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Quebec, L’agression contre l’Irak

Publie le mardi 1er avril 2003 par Open-Publishing

Quebec, le 31 mars 2003

Seuls, mais avec d’autres...

Comme il fallait s’y attendre, l’expedition americaine en Irak nous
vaut une
information difficile a calibrer et massivement futile.

Les medias s’agitent en savantes analyses servies par des sources
anonymes,
des militaires a la retraite, des universitaires aux loyautes discretes
et
des docteurs en etudes plus ou moins strategiques.

Les graphiques multiplient les fleches pointees vers les objectifs
presumes
de telle division, les petites etoiles montrent de facon prude et
stylisee ou
gisent les victimes des bombardements, les fiches signaletiques des
monstres
a chenilles de 70 tonnes accaparent plus d’espace que les douleurs des
populations assaillies...

L’agression contre l’Irak s’apparente ainsi a la description d’une
rencontre
sportive sur laquelle on greffe les propos admiratifs ou deprimants des
commentateurs et des athletes en pantoufles.

L’incertitude se deplace et les enjeux muent. On ne se demande plus
pourquoi
cela se passe, mais qui va gagner. Et comme la curiosite des amateurs
de
spectacle s’emousse rapidement, on ergote sur le nombre de jours qu’il
faudra
pour en finir.

Meme ceux et celles qui ont manifeste contre l’illegale agression
americaine
se demandent quoi faire maintenant.

C’est contre cette toile de fond que surgit, choquante et revelatrice,
la
sortie de l’ambassadeur americain au Canada, Paul Cellucci...

La Maison blanche, nous dit le monsieur, est mecontente et agacee de
l’absence du Canada dans la liste des pays qui ont censement endosse
l’attaque americaine contre l’Irak.

Ce n’est pas ce qu’on attend d’un pays ami. " Si le Canada eprouvait
des
difficultes, nous serions a ses cotes ", a declare l’ambassadeur.

A travers ces reproches formules avec fracas, une contradiction s’etale
sans
vergogne : les Etats-Unis veulent a la fois etre seuls et ne pas etre
seuls.
Assez seuls pour tout decider, assez suivis pour maquiller en coalition
leur
cavalcade solitaire.

Assez seuls pour enterrer l’ONU en meme temps que les protestations des
allies traditionnels, juste assez conscients de leur isolement pour
reclamer
l’endossement de tous.

Assez seuls pour commettre le pire crime qui puisse se perpetrer contre
l’humanite, assez sourds aux rappels de l’ethique et de l’equite pour
recruter par le chantage les complices qui leur manquent.

Assez seuls pour ignorer ou interpreter a leur gre les conventions
internationales, assez friands d’accompagnement pour acheter les appuis
des
pays appauvris par leurs conglomerats. Assez seuls pour chasser
Al-Jazeera du
parquet de la bourse pour " information irresponsable ", assez soucieux
du
conditionnement de l’opinion pour contraindre leurs propres medias a
l’autocensure. Seuls et pas seuls.

Mais le Canada defend mal son autonomie. Meme si les incoherences
canadiennes
n’excusent pas l’arrogant illogisme etasunien, elles suffisent
amplement a
alimenter notre inquietude a nous. Ce qui se dit a la Chambre des
communes
est a geometrie variable.

Les ministres, y compris celui qui a la responsabilite de la Defense
nationale et qui devrait etre familier avec la doctrine du
gouvernement,
disent autre chose que le premier ministre. Et les premiers ministres
provinciaux de l’Alberta et l’Ontario interviennent aupres d’autorites
americaines pour se dissocier de la position officielle de M. Chretien.

Quant au secteur prive, il multiplie les contorsions pour dire aux
Etats-Unis
qu’il regrette de ne pas faire partie de la " coalition ". La Chambre
de
commerce de Vancouver illustre bruyamment cette attitude,
l’agenouillement
que fera une delegation de gens d’affaires a Washington ces jours
prochains
transmet le meme message. Pas etonnant que M. Chretien renonce a aller
recevoir un prix aux Etats-Unis et que le president Bush songe a nous
priver
de sa visite.

A observer cet eclatement canadien, une peur surgit : nous prepare-t-on
une
volte-face ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche.

Quand le premier ministre Chretien rappelle avec justesse que rien, ni
dans
la charte des Nations unies ni dans la resolution 1441, ne permet de
changer
par la force le gouvernement d’un pays, il est anormal qu’un ministre
pretende que le Canada approuve la mise en terre du regime de Saddam
Hussein.

Tout comme il est inattendu et bellement illogique que M. Chretien
decrive le
Canada comme un pays en attente de l’aval de l’ONU tout en souhaitant a
haute
voix une fin rapide du conflit, ce qui, bien sur, equivaut a desirer
une
victoire americaine.

Et pourquoi le ministre Herb Dhaliwal n’a-t-il pas le droit de
critiquer la
politique americaine quand d’autres membres du Conseil des ministres,
MM. Manley et Graham par exemple, ont tout loisir de l’approuver et
quand
M. Cellucci a toute latitude pour critiquer le Canada ?

L’hypothese la plus plausible, c’est qu’un fosse separe les discussions
que
mene le Conseil des ministres a huis clos et ce que dit le premier
ministre.

Entre eux, les ministres expriment des opinions divergentes sur la
place
publique, il leur arrive d’oublier que M. Chretien a tranche. Ils
preferent
alors leurs penchants personnels (ou regionaux) a la position
officielle du
Canada.

Et comme M. Chretien est a la fois un chef en sursis et un politicien
qui
n’entretient pas des relations privilegiees avec la clarte, n’importe
qui
peut en conclure, y compris l’ambassadeur americain au Canada, que la
position canadienne ne repose pas sur le roc. La vigilance s’impose.

Ce qui ajoute a l’inquietude, c’est le "separatisme guerrier" exprime
officiellement par l’Alberta et l’Ontario et lateralement par le
secteur
prive.

Voila deux premiers ministres provinciaux qui, par-dessus la tete du
pouvoir
central, felicitent les Etats-Unis d’une decision unilaterale condamnee
par
le Canada.

Le Quebec, il est vrai, a lui aussi pris position, mais M. Landry a
pris soin
de se dire d’accord avec l’orientation de M. Chretien.

Il n’a pas eu l’indecence de s’aboucher directement avec les
personnalites
americaines au mepris de la constitution.

Ces indecentes presssions de deux premiers ministres et du secteur
prive,
s’ajoutant aux critiques publiques et cavalieres de l’ambassadeur
americain,
ne peuvent que s’intensifier si la resistance irakienne defie les
previsions
etasuniennes et accroit le cout du conflit en vies "plus importantes"
que les
autres.

Ce travail de sape en faveur du geste americain, pour le paranoiaque
que doit
etre (moderement) un journaliste, pose des questions et, pire encore,
reveille des souvenirs. Il y a une soixantaine d’annees, ce meme
Canada,
implique des septembre 1939 dans la lutte europeenne contre le nazisme,
faisait appel a des volontaires.

La main sur le coeur, nos politiciens juraient cependant de ne jamais
recourir a la conscription obligatoire pour mener ce combat. Les jours
vinrent pourtant ou les previsions craquerent : le volontariat ne
suffisait
pas.

On connait la suite : le crise de la conscription causa ou revela
(selon les
interpretations) une cassure entre les deux Canadas.

Je ne souhaite ni n’annonce une repetition de ce scenario.

Je constate cependant, avec une inquietude croissante, que les
mensonges
militaires continuent, que les soldats lances dans l’invasion de l’Irak
ne
sont pas aussi nombreux qu’on l’a affirme, que les pertes du couple
anglo-americain risquent de monter en fleche si les combats de rues
remplacent la guerre Nintendo... et que des renforts seront peut-etre
necessaires.

Je constate aussi, avec une inquietude comparable, que les
manifestations
denoncant l’agression contre l’Irak ont mobilise (sans jeu de mots)
quatre ou
cinq fois plus de protestataires au Quebec qu’ailleurs au Canada et que
certains gouvernements provinciaux s’emploient deja a nous integrer a
l’attaque americaine.

Qu’en deduire ?

Que la protestation populaire garde encore tout son sens. Que les elus
doivent se faire rappeler, au Quebec comme ailleurs, independamment des
differences linguistiques ou culturelles, que l’attaque contre l’Irak
est un
crime et que nous refusons d’en etre complices.

Que les medias, delaissant quelque peu leurs graphiques et leurs debats
entre
les options militaires, doivent garder ou remettre a l’avant-plan le
role des
institutions internationales et le caractere profondement immoral de
cette
agression.

Je m’inquiete pour rien ? Souhaitons-le.
Laurent Laplante

REFERENCES :

* Discours prononce par l’ambassadeur des Etats-Unis a Ottawa devant
le
Economic Club of Toronto le 25 mars 2003 (en anglais).

* White House consulted Cellucci on rebuke, The Globe and Mail,
27 mars
2003.
* Ambassador’s comments fuel political storm, CBC News, 27 mars 2003.
* Declaration du premier ministre du Canada, Jean Chretien, 20 mars
2003.
* Declaration du premier ministre de l’Alberta, Ralph Klein, 20 mars
2003
(en anglais).
* Eves letter slams PM’s Iraq stand, Toronto Star, 27 mars 2003.
* Alberta : Klein moves to prevent trade backlash, National Post,
28 mars
2003.
* U.S. consul applauds Alberta, Calgary Herald, 28 mars 2003.
* 31 Canadians in war : PM, CanWest News Service, 28 mars 2003.
* Canada doubling Gulf ships, London Free Press, 28 mars 2003.
* We support war in Iraq : board of trade, Vancouver Sun, 28 mars
2003.
* Stop criticizing U.S., Manley says, The Globe and Mail, 28 mars
2003.
* Bush’s visit to Canada now ’uncertain’, CBC News, 28 mars 2003.
* Canada’s "Secret" Contribution to the War in Iraq
* A Plot "Made in the U.S."
* La crise de la conscription
* Coalition of the Willing ? Not us, say Solomon islanders, The New
Zealand
Herald, 27 mars 2003.
* Nasdaq Stock Market Turns Away Al Jazeera, Reuters, 26 mars 2003.