèles le chilien Augusto Pinochet, le paraguayen Gustavo Stroessner ou le nicaraguayen Anastasio Somoza, tous dictateurs de haute volée, mais trois Vénézuéliens dignes d’intérêt : Simón Bolivar (le libertador), Simón Rodríguez (le précepteur du premier), et Ezequiel Zamora (le général du peuple souverain), dont le mot d’ordre demeure d’actualité : « Terres et hommes libres, élection populaire, horreur de l’oligarchie. » Il s’agit là d’un bref rappel, tout cela est largement documenté.

Avec de pareils inspirateurs, qui pourrait s’étonner que, le 17 décembre 1982, en compagnie de trois autres officiers révolutionnaires, le jeune capitaine ait fait un serment, répétant les paroles de Bolivar, à Rome, en 1805 : « Je jure devant vous, je jure par le Dieu de mes pères, que je ne laisserai aucun repos à mon bras ni repos à mon âme jusqu’à voir rompues les chaînes qui nous oppriment. » Regard sombre, optimisme obstiné, grande confiance en soi, ardeur passionnée à vous convaincre : Chávez fait rapidement des émules. À tous les échelons, de nombreux militaires de carrière n’ont pour la IVe République que colère et mépris.

Les causes précèdent toujours les conséquences. On reproche beaucoup à Chávez d’avoir, en 1992, mené une tentative de coup d’État. L’image d’officier putschiste lui colle encore à la peau. On évoque moins la tragédie du « caracazo » survenue trois années auparavant. Tous de mèche, le président Carlos Andrés Pérez, les vagabonds du gouvernement et le Fonds monétaire international imposent alors au pays un dévastateur ajustement structurel. Frappée au cœur et à l’estomac, la population de Caracas se révolte, le 27 février 1989. Violence, incendies, mises à sac, la faim justifie les moyens. En réponse, la démocratie crache le feu. Oh, elle ne voulait tuer personne, uniquement semer la terreur. Résultat : plus ou moins trois mille morts !

Le pourcentage des Vénézuéliens vivant dans la pauvreté va bondir de 43,90 % à 66,50 % en un an. Mais toute action implique une réaction comme toute dictature, quelle que soit sa forme, matérialise une opposition. Déchiré, Chávez a grondé, au moment du « caracazo » : « Les armes des soldats, les tanks des soldats, les avions des soldats, de terre, d’air ou de mer, jamais, jamais plus sur cette terre de Bolivar ne doivent viser, comme en ce jour maudit ils l’ont fait, la poitrine douloureuse du peuple. Jamais ! Nunca jamás, hermanos. Jamais plus ! » Alors oui, le 4 février 1992, alors que - tout un symbole - le président Carlos Andrés Pérez rentre du Forum de Davos, le lieutenant-colonel de parachutistes Hugo Chávez, à la tête de militaires qui entendent épouser la cause populaire, tente de le renverser. Que ceux qui veulent lui jeter la première pierre la jettent. Le peuple vénézuélien ne l’a pas fait.

Les causes précèdent toujours les conséquences. C’est bel et bien ce coup de force qui, à l’époque, fait de Chávez l’homme le plus populaire du pays. Certes, il a échoué. Ce n’était pas nécessairement non plus le moment décisif. Condamné, emprisonné, puis amnistié deux ans plus tard par le président Rafael Caldera, l’ex-lieutenant-colonel se lance dans la politique - la continuation de la guerre par d’autres moyens. Irradiant, porté par un formidable instinct, il conquiert les foules. Par la faute de ses pitoyables meneurs, le pouvoir prend l’eau. Jusqu’au raz de marée électoral qui, en 1998, le fait couler définitivement.

De taille moyenne, le corps massif, les attaches épaisses, solidement accroché au sol, voilà Hugo Chávez président. Au Venezuela, l’opposition sonne le tocsin. À l’étranger, on l’observe l’homme avec circonspection. Bien peu se hasarderaient à la considérer « de gauche ». Détruire le monde ancien et, sur ses ruines, en édifier un nouveau, c’est là une très vieille idée. Jamais encore elle n’a donné les résultats qu’on attendait. Chávez ne désire-t-il pas simplement briser les chaînes d’une tradition autocratique pour profiter à son tour des avantages du pouvoir ? Dans le meilleur des cas, on estime que sa place se trouve au cabinet des curiosités.

Qu’il fasse approuver une nouvelle Constitution - « bolivarienne » - par référendum n’émeut pas grand monde. Qu’il transforme la République du Venezuela en République « bolivarienne » du Venezuela laisse rêveur. Bolivar... Pourquoi pas Jésus-Christ ? On s’esclaffe poliment. La seule chose qu’on retient de sa gestion, c’est Alo Presidente ! Un marathon télévisé dominical, qui dure parfois plus de six heures, style « le Président est à son poste de combat ». Chávez a un langage toujours direct, parfois brutal, d’une verdeur de corps de garde. C’est aussi un excellent comédien. Il interpelle ses ministres en direct. Même dans les moments difficiles, il a le talent de donner à chacun l’impression qu’il est son préféré. Sauf quand il les réprimande vertement, insatisfait de leurs résultats.

Face aux caméras, il rit, il chante, il plaisante, mais, plus que tout, il explique, il détaille les mesures prises par la révolution, il commente la situation du pays. On ne retient de la performance que les rires, les chansons et les plaisanteries. Les opposants s’étranglent, accusant le chef de l’État de démagogie. Lui, tient le peuple en haleine, car, sous ses allures fantaisistes, il fait de la pédagogie. D’ailleurs, lors d’un discours tenu face à la foule réunie devant le Palais présidentiel de Miraflores, pour les cent premiers jours de son gouvernement, le 13 mai 1999, il s’en était expliqué : « Mon message n’est pas destiné aux érudits. Mes paroles, plates et simples vous sont destinées amis, amies. Je veux arriver jusqu’à vous avec mes paroles, arriver à l’homme du commun, à la femme du commun, au jeune du commun, pour qu’ensemble nous analysions et réfléchissions réellement. »

Les causes précèdent toujours les conséquences. Chez Chávez, l’action suit immédiatement la pensée. En novembre 2001, il annonce un sérieux train de réformes... Loi des terres, loi de la pêche, loi sur les hydrocarbures... Des gens de tout type, de préférence le plus mauvais, commencent à sérieusement s’agiter. Personne n’a jamais demandé cela, ce populiste divise le pays. Alors qu’ils vivaient jusque-là en totale harmonie, il dresse les Noirs contre les Blancs, les pauvres contre les riches, les imbéciles contre les gens intelligents...

Les causes précèdent toujours les conséquences. À quoi peut mener une politique qui refuse le capitalisme sauvage ? Qui souhaite un monde multipolaire plutôt que la domination des seuls États-Unis sur l’ensemble de la planète ? Qui refuse d’impliquer le Venezuela dans le plan Colombie, destiné par Bogotá et Washington à en terminer avec les guérillas de ce pays ? Qui sort Cuba de son isolement en lui fournissant du pétrole à un prix inférieur à celui du marché ? Qui veut redistribuer la terre aux paysans pauvres ? Qui crée des « cercles bolivariens » permettant à la population de s’impliquer directement dans la « démocratie participative » ? Qui s’attache à reprendre le contrôle de la compagnie pétrolière nationale - PDVSA - et interdit qu’elle soit privatisée ?

Alors même que, le 27 mars 2001, le général Peter Pace, alors chef du Southern Command (le commandement Sud de l’armée des États-Unis), dans une déclaration devant le Congrès américain, a estimé que dans le schéma de pouvoir global, qui inclut le contrôle du pétrole, l’Amérique latine et la Caraïbe ont plus d’importance pour les États-Unis que le Proche-Orient. Oui, à quoi peut mener une telle politique ? En Amérique latine, pour conserver des situations acquises - « Over and over and over again... Oui, toujours plus » -, les privilégiés, main dans la main avec leurs protecteurs du Nord, ont toujours tendance à formuler la même réponse : un coup d’État. On ne s’étendra pas ici sur celui du 11 avril 2002, défini par Chávez comme « le macro coup d’État de l’autre Venezuela, celui de l’argent-roi, qui entend tout acheter avec des billets de banque ».

Il s’est soldé par un échec fracassant, contré par une fantastique mobilisation populaire et l’action décidée des militaires loyaux. Pas plus qu’on ne reviendra sur toutes les conjurations naïves ou machiavéliques, les groupes dits secrets, les jours anxieux et les nuits sans sommeil, qui ont accompagné la déstabilisation économique de décembre 2002 - janvier 2003. Sinon pour dire que, après l’avoir pareillement déroutée, le peuple, massé derrière son président, a pris conscience de sa force et de son efficacité.

Les causes précèdent toujours les conséquences. Désormais, les marches de l’opposition attirent tellement peu de monde qu’on dirait des groupes de touristes. Les signaux témoignant de l’effondrement des lois de leur politique et du cadre théorique en vigueur se multiplient. Tout un monde s’écroule, et s’effondrera encore plus quand, le 15 août 2004, Chávez, en présence d’observateurs internationaux, gagne le référendum révocatoire rendu possible par la Constitution - et qu’a demandé l’opposition -, avec 59,06 % des voix.

En règle générale, s’il y a une contradiction entre ce qu’ils ont affirmé et la réalité, les médias nient la réalité. N’ont-ils pas répété en boucle, pendant deux années, sur la foi de « sondages » aimablement fournis, depuis Caracas, par l’opposition : « 70 % des Vénézuéliens souhaitent le départ de Chávez. » Lorsque le voile jeté par les pseudo-spécialistes se déchire, il faut d’urgence trouver une explication. On attribue cette victoire à là « petrochequera » : le chéquier pétrolier du président. Du fait de la situation internationale, les revenus des hydrocarbures se sont envolés, passant de 20 milliards de dollars à près de 50 milliards de dollars par an. Grâce à cette manne céleste et à une politique « clientéliste », Chávez aurait démagogiquement acheté des loyautés. Populiste, vous savez ce que cela signifie, non ? Cette ignorance chronique des choses de la vie, et surtout de la réalité vénézuélienne, n’a rien d’une nouveauté. À Miraflores - le Palais présidentiel -, on rit encore du Français Jacques Julliard, le brillant chroniqueur du Nouvel Obs, venu passer deux jours à Caracas, en juillet 2002, pour y visiter l’ambassade de France et donner une conférence au Teatro Trasnocho. De retour à Paris au terme de cette enquête approfondie, il n’hésita pas à écrire avec le plus grand sérieux : « De l’avis général, Chávez ne terminera pas l’année. »

L’argent de l’or noir, donc. Par certains côtés, l’argument recèle une étincelle de vérité. En décidant souverainement de la destination de ses ressources pétrolières, la révolution bolivarienne a pu financer un autre modèle de développement. Encore a-t-il fallu, pour ce faire, empêcher la privatisation de la compagnie nationale, PDVSA. Participer activement à la revitalisation de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Et revoir le partage des bénéfices entre les multinationales et l’État. En vertu de la loi sur les hydrocarbures, une « nationalisation de basse intensité », a imposé à 32 de ces firmes (Shell, ExxonMobil, Chevron, Total, Repsol, YFP, Teikoku, etc.) de nouveaux contrats faisant d’elles des entreprises mixtes ayant pour partenaire PDVSA, laquelle devient majoritaire - 60 à 80 % - dans les nouvelles associations (seule l’Américaine ExxonMobil a refusé). C’est grâce à ce rééquilibrage que la révolution a pu développer des programmes sociaux sans équivalent dans les pays du Sud. Mais l’histoire ne s’arrête pas là...

Les causes précèdent toujours les conséquences. C’est le 30 janvier 2005, devant le Ve Forum social de Caracas, que Chávez s’est prononcé pour « un socialisme du XXIe siècle », sans formule toute faite et se construisant pas à pas. Le présent et le futur l’intéressent, il les invente pragmatiquement, perturbant pas mal les esprits entraînés à ne penser que dans les cadres anciens. Le mot « arbre » n’évoque pas la même image chez un bûcheron, un poète ou un mécanicien. Pareil pour le mot « révolution », selon qu’on est conservateur, social démocrate, altermondialiste ou membre d’une gauche ultra-radicale qui, sans jamais l’avoir faite, en connaît toutes les règles et tous les secrets. Sans compter ceux qui, nombreux, estiment que l’avenir est à la « désidéalisation ». Chávez ne mène-t-il
pas sa fameuse (d’autres disent fumeuse) révolution bolivarienne dans un cadre capitaliste où la propriété privée est respectée et où la majorité des moyens de production restent entre des mains privées ? Jamais les entreprises - en particulier les banques - n’ont fait autant de bénéfices au Venezuela !

Mais, par le biais des « Missions », les investissements sociaux - 15 % du Produit Intérieur Brut (PIB) - ont réussi progressivement à améliorer la qualité de la vie des citoyens aux ressources les plus faibles. Mais, grâce à 20 000 médecins cubains officiant dans des petits dispensaires de quartier, les déshérités ont enfin accès à la santé. Mais, dans le cadre de la campagne d’alphabétisation, plus d’un million de Vénézuéliens ont appris à lire et à écrire. Mais, la privatisation du système des retraites a été stoppée et un système public et solidaire de sécurité sociale a été créé - le nombre de pensionnés passant de 380 000 à 860 000. Mais, environ 15 millions de personnes, la majorité de ceux qui ont les revenus les plus faibles, ont accès à des aliments subventionnés. Mais, le secteur non pétrolier a connu une croissance supérieure au secteur pétrolier en 2005 - de l’ordre de 10,60 %. Et même si le chômage demeure à de hauts niveaux, l’emploi formel a augmenté. Sans parler des repas gratuits dans les écoles, pour s’arrêter là...

Dans les immenses plaines où les zones boisées s’appellent des montagnes, et dans les véritables montagnes qui ont pour nom les Andes, là où auparavant d’immenses étendues, entre les mains de grands propriétaires, ne remplissaient aucune fonction sociale, la réforme agraire a distribué 2 800 000 hectares de terre à 130 000 familles paysannes. Non sans retards, chausse-trappes et difficultés, c’est vrai, du fait d’institutions fonctionnant trop souvent au ralenti. Il n’empêche que, dans les habitations de barro - mélange de boue plaqué sur un treillis de bois - surmontées de l’inévitable toit de tôle ondulée, qu’emplissent selles de cuir brut, lames, sacs de café, stocks de bougies, lampes tempête, pioches, pelles, bottes et piles de vêtements, on attend de pied ferme les opposants, à quelques mois de l’élection présidentielle de décembre 2006 : « Qu’ils se lavent dans leurs piscines. Mi presidente n’est pas seul. Tout le campo est d’accord avec le président. » Il est le lien entre l’or noir et les citoyens.

Les causes précèdent toujours les conséquences. En quelques années, Chávez est devenu le leader le plus influent de la région. Non que les gouvernements qui l’entourent, fussent-ils de centre gauche comme celui de Lula au Brésil, de Nestor Kirchner, en Argentine, ou de Tabare Vásquez en Uruguay, aient en partage son volontarisme radical. Mais parce qu’il est celui qui définit l’agenda et les termes du débat. Pendant longtemps, on n’a retenu que son amitié pour Fidel Castro et l’alliance stratégique établie par le Venezuela avec Cuba. L’échange pétrole contre médecins (pour aller vite). À l’exception des déshérités, peu ont dressé l’oreille lorsque, lançant la « Bataille des blouses blanches », en août 2005, Caracas et La Havane ont fait une offre généreuse à la région : soigner gratuitement, dans les dix prochaines années, six millions de Caribéens et Latino-américains touchés par de graves affections de la vue - glaucome, cataracte, etc. Et lorsqu’ils se sont engagés à former 200 000 médecins. Et surtout, lorsqu’ils sont passés à l’acte...

On a considéré en ricanant la naissance de l’Alternative bolivarienne pour l’Amérique (ALBA), une intégration basée sur la coopération et non sur la concurrence, qui prendrait en compte les franges de population les plus défavorisées et reposerait sur les bases d’un développement endogène. Complémentarité, coopération, solidarité, respect de la souveraineté des pays, une rupture avec la logique de la compétition et celle, aveugle, de l’esprit de lucre. Mais très vite, on a dû prendre Chávez et son utopie d’intégration continentale au sérieux. Il ne s’agissait pas que d’un discours « à haut contenu émotionnel », comme on l’a trop souvent prétendu. En juin 2005, la naissance de Petrocaribe permet à 14 pays de la Caraïbe, étranglés par les prix internationaux des hydrocarbures, d’acheter leur pétrole au Venezuela à tarif préférentiel (avec facilités de paiement et crédits pouvant aller jusqu’à 25 ans).

Le 27 avril 2006, dans un entretien à la BBC, le ministre de l’énergie Rafael Ramírez évoque la situation absurde qui prévalait jusque-là : « En cent années de production d’hydrocarbures dans le pays, on n’a pas envoyé un seul baril dans la Caraïbe, au Brésil, en Argentine, en Uruguay. » Tout pour les États-Unis, dont entre 11 % et 15 % des importations de pétrole proviennent du Venezuela - autant sinon plus que d’Arabie saoudite. Dès lors, Caracas multiplie les accords de coopération énergétiques avec le Brésil, l’Argentine, l’Équateur, la Bolivie. Un projet de gazoduc, d’une longueur de 8 000 kilomètres, a été officiellement lancé en décembre 2005, pour relier le Venezuela à l’Argentine via le Brésil. Son coût est estimé de 8 à 12 milliards de dollars, selon qu’il se raccorde aux gazoducs existants ou qu’il traverse le centre du Brésil. Bolivarien jusqu’au bout des ongles, Chávez accélère même avec son « frère ennemi », le président colombien Alvaro Uribe, la construction d’un oléoduc qui traversera une bonne partie du territoire des deux pays et amènera le brut et les produits raffinés vénézuéliens aux marchés asiatiques, en utilisant comme sortie un des ports colombiens situés sur le Pacifique (la Chine doublera sa consommation pétrolière au cours de la prochaine décennie et Chávez y a de bons contacts - vu ses voyages incessants !).

Signature d’accords allant du secteur énergétique au militaire avec le Brésil, naissance d’une télévision latina - TeleSur - pour contrer l’influence de CNN, projet de création d’une Banque sud-américaine pour le développement, échange intense de pétrole et autres combustibles avec l’Argentine, achat de bons de la dette extérieure de Buenos Aires, entrée du Venezuela dans le Marché commun du Sud (Mercosur), le 9 décembre 2005, nouvelles alliances avec les grands pays émergents que sont l’Inde, l’Afrique du Sud et la Chine, Chávez rompt le « cordon sanitaire » que Washington tentait d’établir autour de lui. Sa forte présence et le renforcement de l’axe La Havane-Caracas par La Paz depuis qu’Evo Morales a été élu président de la Bolivie, modifie la donne de l’intégration régionale et divise, c’est vrai, l’Amérique latine en blocs politico-idéologiques très marqués.

Car, « ponts vers le premier monde » prêtant l’oreille aux sirènes du dollar, il reste des régimes de droite dans la région : Colombie, Équateur, Pérou, Mexique (peut-être grâce à une fraude électorale) ainsi que toutes les nations d’Amérique centrale. Cette tornade nommée Chávez ne cesse d’y agiter les sommeils et de creuser les ulcères plus profondément. On voit sa main partout. On l’accuse de financer les oppositions à coups de pétrodollars, on lie sa révolution pacifique avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), on implique son pays dans l’enlèvement et l’assassinat de Cecilia Cubas, fille de l’ex-président du Paraguay Raul Cubas, on prétend qu’il manipule Evo Morales lorsque celui-ci, souverainement, nationalise les hydrocarbures en Bolivie. Régulièrement, la voix sèche du président vénézuélien résonne au milieu du brouhaha : « Quelques individus indignes disent que j’ai un gros chéquier qui achète les volontés. Ils disent que j’achète Evo et tout un peuple.

Ces vassaux de l’Empire, vendus à l’impérialisme, qui ont été élus présidents et ont trahi les espérances d’un peuple, passeront à l’histoire réduits en poussière. Ils disparaîtront. » Moyennant quoi, le général Michael D. Maples, directeur de l’Agence du renseignement de la Défense (DIA), ne se trompe pas vraiment lorsque, le 28 février 2006, il se présente devant la commission de la défense du Sénat américain : « Nous considérons que quelques-uns des objectifs stratégiques du président Chávez incluent l’affaiblissement de l’influence régionale des États-Unis et l’unification de l’Amérique latine sous une idéologie bolivarienne de gauche. Tandis qu’il coupe les liens avec les États-Unis, le président Chávez a cherché à augmenter ses liens commerciaux avec la Chine, l’Iran et la Russie, et a intensifié ses efforts pour influer sur quelques gouvernements de la région en leur offrant des accords pétroliers préférentiels. »

Les causes précèdent toujours les conséquences. Fonctionnant en mode binaire, à la manière des ordinateurs, les États-Unis aiment bien les alternatives : noir ou blanc ; bien ou mal ; ami ou ennemi. Depuis son arrivée au pouvoir, ils ont tout fait pour déstabiliser Chávez, appuyant en sous-main la tentative de coup d’État d’avril 2002. À présent, la tornade s’annonce sérieuse. Cet individu capable de terminer ses discours par un « Hasta la victoria siempre ; la patrie ou la mort ; venceremos » ! qu’on croyait définitivement éradiqué, ou, paraphrasant Che Guevara pour appeler à la création « d’une, deux, trois Bolivies en Amérique latine, dans les Caraïbes, afin de contrer les politiques néolibérales et sauvages de Washington », indispose la Maison Blanche au plus haut point.

Récemment, il est allé jusqu’à s’opposer à la présence de la délégation du Conseil de gouvernement irakien aux réunions de l’OPEP...Haute tension et affrontements verbaux, en février 2005, en quelques jours, Washington a accusé le président vénézuélien, à travers ses porte-parole de la Maison Blanche, du Département d’État et de la CIA d’être une « menace régionale », un gouvernement « instable », un « fournisseur peu fiable de pétrole » et de mener une course aux armements. L’offensive a continué en 2006, le secrétaire d’État à la Défense Donald Rumsfeld comparant Chávez à Hitler - lui aussi élu démocratiquement ! Le 15 mai 2006, le département d’État a interdit l’exportation et le transfert au Venezuela d’équipements et de matériels militaires, l’accusant de ne pas coopérer suffisamment à la guerre contre le terrorisme.

Engageant le fer, haussant le ton, Chávez a répondu en annonçant l’achat de 24 avions de chasse Sukhoi-30 et de 54 hélicoptères de combat à la Russie. Sans forcément rêver d’en découdre, mais brandissant l’exemple du soldat citoyen Simón Bolivar, il réorganise la réserve et entend préparer, entraîner et équiper entre 1,5 million et 2 millions de réservistes pour défendre jusqu’à l’ultime confin du pays en cas de « guerre asymétrique ». Depuis lors, des cohortes de civils et de militaires en tenue de camouflage se préparent pour faire face à une possible invasion. Derrière leur comandante, ils n’ont pas l’ombre d’une arrière-pensée. Que les Américains le sachent : tuer est un sport très amusant, à condition que les victimes veuillent bien se laisser abattre.

Les causes précèdent toujours les conséquences. On ne résiste pas à l’Empire en demeurant isolé. Le 16 septembre 2006, à Cuba, Chávez a exhorté les 56 chefs d’États et de gouvernements qui s’y trouvaient réunis au nom du Mouvement des non alignés - 116 pays, les 2/3 de l’Assemblée générale des Nations unies -, à relancer l’organisation pour faire face aux États-Unis. « L’impérialisme américain est en déclin. Un nouveau monde bipolaire apparaît. » Évidemment, emporté par sa fougue et le réflexe parfois nocif « les ennemis de mon ennemi sont mes amis », il lui arrive de dépasser les bornes du savoir vivre et d’en faire un peu trop. Lors de ses « tournées mondiales », il a pu, tout à sa propre expérience et à sa logique, féliciter le satrape biélorusse Alexander Lukashenko, souvent considéré comme « le dernier dictateur d’Europe », pour avoir « maté » sa contre-révolution.

Dans les studios d’Al-Jazira, au Qatar, il a légitimement condamné l’intervention israélienne au Liban, mais a passablement dérapé lorsqu’il a déclaré que l’ « armée israélienne se comportait pire que les nazis ». Lorsqu’il reçoit, à Caracas, le président iranien Mahmoud Ahmadinedjad et s’enflamme - « Deux révolutions se donnent la main : le peuple perse, guerrier du Moyen-Orient et les fils de Simón Bolivar, les guerriers des Caraïbes, des peuples libres. » - beaucoup sursautent. Certes, Mahmoud Ahmedinedjad ne commence pas une intervention sans invoquer Allah et Chávez ne prononce pas un discours sans évoquer le Christ. Mais la ressemblance s’arrête là. Ahmedinedjad nie l’Holocauste et veut rayer Israël de la carte ; Chávez n’a jamais menacé aucun pays et se bat, au Venezuela, contre la hiérarchie catholique, pour faire respecter la laïcité.

Lorsque le président vénézuélien donne une forte accolade à son homologue iranien, il n’appuie pas sa politique intérieure, mais défend le droit de ce pays - comme celui de la France, de la Grande-Bretagne, du Brésil, de l’Argentine, de tout autre, et même, pourquoi pas, du Venezuela - à maîtriser l’énergie atomique. En ne pointant du doigt que ces « dérapages », les médias occultent l’essentiel : la signature dans de nombreux autres pays, parfaitement démocratiques, d’accords Sud-Sud de tout type, et une action déterminée pour la démocratisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Totalement passés sous silence. « Pourquoi subir ce scénario informatif qui, s’il agite les esprits en France, tourne radicalement le dos aux préoccupations des Vénézuéliens » ? s’insurge, depuis Caracas, Thierry Deronne, vice-président de la télévision communautaire ViveTV. « Je parle de huit années de travail mené par des millions de citoyens, qui découvrent le sens du mot démocratie, et dont les réalisations, désirs, pensées, actes transformateurs, organisations, sont exclus d’avance de ce théâtre médiatique bien huilé. »

Les causes précèdent toujours les conséquences. Peut-il y avoir un « chavisme » sans Chávez s’interrogent ceux qu’intéresse davantage le futur que le présent ? Ou qui s’inquiètent des menaces régulièrement proférées contre lui. Mais, somme toute, la question a son importance. Le futur président y avait répondu, par avance, dès 1996 : « Ici, il n’y aura pas de sauveur. Seul le peuple sauve le peuple. Il n’y aura ni sauveur, ni Messie, ni Chávez. Sans organisation populaire et un mouvement bien encadré, il n’y a aucun changement possible. » Un peu plus tard, déjà au pouvoir, et alors que certains s’impatientent de l’absence de clarté idéologique, d’une identification avec les politiques réformistes, et de l’absence de transformations immédiates : « Je me considère comme un
révolutionnaire. Maintenant, qu’un révolutionnaire ou un groupe de révolutionnaires puisse faire la révolution en si peu de temps, c’est une autre chose. »

Qui oserait affirmer qu’on assiste, au Venezuela, à une révolution idéale ? Un nouveau modèle, prêt pour l’exportation. Le progrès y avance à grands ou petits pas, sans qu’on sache exactement où il va. Cela agace souvent ceux qui préfèrent une réponse rapide et simple à la description d’une réalité complexe. Parfois comique, mais somme toute significative. Car le Venezuela n’est ni la Suisse ni l’Australie, mais le Venezuela. Le sous-développement laisse des traces qu’on n’efface pas en un tournemain.

Le président se rend en province et prononce un discours devant une foule tout acquise, sous un cagnard de feu. Attentif au bien être du peuple, et au principe d’égalité, Chávez, à qui l’on a respectueusement réservé un auvent, constate avec un sourire amusé : « Je tiens à féliciter les organisateurs, mais je vois que nous seuls sommes à l’ombre. Je ne comprends pas, il y a des arbres là-bas. La prochaine fois, ou l’on met tout le monde à l’ombre, ou tout le monde au soleil. » Message reçu. La fois suivante, tout le monde se retrouve au soleil, Chávez y compris. L’organisation, les ministères, les organismes divers et variés nagent souvent dans les complications, les variantes continuelles, l’incohérence.

La révolution se déroule dans le cadre d’un État pourri, d’une administration peu efficace, noyautée par l’opposition. Pacifique autant que démocratique, « le processus » a coupé peu de têtes. En 2005, le gouvernement a construit 41 500 nouveaux logements, le tiers des prévisions. Chávez enrage, l’intendance ne suit pas. D’ailleurs, il ne sait pas tout. Mais quand bien même... Pour les siens, il est extrêmement difficile de le critiquer, car chaque critique apporte des munitions à l’opposition. Le processus avance par à-coups, tantôt butant sur un obstacle incompréhensible, un événement inattendu. Mais soudain, il dépasse brusquement des barrières qui paraissaient infranchissables la veille encore. Projets sociaux, réforme agraire, logements populaires (malgré tout), universités décentralisées, comités des terres urbaines, Banque des femmes, Banque du peuple, microcrédits, création de milliers de coopératives, auto ou cogestion d’entreprises récupérées, démocratisation du spectre radioélectrique et création de médias communautaires, reconstruction des services publics, participation de la population à travers les mécanismes de la démocratie participative, le Venezuela est devenu un laboratoire de l’anti-néolibéralisme unique au monde.

Face au phénomène, l’opposition vieillit, n’arrive pas à accrocher les problèmes de fond, patine dans sa croisade contre les risques de tyrannie, se cantonnant à dénoncer la « tumeur maligne » qui, depuis plusieurs années déjà, ronge son malheureux pays. Bien qu’elle ait désigné un candidat unique, Manuel Rosales, gouverneur de l’État de Zulia, pour l’élection présidentielle du 3 décembre 2006 [article rédigé avant l’élection présidentielle, ndlr], nul ne peut parier que, devant une défaite probable, elle ne se retirera pas avant le scrutin, pour délégitimer la victoire de Chávez. Elle l’a déjà fait lors des législatives de décembre 2005. Dès lors, rien de plus facile que de reprendre et répandre les truismes de Washington, de ses amis européens et de la « bobocratie » triomphante. Première idée : le « populisme » constitue la cause des maux politiques et économiques de l’Amérique latine. Deuxième idée : les hommes politiques ou gouvernants peu dociles aux injonctions de Washington sont populistes. Quant au « populisme de gauche », c’est l’antichambre de la dictature !

Et justement, puisqu’on en parle... Le 1er septembre 2006, Chávez a annoncé la possible organisation d’un référendum ouvrant la possibilité, pour le chef de l’État, de se faire réélire indéfiniment, jusqu’à ce que le peuple lui dise « non » dans les urnes - alors que l’actuelle Constitution n’autorise qu’une seule réélection. « Chávez veut être président à vie » ont immédiatement réagi les gazettes Le Monde et Libération, pour ne citer qu’elles. L’ombre de Duvalier plane sur le Venezuela. Un peu hâtif... Vu le contexte du Venezuela, l’idée possède sa logique, qui tient aux énormes défis à relever. Pourquoi ne pas le dire ? L’habileté et la force de Chávez ont produit une extrême dépendance du mouvement qui l’appuie. De sorte que s’il disparaissait, tout le mouvement risquerait de se rompre en mille morceaux, ayant perdu le lien que le maintient uni. Il faut donner du temps au temps.

On peut considérer la solution insatisfaisante, mais elle répond à une situation donnée. Pas forcément à un culte de la personnalité. Par ailleurs, depuis quand les référendums ne sont-ils plus démocratiques - surtout s’ils se déroulent en présence d’observateurs internationaux ? D’autant que, sauf erreur, rature ou omission, l’ « accusé » peut gagner le référendum, mais il peut aussi le perdre si les Vénézuéliens rejettent sa proposition. On ajoutera qu’il existe, dans la Constitution bolivarienne, la possibilité de révoquer le président à mi-mandat par voie référendaire si l’on n’est plus satisfait de son action. Enfin, sans être spécialiste du droit électoral international, on signalera qu’il existe au moins un pays, certes un petit pays, mais pas vraiment une République bananière, où l’on peut briguer plus de deux mandats : la France ! S’il le désire, Jacques Chirac peut se présenter une troisième fois, et pourquoi pas une quatrième, au suffrage de ses concitoyens. Parle-t-on ici de dictature et de présidence à vie ?
NOTES :

[1] [NDLR] L’Organisation des Nations Unies (ONU) a été le théâtre d’une âpre lutte d’influence en octobre et novembre. L’élection par l’Assemblée générale de nouveaux membres non permanents - pour deux ans - au Conseil de sécurité de l’organisation internationale a reflété fidèlement la conjoncture actuelle que traverse une Amérique latine polarisée. En effet, deux pays de l’hémisphère concourraient pour le siège réservé aux Latino-américains : le Guatemala, « candidat » des Etats-Unis, et le Venezuela. Si le Guatemala a remporté à chaque reprise les scrutins, il n’a jamais obtenu les deux tiers requis pour obtenir le siège convoité. Après 48 scrutins, les deux pays sont finalement arrivés à un compromis pour se retirer de la course et désigner le Panama.

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Source : Les Cahiers de Louise ( http://www.lescahiersdelouise.org ), décembre 2006.