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Lutter pour la paix ?

Publie le lundi 31 mars 2003 par Open-Publishing

Lutter contre la guerre n’est pas encore lutter pour la paix.
Comme toute lutte "contre", elle se situe de manière réactive et ne
peut que difficilement assurer
ses propres fondements. Elle reste dépendante de la guerre qu’elle
condamne.
Il est nécessaire qu’il en soit ainsi d’ailleurs. Nous ne pouvons
prétendre contrôler les affects
qui nous poussent à haïr Bush et l’administration américaine, qui nous
conduisent à souffrir dans
notre propre corps au moindre bombardement sur Bagdad ou Bassora. A ne
pas supporter le mélange de
racisme et d’humanisme condescendant avec laquelle la soldatesque
anglo-américaine traite les
Irakiens qu’elle massacre avec méthode. La révolte, la haine, le
ressentiment sont incontournables.
Ils engendrent répulsion, à tel point que les images mêmes, à la
télévision, deviennent
insupportables à regarder, sauf à se complaire dans une certaine
morbidité.
Mais voici bien, haine, ressentiment, voire pitié, nous affaiblissent.
Elles absorbent notre force.
Elles paralysent notre pensée. Et nous nous enfermons dans un réactif
qui s’épuise, à n’exprimer
aucune positivité, sinon la revendication d’un arrêt (l’arrêt de la
guerre).
Or cette guerre ne s’arrêtera pas. Nous sommes entrés dans un régime de
guerre durable. Nous ne
l’avons pas choisi, certes, et il semble bien qu’il s’impose à nous.
Mais lorsqu’une guerre
s’impose, elle se doit d’être menée. Les Irakiens la mènent, à leur
façon, du mieux de leur
intelligence et moyens, le dos au mur. Ils ne luttent pas contre la
guerre désormais. Ils font la
guerre.
Que peut signifier alors "lutter contre la guerre" ?
Il faut trouver ou retrouver la sens d’une autre expression,
différente. Lutter pour la paix.
Car cette guerre, entreprise sous la bannière étoilée, est une guerre
elle-même réactive.
Si nous mobilisons pleinement notre entendement, nous découvrirons
qu’elle lutte contre la paix.
La paix n’est pas seconde et à venir. Elle est première et constitutive
du régime de guerre. Elle
est ce à quoi Bush et sa bande tentent de s’affronter, ce qu’ils
tentent de désigner comme étant
leur ennemi.
Pour lutter pour la paix, et donc contre cette guerre, ou plutôt contre
ceux qui la mènent, il faut
retrouver le sens premier de la paix qui en est la cause et origine.
Car, pacifiquement, mais avec puissance, le monde humain d’aujourd’hui
produit les fractures qui
terrifient les Bush. Et en tentant de colmater ces fractures, avec des
moyens technologiques et
militaires de plus en plus démesurés, les Bush engendrent une seconde
ligne de peur, celle qui
provient des révoltes réactives, des haines et désespoirs qu’ils
génèrent.
Lutter pour la paix, c’est trouver, exposer, rendre public,
intensifier, partager à large échelle ce
qui nous pose comme humanité concrète solidaire, aspirant à la
fraternité et à la liberté, et, à
travers elles, à l’expression de sa puissance créatrice. Ce qui fait
que nous sommes nous-mêmes
l’origine réelle des fractures qui terrifient les Bush.
Dans les manifestations, dites "contre la guerre", ne voit-on pas que,
malgré le tragique des
raisons de ces mobilisations, s’y expriment inventivité, joie,
trouvailles, rencontres, métissage,
convivialité.. En un mot : désir de paix en acte ?
Voici bien : nous ne pouvons pas ne pas souffrir, ne pas être submergés
par une certaine forme de
haine. Rien ne sert à nier nos affects. Mais nous avons le pouvoir de
retrouver notre propre force,
de mener la guerre - car une guerre se mène, qu’on le veuille ou non -,
avec et par la paix.
L’ennemi le plus profond, ce n’est pas Bush, mais notre enfermement
dans le ressentiment, celui que
les Eglises exploitent avec une habileté ancestrale. Le principe d’une
guerre menée avec la force de
la paix est à l’opposé des affirmations d’un Carl Schmitt : la
politique n’oppose pas ami contre
ennemi. La politique consiste à agir sans ennemi à l’horizon. Et à
laisser ceux qui se pensent
ennemis et se posent comme tels se dévoiler, se découvrir et
s’affaiblir.