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"Avec quinze autres camarades, nous allons encore déranger..."

Publie le jeudi 25 janvier 2007 par Open-Publishing
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"Je vais me battre pour l’amnistie, pour la fin du justicialisme, de la haine. Ce sont les maladies de la gauche"

Un conseil à Francesco Caruso : "Enlève mon portrait et mets celui de Rita Hayworth. Elle est plus belle…"

Interview d’ Oreste Scalzone, prescrit et prêt à rentrer en Italie
Des réponses polémiques aux critiques de Sergio Segio (très dures) et de Valerio Morucci (presque affectueuses). Plutôt que quelqu’un qui fait des allers et retours je serai un nomade, mais pour des raisons pratiques et de bon sens. Je vais me promener, j’ai des amis et des parents à rencontrer, j’ai des tombes que je voudrais visiter. Je serai une espèce de cabotin chanteur ambulant, un "agit acteur", comme dirait Bobbio

de Daniele Zaccaria traduit du français par Karl&Rosa

Oreste Scalzone est un fleuve en crue, dans son appartement parisien il reçoit des fax, il envoie des mails kilométriques, il fait des déclarations à des chaînes de télé espagnoles et à des radio françaises, mais surtout il répond aux dizaines d’appels qui depuis trois jours submergent son répondeur pour lui demander un commentaire, une boutade, une impression sur sa nouvelle condition d’homme libre.

La Cour de Milan a éteint les délits qui l’ont éloigné de l’Italie pendant 26 ans et lui-même a fait savoir qu’il reviendrait dans notre Pays comme « quelqu’un qui fait des allers et retours » pour mener « de nouvelles batailles dans de nouvelles conditions ». Qu’il serait « cabotin » et « histrion », qu’il lui suffirait d’un quotidien plié pour faire entendre sa voix. Rien de spécialement provocateur ni menaçant, « aucun règlement de comptes », comme il l’a souligné lui-même aux journalistes, en évoquant la lutte pour l’amnistie qui est la sienne depuis deux décennies au moins.

Et pourtant ces déclarations rapides, même escomptées pour ceux qui connaissent la passion et le goût pour la politique qui n’ont jamais abandonné l’ex leader de Potere operaio [Pouvoir ouvrier, NdT], ont suscité un désagréable guêpier de polémiques. Des ministres de la République, des députés de l’opposition, des politologues et des vieux agit-prop des années 70 en quête d’expiations tardives ont implicitement décidé que Scalzone pourra franchir les Alpes mais « à basse intensité », qu’il est un citoyen libre à tous les effets mais qu’il serait préférable qu’il ne s’occupe pas de politique, en somme qu’il ne casse pas les pieds.

Maintenant que tu pourras venir en Italie il y en a qui te conseillent de faire le retraité, d’arroser les roses et de raconter les contes aux petits-enfants et il y en a même qui t’accusent d’avoir un comportement « venimeux ». Est-il vraiment si étrange que quelqu’un comme toi ait encore envie de donner son avis ?

Il y a eu différentes réactions, plus ou moins incohérentes, plus ou moins haineuses et je tiens à faire une distinction entre celles qui viennent de la classe politique et celles des soi disants intellectuels. Mais pour situer le problème je voudrais partir de l’actualité.
Je t’en prie…

Il y a quelques mois il y a eu une amnistie, une mesure nécessaire depuis longtemps en tant que fait minime de rationalisation du système carcéral, à cause de l’extrême surpeuplement, à cause des conditions de vie souvent insupportables à l’intérieur des prisons, c’est-à-dire de quelque chose qui n’est pas fonctionnel à « l’entreprise pénale » elle-même. L’amnistie avait été implorée par le pape Jean Paul II aussi qui, pendant le Jubilé, si vous vous en souvenez, se rendit à Rebibbia [prison de Rome, NdT)] laver les pieds des détenus et fit ensuite un discours historique au Parlement en recevant beaucoup d’applaudissements mais aucune réponse. En somme, la situation était mûre depuis longtemps.

Toutefois, face à cette mesure minime, un chœur réactionnaire transversal s’est déchaîné : je pense à la Ligue, à une grande partie de Avanguardia nazionale [le parti post-fasciste, NdT], mais aussi à différents secteurs de la gauche d’ancienne tradition justicialiste et proches de la magistrature.

Pourquoi autant d’exaspération, autant de zèle punitif ?

Je crois que cela dépend de la logique de l’urgence. Nous sommes en train de parler d’un modeste rabais de peine pour environ 20 000 personnes, ni d’une grâce ni d’une prime. C’est l’urgence qui a banalisé la prison, qui a répandu la culture de la punition. Les réactions incohérentes face à l’amnistie me semblent anti-juridiques : désormais on considère normal de soumettre certaines typologies de délits à des régimes de détention spéciale, comme par exemple l’article 41 bis. La prison ne suffit pas, elle doit devenir un enfer de girons typologiques, une punition sans fin.

N’oublions pas que la dernière amnistie fut approuvée en 1990 et d’ailleurs il n’y avait pas d’exclusions comme aujourd’hui, mais personne ne trouva à redire même face à des crimes particulièrement odieux comme le massacre, les crimes contre l’humanité, la traite d’êtres humains. Aujourd’hui les réactions sont beaucoup plus virulentes et, dans le sentiment commun, l’amnistie est associée à une saloperie, à une espèce de crime déguisé. Cela déplait et déconcerte quand cette tendance est visible dans le « peuple de la gauche ».

Quand le Conseil supérieur de la magistrature a récemment évoqué l’hypothèse d’une amnistie comme solution rationnelle de nombre de problèmes techniques des prisons, il y a eu une autre désagréable levée de boucliers, comme si l’amnistie ne faisait pas partie de nos institutions. Tout cela est fou. Cette sauvagerie a fait perdre aussi le sens de la mesure, même de la rationalité statistique : si une personne sort de prison et si elle tue le soir même l’amant de sa femme ce n’est pas un effet de l’amnistie, mais un fait statistique.

Les conséquences d’un tel climat produisent des effets tragicomiques comme dans le cas du ministre de la Justice.

Peux-tu t’expliquer mieux ?

Pour être sincère, monsieur Mastella ne suscite en moi aucune animosité personnelle mais, hélas, parfois il divague en donnant l’impression d’être dans un état confusionnel grave. Quand il a su que la Cour de Milan avait éteint mes délits il a dit : « messieurs, je regrette, je n’y peux rien, le problème, ce sont les prescriptions ». Je voudrais rappeler au ministre que dans la Constitution il y a l’institut de l’amnistie et dans le code pénal celui de la prescription.

Ce n’est pas une extravagance ou un crime. Est-ce que Mastella se rend compte que le concept de « justice infinie » c’est ce con de Bush qui l’avait sorti ? Ensuite, certains teo-cons un peu plus instruits que lui l’ont corrigé parce que la « justice infinie » correspond à la conception catholique de l’inquisition et eux, en braves fondamentalistes protestants qu’ils sont, l’ont remplacée par la « guerre infinie ». La justice infinie, sans limites, contredit même l’Etat de droit et cela, Mastella aussi devrait le savoir.

Valerio Morucci (ex Brigades Rouges) et Sergio Segio (ex Prima Linea) ont critiqué, même si c’est dans des formes très différentes, ta volonté de participer, en général, au débat politique italien. Segio t’a même qualifié de calomniateur et semeur de haine.

Tu as bien fait de distinguer entre les deux. Je commencerai par Morucci. Je connais Valerio depuis qu’il a 17 ans, il habitait les Parioli [quartier cossu de Rome, NdT] mais il était pauvre et fréquentait le comité de base de Lettres (à l’Université la Sapienza de Rome, NdR), il se promenait sur une moto à la Easy Rider, entonnait le slogan sympathique « Si tu veux la Révolution, ne suis pas Scalzone » et me qualifiait de révisionniste. Mais au fond il le faisait dans des formes très civiles et pacifiques. Je déclare tout d’abord que, comme tout le monde le sait, je n’aime pas spécialement ses choix, de l’époque et d’aujourd’hui, mais dans l’interview qu’il a donné à « La Stampa » il y a au fond une certaine grâce et une petite trace d’affection pour moi.

Disons qu’il aime me voir un peu comme les frères Taviani dans « San Michele aveva un gallo » : ils décrivent le vieil anarchiste abandonné qui rencontre enfin les « vrais »communistes, les orthodoxes qui lui expliquent combien de fautes, combien d’ingénuité il y a eu dans son existence, humaine et politique. Le même discours vaut aussi pour Francesco Merlo et Lanfranco Pace : ils pensent que je vis hors du temps. Je ne sais pas s’ils ont raison, peut-être que oui, peut-être que non, mais ils semblent vivre sur un nuage d’Aristophane.

Segio, par contre…

C’est une véritable fausse note, bien que paradoxale (le ton de la voix de Scalzone change soudain, ndr) je me demande pourquoi ses amis ne font rien pour l’arrêter, le consoler, soigner cette profonde blessure narcissique. Je n’aime pas m’attaquer à certains discours, mais j’y suis presque obligé. En divaguant dans les sentiers des polémiques politiques ou aussi de l’affrontement sur des thèmes moraux, je pourrais m’en tirer en disant que, en considérant tout son parcours, l’histoire qu’il a revendiquée, le fait qu’il m’attaque est un honneur. Si j’adoptais le léninisme de pamphlet, j’ajouterais que, parmi ceux qui ont partagé avec lui le dernier domicile connu, la dernière identité, la dernière signature, des aires homogènes de la dissociation politique, même un Franceschini ou un Morucci qui évitent la tentation de l’attaque sont bien plus efficaces et méchants, parce qu’ils exercent une plus grande capacité de réflexion et une plus grande lucidité.

A mon avis Segio ne peut qu’être dans une bonne foi paradoxale, ce n’est pas une extrapolation, c’est lui qui en fournit la preuve flagrante, cela fait des années qu’il commence par un incipit : « Scalzone, de révolutionnaire est devenu un calomniateur de métier… ». La tragédie est qu’il voudrait avoir vécu le rapport entre « auparavant » et « après » comme Gallinari et même seulement comme moi. Le poison insupportable que nous sommes pour lui est en ce sens le symbole de tous les camarades qui ne l’ont pas suivi dans ses choix. Je me souviens qu’il se faisait appeler « Commandant Sirio », que nous refusâmes de le suivre dans Prima Linea parce que nous étions convaincus que l’homicide politique n’était pas une option viable. Cela je veux le souligner au-delà des implications et des considérations éthiques et personnelles, mais du point de vue théorique et collectif.

Pour nous, l’Etat n’était pas le Château de Kafka et il n’avait pas un cœur à frapper, donc le paradigme du tyrannicide, l’unique à légitimer l’homicide politique, était impossible parce que les relations de pouvoir étaient et sont moléculaires, mimétiques. Pour l’attaquer d’une façon directe on aurait dû accomplir une hécatombe. Segio démontre une haine démesurée envers moi parce qu’il raisonne encore comme un militaire, un commandant de brigade, et ce n’est pas un hasard s’il me méprise parce que je me suis réfugié à Paris. Il me voit comme un « déserteur », quelqu’un qui n’a pas fait le « sacrifice » de la galère comme lui. Quand, en 2002, on a arrêté Paolo Persichetti, il a donné une interview délirante où il expliquait qu’il avait mérité de finir en tôle.

Tu as dit que tu viendrais en Italie comme quelqu’un qui « fait la navette » et qui « fait du théâtre », que vois-tu dans ton avenir ?

Plutôt que faire la navette je ferai le nomade, mais pour des raisons pratiques et de bon sens. J’irai ici et là, j’ai des amis et des parents à rencontrer, j’ai des tombes que je voudrais visiter. Je serai une espèce de cabotin, chanteur d’histoires – un « agit comédien », comme le dirait Bobbio : je suis venu mettre la pagaille dans mes troupes. Ce qui est tout naturel : quand j’entend un chœur antisémite dans un cortège de gauche je me fâche beaucoup plus que si ce chœur est prononcé dans une manifestation fasciste. Si on me suit à 15 nous serons 15, autrement je resterai seul et cela ne fait rien. J’irai devant les ministères et je dirai mes choses tant qu’à Paolo Persichetti et à d’autres comme lui ne seront pas concédés les bénéfices prévus par la loi.

Et la politique italienne ?

Comme je l’ai dit ces jours-ci, il n’y a pas de « gouvernements amis », mais il n’y a que des gouvernements, je me sors du schéma illusion délusion, justement parce que je n’attends rien du gouvernement de centre-gauche. Cela dit, à mon avis le plus grand problème de notre société, de notre raison aussi bien politique que culturelle, est le justicialisme : est-il possible de penser qu’ il doit y avoir à tout une solution de nature pénale ? C’est une maladie qui tourmente une grande partie de la gauche italienne, même s’il sera difficile de s’en libérer. Je vois peu de lucidité autour de moi.

Te réfères-tu spécialement à quelqu’un ?

Les affirmations de Sanguineti sur les vertus de la haine de classe m’ont frappé. En calculant que Sanguineti est un poète de son état et qu’il pose sa candidature pour devenir maire de Gênes, qu’est-ce que la haine de classe a à voir avec la mairie ? Pense-t-il gouverner sa ville en haïssant la moitié de la population qu’il veut représenter ? De plus, tu ne peux pas dire qu’il est favorable à la haine de classe en excluant ensuite de faire recours à la violence. Cela me paraît contradictoire et peu élégant aussi.

Outre les critiques et les détracteurs, il y a eu aussi des réactions positives à ta prochaine rentrée

Je remercie ceux qui ont eu des paroles affectueuses envers moi, je pense spécialement à Francesco Caruso qui m’est aussi très sympathique. Mais je voudrais donner un petit conseil à Caruso : il a dit avoir une affiche de moi collée dans sa chambre. Je ne sais pas si c’est vrai ou s’il s’agit d’une invention journalistique, mais cela dit je lui conseille de la remplacer au plus tôt.

Par quoi ?

Par une affiche de Rita Hayworth dans Gilda : elle est beaucoup plus belle que moi.

http://www.liberazione.it/giornale/070121/default.asp

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