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Sommet du G8 Au nom de Carlo

Publie le mercredi 4 juin 2003 par Open-Publishing

Sommet
du G8 Au nom de Carlo Par Haidi Giuliani, mère du jeune homme
abattu par la gendarmerie italienne le 20 juillet 2001 au
cours des manifestations contre le G8 à Gênes.


Dans son ordonnance de classement sans suite pour la procédure
engagée contre les gendarmes respectivement accusés d’avoir
tiré sur Carlo et de l’avoir écrasé par deux fois avec leur
camionnette, le juge des enquêtes préliminaires cite, dès
son introduction, un récit anonyme. Ce récit a été recueilli
sur Internet ; son auteur anonyme se présente comme " un
anarchiste de quelque part en France ". C’est proprement
stupéfiant : malgré le tas de dépositions signées, y compris
celles de journalistes sérieux et reconnus à disposition,
le juge se fonde sur un témoignage anonyme. Et quel témoignage
 ! Ce prétendu anarchiste utilise des expressions plus qu’étranges
 : il parle d’" émeutiers " pour définir le cortège provenant
du stade Carlini ; il désigne les " dispositifs policiers " des
forces de l’ordre ; il raconte comment un " nuage de gaz " aurait
envahi l’endroit au moment où Carlo a été tué. C’est très
exactement ce que dit le gendarme qui affirme avoir tiré.
Pourtant, toutes les photographies et les vidéos démontrent
l’absence de ce nuage de gaz.

Depuis vingt-deux mois, nous avons entendu de très nombreux
témoins directs : beaucoup de ceux qui ont assisté aux charges
policières du 20 juillet à Gênes nous ont fait part de leur
conviction que ce jour-là, on cherchait bel et bien un mort,
mais plutôt dans les rangs fournis des jeunes appelés de
la gendarmerie. Un mort, somme toute, qui justifierait ensuite
la répression. Et quand Carlo a été tué, on a tout de suite
tenté de faire endosser la responsabilité du crime à un manifestant.
Or, malgré d’absurdes provocations, aucun jeune appelé n’a été tué à Gênes,
tout simplement parce que, parmi les manifestants, il n’y
avait pas d’assassins, parce que la violence à froid, calculée,
homicide n’a rien à voir avec ce mouvement, parce qu’elle
ne fait pas partie de nous.

Nous avons dit et répété que ce classement sans suite, au
nom de la légitime défense, de l’homicide de Carlo, sans
possibilité de débat public qui permettrait les approfondissements
nécessaires et la confrontation entre des expertises si divergentes,
empêche de fait d’approcher la vérité. Par ailleurs, au soir
du 20 juillet, démontrant son mépris pour le travail des
magistrats, le vice-président du Conseil des ministres, Gianfranco
Fini, avait, on ne l’oublie pas, dicté la sentence appropriée à ses
yeux : " légitime défense ".

Quand nous regardons l’histoire italienne avec ces dizaines,
ces centaines de cas analogues à celui de Carlo, ces crimes
qui n’ont jamais trouvé, nous ne disons pas justice, mais
même pas la vérité, nous ne disons pas un coupable, mais
même pas un responsable de la gestion de " l’ordre public ",
nous ne pouvons qu’être étonnés. Nous n’étions pas impréparés à ce
classement sans suite ; nous ne sommes pas si naïfs. Et quand
même, cela fait mal.

Cela ne blesse pas que nous. Une famille qui, à cause de
cette décision, ne pourra pas savoir avec certitude qui a
tué Carlo et pourquoi, qui a ordonné et dirigé cette manouvre
et pourquoi, qui a organisé la boucherie et la répression
d’un mouvement pacifique et pourquoi, qui a " invité " des
groupes néonazis, des infiltrés de tout type à Gênes pendant
ces journées-là, qui a utilisé la bêtise folle d’une très
petite minorité. Je sais très bien qu’il y a une différence
fondamentale entre une vitrine brisée et une tête fracassée,
mais pourquoi donc à Gênes, vitrines brisées et têtes fracassées
n’ont jamais coïncidé ? Pourquoi donc celui qui a brisé les
vitrines est rentré à la maison sans éraflures et celui qui
n’en a pas brisé a été tué ou tabassé avec une violence inouïe
 ?

Ce classement sans suite nous blesse tous. Ceux qui manifestaient
pacifiquement, ceux qui sont restés à la maison, mais qui
ont suivi les événements avec émotion et indignation, la
société civile, ce morceau important du pays qui veut la
démocratie, cette part saine des forces de l’ordre qui ont
vécu l’humiliation de leur propre sens de l’honneur et du
devoir.

Dans le passé, personne n’a jamais dû répondre dans notre
pays d’un homicide commis par un gendarme, par la police,
en uniforme ou en civil, en service ou non. Dans l’affaire
de Piazza Alimonda, il aurait été nécessaire - et cela reste
nécessaire à nos yeux - de remonter la chaîne de commandement
pour aller rechercher les responsabilités plus " élevées ",
jusqu’aux responsabilités institutionnelles et politiques
de ceux qui ont géré et dirigé les opérations d’ordre public à Gênes
pendant les jours du G8.

" Et maintenant, nous demande-t-on, qu’est-ce que vous allez faire ? " Nous allons
continuer, naturellement. Tant que la voix nous restera, nous continuerons comme
avant à dire nos vérités et à demander la mise en place d’une commission parlementaire
d’enquête. Nous sommes convaincus que de nombreux faits ne sont pas encore venus à notre
connaissance, que beaucoup de comportements doivent encore être expliqués. Nous
avons adressé des questions précises qui ont été ignorées.

Pour ce motif, nous ne nous fatiguerons jamais de lancer
nos appels : appel à la partie démocratique des forces de
l’ordre qui sait mais qui reste muette, dilapide sa propre
liberté et son respect pour soi-même de crainte de perdre
son emploi, de devoir subir les vexations des collègues,
l’arrogance des supérieurs ; appel à cette presse qui se
prétend démocratique, mais qui accepte de publier des rapports
des services à l’origine plus que douteuse, qui vend une
vérité en lambeaux, qui déforme les nouvelles, gonfle dans
ses titres la thèse officielle au détriment des autres ;
appel à ces photographes qui ont assurément des images précieuses,
mais qui ne jugent pas avantageux de les rendre publiques
 ; appel à tous ceux, en majorité journalistes et photographes,
qui, pour les mêmes raisons, ont estimé ne pas devoir dénoncer
les tabassages, des blessures physiques et morales subies
par les manifestants à Gênes. Ce sont des appels que nous
avons déjà lancés ces derniers mois. Même si, de manière
singulière, ils restent sans réponse.

Alors moi, à présent, je m’adresse à ce vaste mouvement de
jeunes, filles et garçons, de femmes et d’hommes qui continuent à lutter
sous des drapeaux différents, avec des mots, des méthodes
diverses, pour une humanité plus juste : nous devons tous
exiger la vérité sur les événements de Gênes, et pas seulement
parce que des centaines de personnes ont été agressées, tabassées,
blessées, humiliées, mais pour notre propre dignité, pour
la démocratie et l’antifascisme, pour défendre les valeurs
sur lesquelles se fondent nos constitutions. Pas pour Carlo,
mais au nom de Carlo.

* On peut entrer en contact avec le comité Piazza Carlo Giuliani à cette
adresse :
www.piazzacarlogiuliani.org. Par ailleurs, ne manquez pas
Carlo Giuliani ragazzo, le remarquable film de contre-enquête
de Francesca Comencini, avec la participation de Haidi Giuliani,
qui sort en salles le 4 juin prochain.

(Texte traduit par Thomas Lemahieu.)
Source L’Humanite

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04.06.2003
Collectif Bellaciao