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SEPT SYNDICALISTES DEBATTENT AVEC MARIE-GEORGE BUFFET

Publie le jeudi 1er mars 2007 par Open-Publishing
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Au coeur de batailles pour l’emploi chez Aubade, ECCE, Poliméri, Nestlé, Airbus, Moulinex, Thomé-Génot, ces femmes et ces hommes en tirent les enseignements. Avec la candidate de la gauche populaire et antilibérale ils font des propositions.

Chez Aubade et ECCE, vous avez été mises en concurrence avec des pays à « bas coûts ». Comment faire face à ce phénomène destructeur d’emplois ?

Roselyne Théfault. Quand notre entreprise, Aubade, qui était propriété de la famille Pasquier, a été rachetée par le groupe suisse Calida, on nous a dit : « Ne vous inquiétez pas, on est une grande famille, on va continuer à travailler des années ensemble. » Ils nous ont achetées en juillet 2005, en septembre, ils faisaient un audit dans l’entreprise. On s’est dit : « On est mal barrées. » Un an après, le 4 octobre 2006, on nous a annoncé 180 licenciements, en nous disant : « Vous coûtez trop cher, on ne peut pas vous garder, on n’a pas le choix. » Ils avaient décidé de délocaliser en Tunisie. Nous avons tout de suite mis en route une expertise comptable qui a montré que l’entreprise était saine. Mais nos patrons n’ont jamais voulu travailler dessus.

Je voudrais qu’on regarde toute cette casse industrielle. 180 licenciements d’un seul coup, ça a été un choc épouvantable, aussi bien dans l’entreprise qu’à l’extérieur. Dans les petites communes, tout le monde se connaît. Alors, il y a peut-être des lois à faire contre ça. Mais si vous faites des lois, ce que je voudrais, c’est que vous nous demandiez notre avis, peut-être en faisant des tables rondes comme celle-ci : c’est quand même nous qui travaillons sur le terrain. Moi, ça fait trente-cinq ans que je travaille dans cette boîte, j’ai tout donné. Être jetée comme ça, cela fait mal.

Je ne veux pas dire que les autres pays n’ont pas le droit de travailler : si, ils ont le droit, mais nous aussi. À la vitesse où on va, on n’aura plus du tout de travail. 40 000 pièces d’Aubade partent chaque semaine pour être montées en Tunisie. Si ce travail restait en France...

Marie-Hélène Bourlard. Nous, chez ECCE, on a été mises en concurrence avec les pays de l’Est pour la fabrication des costumes Kenzo. Pour empêcher ça, il faudrait des lois européennes. Surtout, une Europe sociale. Aujourd’hui, on a construit une Europe du fric. C’est vrai que les Polonais ont le droit de travailler comme nous. Mais ils n’ont pas le même niveau que nous, leurs salaires sont tellement bas... Moi, ça fait trente-trois ans que je travaille, comme la plupart de mes camarades dans l’usine, je gagne 1 000 euros par mois net. Les Polonais, 200 euros...

Roselyne Théfault. En plus, nos patrons bénéficient d’exonérations de charges.

Marie-George Buffet. J’étais hier devant une autre entreprise, dans la Vienne, victime d’un fonds d’investissement anglais, Wagon, qui l’avait reprise avant de la lâcher. La première chose que les salariés m’ont dite : « Si nous avions eu des pouvoirs dans la gestion de l’entreprise, nous n’en serions pas là aujourd’hui. » C’est aussi ce que vous dites chez Aubade.

La première question, c’est donc le pouvoir des syndicats, des salariés, des élus territoriaux, dans les choix de gestion des grandes entreprises. Il faut instituer de nouveaux droits. Ensuite, il faut responsabiliser les donneurs d’ordres qui, en rompant leurs engagements, plongent des entreprises dans la difficulté. Cela passe par une loi qui élargirait le champ de compétences du comité d’entreprise, qui instituerait un moratoire pour étudier des plans alternatifs. Il faut élaborer cette loi avec les syndicalistes. Une gauche vraiment combative arrivant au pouvoir en juin prochain pourrait le faire avant le mois de décembre. Et il y a la fiscalité. L’entreprise qui fait de la production, de l’emploi, de la qualification, qui consacre des moyens à la recherche, doit être aidée. Celle qui ne pense qu’à utiliser le travail, la production pour dégager des profits, de l’argent inutile, il faut la pénaliser. Et je propose qu’une agence des participations de l’état puisse favoriser une politique permettant d’impulser de grands programmes de coproductions au plan national et au plan européen. Quant à l’Union européenne, est-ce qu’on se bat pour une harmonisation fiscale et sociale ? Ce serait un message fort en direction des salariés qui en Inde, en Chine demandent de meilleurs salaires, des droits sociaux, syndicaux et sont souvent durement réprimés.

Xavier Petrachi. À Airbus, nous sommes face à la suppression de milliers d’emplois dans une entreprise qui a une croissance d’activité exceptionnelle, une entreprise stratégique en termes de défense nationale et européenne, etc. On se demande où on va ! C’est vrai que, depuis sa création, Airbus a changé. Avant, c’était un Groupement d’intérêt économique (GIE), un partenariat, une coopération. En 1999, c’est devenu une entreprise intégrée : le critère a été de privatiser ce qui ne l’était pas encore. Aujourd’hui, on se retrouve avec un pacte d’actionnaires qui est quelquefois étatique, quelquefois privé, mais la grosse part de cet actionnariat est laissée sur le marché libre : on a des fonds de pension, les Russes qui viennent de racheter 7 % des parts d’EADS, le Qatar qui veut prendre jusqu’à 10 % C’est ouvert au marché. Le fond du problème est là, pas ailleurs. Il n’est pas sur la compétitivité de l’entreprise, sur l’activité, le savoir-faire, ou sur des relations franco-allemandes qui seraient devenues mauvaises un beau matin. C’est faux ! Le problème, c’est les actionnaires qui exercent une pression énorme. Pour sortir de la crise, nous, nous avons réfléchi à plusieurs pistes (voir ci-dessous).

Marie-George Buffet. En vous écoutant, qui pourrait nier que la rentabilité la plus haute possible, à court terme, est contraire au développement économique, au développement de technologies, d’innovations comme les vôtres, chez Airbus ? Vous avez besoin de temps pour la recherche, de temps pour élaborer une gamme et qu’elle devienne réalité... Qu’est-ce qui relève du marchand et qu’est-ce qui relève de l’intérêt général ? Est-ce que l’erreur première n’est pas d’avoir laissé privatiser tout le domaine de l’aéronautique ? Est-ce que cela ne doit pas revenir au public ? Comment ? Peut-être par le fait que l’État reprenne des parts, des droits dans la gestion des entreprises. Mais une gestion démocratisée, avec un rôle premier des salariés, des élus territoriaux. On vient de le voir à EDF, avec le rapport sur l’état des barrages hydrauliques : s’il y avait eu plus de transparence, une participation réelle des salariés, des usagers, des élus territoriaux dans la gestion, on n’en serait pas là. N’y a-t-il donc pas à réfléchir, non à une nationalisation au sens étroit du terme, une nouvelle étatisation, mais à une nouvelle conception publique d’une entreprise comme Airbus ? Je propose de redonner à la France et à l’Europe la maîtrise totale de son industrie aéronautique et spatiale en créant un groupe européen cent pour cent public.

Quand j’ai entendu Jacques Chirac et Angela Merkel, deux chefs d’État, se placer dans un tel renoncement qu’ils en venaient simplement à répartir « équitablement » les sacrifices chez Airbus de part et d’autre de la frontière franco-allemande, je me suis dit : si la politique recule à ce point face à la financiarisation du monde, on est fichu. Si le politique ne dit pas qu’il peut freiner cette financiarisation, valoriser le rôle industriel, citoyen, social de l’entreprise, s’il ne dit pas qu’il peut, par la loi, faire que la gestion des entreprises ne soit pas le seul fait des actionnaires, on est fichu. Et ce que je propose n’est pas utopique : cela peut passer par des lois très précises sur les droits des CE, contre les LBO (1), par une nouvelle conception de la Banque centrale européenne au service du développement industriel. On a tellement dit que rien n’était possible sur l’économie... La loi et un combat politique au sein de l’UE peuvent modifier les choses.

Thierry Le Paon. On a parlé des délocalisations, mais le plus grand phénomène, ce sont les localisations : autrement dit, l’implantation des activités ailleurs qu’en France ou en Europe. Pour certains, notre pays, voire notre continent, n’aurait pas une vocation industrielle. En France le ministère de l’Industrie n’a pas de politique industrielle. Tous les ministres que nous avons rencontrés pour Moulinex nous ont dit : « Attention, mon rôle, c’est d’accompagner les entreprises... »

Marie-George Buffet. On « accompagne » les plans sociaux !

Thierry Le Paon. Ce qui me choque dans Airbus, c’est ce qui m’a aussi choqué dans l’affaire Moulinex : on est confrontés à la gestion de décisions prises par les actionnaires. D’ailleurs eux-mêmes le disent : il y a la gouvernance de l’entreprise et il y a le capital. Le capital fixe le cap et personne ne le remet en cause. Par contre, la discussion se limite aux choix de la gouvernance : où va-t-on « économiser », à qui donnera-t-on plus, moins, etc. Si les salariés doivent avoir des droits, c’est sur ces questions : à quoi sert l’entreprise ? Quel est le taux de rentabilité ? Quelle est la limite tolérable pour qu’une entreprise soit rentable et puisse maintenir l’emploi en France, en Europe ? Quelle vocation industrielle ? Les élus politiques devraient dénoncer le secret qui entoure ces décisions. Chez Moulinex, on a essayé d’alerter les ministres qui se sont succédé, on a eu 17 plans sociaux en dix-neuf ans : toujours, il s’agissait de voir comment faire ailleurs moins cher, comment économiser ceci... On discutait de tout sauf du taux de rentabilité exigé par les actionnaires.

Si on est arrivés là, c’est parce qu’on n’a plus de banque publique nationale, voire européenne, capable de dire : « Je relève le défi. » On est dans un système bancaire qui vise à rémunérer l’argent par l’argent, le taux moyen est à un tel niveau que les taux de rentabilité sont très élevés, incompatibles avec le maintien d’une production industrielle en France.

Marie-George Buffet. Il faut créer un pôle financier public. À partir de la Banque de France, des Caisses d’épargne, de la Caisse des dépôts, on pourrait avoir un pôle qui, au lieu de faire des prêts qui pèsent sur les entreprises, développe une politique de crédit conditionnée aux choix de la production et de l’emploi. Au choix de la recherche aussi : j’étais il y a peu au Synchrotron, les chercheurs s’inquiétaient de la diminution de la recherche dans le privé. On nous parle toujours de compétitivité à propos du coût du travail, des charges sociales, fiscales. Mais les entreprises françaises ne souffrent pas de cela : si elles sont moins compétitives c’est parce qu’elles n’ont pas assez investi dans la recherche et la production. Sur le total des ressources nouvelles dégagées en 2005 par les entreprises, 70 % sont allées au remboursement des dettes auprès des banques, aux dividendes des actionnaires, aux OPA et autres opérations financières, 30 % seulement ont servi à l’investissement, aux salaires... Si on continue, l’industrie française ne pourra être compétitive.

Et arrêtons de penser que la Chine, l’Inde seraient vouées à être les ateliers du monde, tandis que nous garderions les emplois qualifiés. Ces pays se développent, forment leur jeunesse, ont des techniciens, des ingénieurs, des chercheurs. Lorsqu’une entreprise française veut s’y installer, les gouvernements disent à juste titre qu’ils veulent aussi les brevets, la formation, etc. On ne peut pas leur reprocher de ne pas vouloir être les esclaves du monde. Pour être compétitifs, c’est sur la qualité de nos productions, la qualification de nos salariés, l’effort pour la recherche que nous devons miser. Et il faut alors parler salaires, reconnaissance des diplômes. Or on nous explique que pour être compétitifs, il faudrait être moins payés, travailler plus, se contenter d’un socle minimum à l’école. Si la France veut continuer à avoir un rôle dans le développement industriel, technologique, scientifique, il faut qu’elle forme, rémunère, qualifie, permette d’acquérir de nouvelles connaissances tout au long de la vie.

Thierry Le Paon dénonçait le rôle joué par le système bancaire dans le cas de Moulinex. Chez Thomé-Génot, c’est aussi sur la question des financements que vous avez buté...

Charles Rey. L’entreprise ne manquait pas de commandes. Mais les prix de l’énergie, de la matière première flambaient, 200 %, 300 %, 400 %. Et nos clients nous payaient à 90 jours, et même plus... Quand on n’a plus pu payer les fournisseurs, la direction s’est tournée vers les banques, mais elles ne voulaient plus nous couvrir. Et personne n’a pris la relève, au niveau de l’État, du département, de la région. Un fonds américain nous a alors repris en proposant de garder tous les emplois, de rembourser les dettes et d’injecter de l’argent. Mais l’argent, on ne l’a jamais vu. Et pour payer les dettes, ils ont commencé à vendre notre patrimoine immobilier et à mettre les bénéfices de côté. Puis ils ont tiré de l’argent de Thomé-Génot, soi-disant pour monter une nouvelle usine au Mexique... Voyant tout ça, on a utilisé le droit d’alerte. Mais pour le tribunal de commerce, du moment que nos salaires étaient payés, il n’y avait rien à dire. Les juges nous ont expliqué qu’ils ne pouvaient pas aller voir les comptes de l’entreprise. Moi, ce que je voudrais, c’est une loi permettant au tribunal de commerce et aux syndicats de suivre les comptes quand une entreprise est rachetée, pour juger des véritables intentions du repreneur, s’assurer qu’il n’est pas venu pour dépouiller l’entreprise.

Marie-George Buffet. La question des tribunaux de commerce, de leur composition, prérogatives, objectifs, est posée à juste titre avec force par les salariés de Thomé-Génot. Nous avons là un exemple typique. Comme les salariés me l’ont raconté lors de ma visite dans les Ardennes, quand le fonds américain est arrivé chez Thomé-Génot, tout le monde se demandait : « Mais qu’est-ce que c’est ? On ne connaît pas ce groupe. » Et les autorités publiques se sont tues, ont fermé les yeux. Charles Rey. On a fait un droit d’alerte un an avant le dépôt de bilan... Marie-George Buffet. Le droit d’alerte est insuffisant, car il n’est pas suspensif.

C’est pour cela que la question de nouveaux droits pour les CE doit être une priorité et donc je propose que les élus du personnel disposent d’un droit de veto suspensif sur les décisions de licenciements collectifs et de délocalisations.

Chez Polimeri aussi vous vous êtes heurtés à l’inertie, pour ne pas dire la mauvaise volonté des services de l’État...

Alain Cammas. Nous avons dû nous battre à trois niveaux. D’abord face à l’actionnaire, le groupe pétrolier ENI, qui voulait se séparer de notre usine. On est à peu près sûrs maintenant qu’on a été sacrifiés dans un pacte illicite conclu avec les concurrents. D’un côté Bayer récupérait nos parts de marché, de l’autre notre licence était vendue à un groupe indien ou chinois. Ensuite nous avons dû nous battre au niveau politique pour que le pôle chimie soit maintenu dans le schéma de développement économique de la région Rhône-Alpes. Enfin, au niveau de l’administration. Du côté du préfet, on peut parler d’obstruction. Quand on s’est rendus à Barcelone pour rencontrer un repreneur potentiel, les services de la préfecture n’ont pas daigné nous accompagner afin d’étayer, sur le plan technique, notre projet. En réalité, il n’a jamais été examiné sérieusement par l’actionnaire et par les pouvoirs publics. Cela devrait devenir une obligation légale. Marie-George Buffet. Ce qui me frappe dans les déplacements que je fais, c’est que la plupart du temps les syndicalistes confrontés à des plans de restructuration ont des projets alternatifs.

Alain Cammas. Mais nous avons toujours un coup de retard. Il faudrait des pouvoirs supplémentaires qui permettent aux salariés, aux élus locaux aussi, d’avoir de l’avance sur la stratégie des groupes industriels. Et il faut renforcer le contrôle des fonds publics. Une loi existait (2), elle a été supprimée par la droite. Or on a tous des exemples, dans nos boîtes, de financements publics pour lesquels il n’y a jamais eu aucun contrôle.

Thierry Le Paon. Je siège au conseil d’orientation pour l’emploi qui est chargé d’émettre des réflexions pour le gouvernement. Il vient de publier un rapport qui dit très précisément que dans notre pays aujourd’hui on ne sait pas quel est le montant total des aides versées aux entreprises. Il est estimé à 45 milliards d’euros mais il n’y a aucun contrôle et on ne sait pas mesurer l’efficacité de ces aides. La Cour des comptes a fait le même constat dans un rapport remis au premier ministre. Quelles conséquences ? Rien, absolument rien. 45 milliards d’euros c’est l’ensemble des impôts sur le revenu des Français. Pour quel résultat sur l’emploi ? C’est une question politique essentielle.

Marie-George Buffet. Avec les exonérations de charges, cette aide monte à 65 milliards distribués avec plus de 6 000 dispositifs différents ! Aucun citoyen, aucun salarié ne peut s’y retrouver. Il faut arrêter tout cela, mettre les compteurs à zéro. Il faut dire : oui, il peut y avoir des fonds publics, mais avec un contrôle national et régional qui permette de suivre l’utilisation de l’argent. je propose dans cet objectif de restaurer et étendre la loi - abrogée par la droite - qui crée une commission nationale de contrôle des fonds publics. J’ai été ministre. Je peux vous dire que lorsque la Cour des comptes tombe sur un ministère, fait dix ou cinquante remarques, le ministre a intérêt l’année suivante à avoir corrigé. Cette exigence de transparence dans l’utilisation des fonds publics me paraît essentielle. Ceci dit, avec un pôle de financement public, avec une politique du crédit intelligente, une fiscalité intelligente, l’aide directe aux entreprises devrait reculer. Chez Nestlé Saint-Menet vous avez eu une expérience positive. Les salariés ont réussi à faire examiner leur plan alternatif à la fermeture et à le mettre en oeuvre, en partie au moins...

Patrick Candela. Deux ans de lutte, il y aurait beaucoup de conclusions à en tirer. Quand une direction annonce la fermeture d’une entreprise, elle propose un accord de méthode. Nous avons refusé d’accompagner la fermeture et imposé une autre méthode. Et nous l’avons explicité clairement. On avait senti venir les choses. Quelques mois avant, au nom du syndicat CGT, j’avais fait une déclaration qui donnait le ton en disant : « Si vous fermez l’usine, ça va faire beaucoup de bruit dans les environs mais aussi dans le pays et au-delà. » C’est ce qui s’est passé puisque le PDG de Nestlé international a été contraint de nous répondre et de se positionner. Mais avant d’imposer la prise en compte de notre projet alternatif, il a fallu lutter plusieurs mois. Et d’abord faire grandir cette idée qu’une usine, une entreprise, ne doit pas exister pour les actionnaires mais qu’elle produit des biens de consommation, d’équipement, qu’elle crée des richesses, qu’elle est un bien commun. Dès le départ, nous n’avons pas posé le problème en termes de protectionnisme, d’égoïsme, d’égocentrisme. C’est ce qui a fait qu’une quarantaine d’associations, toute une population, se sont réunies pour défendre l’entreprise. Et quand les citoyens interviennent, tous les politiques interviennent, ceux qui partagent avec la population la volonté de changer les choses et les autres.

Même monsieur Gaudin, maire UMP de Marseille, nous a soutenus. J’ai gardé la lettre qu’il avait adressée à la mère d’un jeune salarié en disant : « Je soutiens les salariés de Nestlé, nous aurons un bon plan social et des reclassements... » L’enjeu est important, il s’agit de savoir si l’économique dicte aux politiques et aux citoyens la finalité de l’entreprise ou si c’est l’inverse. Il faut alors rejeter l’argument : « Vous êtes trop chers. » En Espagne, dans une installation Nestlé à peu près identique à la nôtre, le directeur disait aux salariés que notre site était moins cher que le leur et, à nous, on affirmait le contraire. Il faut refuser cette mise en concurrence. Le débat n’est pas sur les coûts salariaux, il est sur les investissements pour le développement, l’innovation. À partir du moment où l’entreprise est un bien commun, où les salariés, les élus, les citoyens ont leur mot à dire, on fait bouger les choses. C’est ce qu’on a fait. On n’a pas attendu une loi, même si on a besoin de légiférer. D’ailleurs les patrons le savent très bien, les faits précèdent la loi. Eux, avant de casser un droit social, ils commencent par le grignoter.

Je partage ce qui a été dit : bien avant l’annonce d’une fermeture ou d’une délocalisation, les salariés doivent pouvoir intervenir à travers leurs organisations syndicales en France, en Europe. Et plus encore, ils doivent intervenir dans la gestion quotidienne de l’entreprise. Ce qui ne veut pas dire tout nationaliser. Le moratoire à l’annonce d’une fermeture, l’obligation de mettre à l’étude les projets alternatifs peuvent être autant de leviers, de points d’appui pour les salariés, les populations, les élus locaux. Notre projet alternatif, je l’ai donné à Marie-George Buffet qui l’a remis directement à Villepin. Ensuite il y a eu le processus de recherche d’un repreneur. Dix-sept se sont présentés. Il faut des leviers, des lois mais aussi une volonté politique des élus à tous les niveaux, qui mettent en accord leurs discours et leurs actes. Et cela implique que les salariés, les citoyens restent en permanence des acteurs.

Marie-George Buffet. C’est très important. On essaie de nous enfermer dans le dilemme : tout nationaliser ou accepter que l’économique soit maître, que le politique recule. Des lois qui donnent des pouvoirs, des droits aux syndicalistes ne résoudront pas tout mais seront autant de leviers permettant de créer un nouveau rapport de forces dans les batailles pour préserver l’entreprise et les emplois. Il est important de dire qu’entre le « on ne peut rien » et le retour aux années cinquante, une maîtrise démocratique est possible avec les syndicalistes, la population à travers ses élus. L’entreprise n’est pas un ennemi : elle peut être un espace, un outil pour aller vers plus de progrès social, de citoyenneté. Les syndicalistes, les élus progressistes défendent les entreprises. C’est vous tous qui défendez l’entreprise dans ce pays. Alors que les prédateurs financiers dont les complices sont Sarkozy, Bayrou et compagnie la tuent. Tous les exemples que vous donnez le montrent.

Xavier Pétrachi. En écoutant ici et en voyant ce qui se passe à Airbus, je pense que le problème c’est redonner confiance aux salariés. Depuis des années ils en prennent plein la figure : des licenciements partout, des casses d’entreprises, et maintenant on nous dit qufaut revaloriser le travail en travaillant plus, en restant jusqu’à soixante-dix ans au boulot, on dit aux jeunes qu’ils ne sont jamais assez bien formés. Les salariés n’ont plus confiance en eux, en leurs capacités. Airbus s’est construit avec des salariés français, anglais, espagnols, allemands qu’on veut aujourd’hui mettre dos à dos. Je rejoins tout à fait ce qui s’est dit tout à l’heure, il faut arrêter de mettre en concurrence les travailleurs entre pays, entre salariés des donneurs d’ordres et des sous-traitants. Le nationalisme est un poison. Dans l’affaire d’Airbus, il ressurgit, et cela ne contribue pas à redonner confiance aux salariés.

Thierry Le Paon. Quand ils veulent restructurer, les patrons n’osent pas parler de logique financière. Les gens n’accepteraient pas, ils résisteraient. Alors, c’est révélateur, ils invoquent toujours la logique industrielle. Mais cela n’existe pas, ce qui existe c’est DES logiques industrielles. Ce sont ces logiques dont on doit débattre avec les salariés eux-mêmes. D’autre part, je pense qu’aujourd’hui il faut sécuriser les parcours professionnels au sein du monde du travail lui-même. Quand il y a licenciement, il y a rupture du contrat de travail. De salarié, on devient chômeur à la charge de la collectivité. Il faut rompre avec cela. La sécurisation des parcours professionnels c’est des droits attachés à la personne du salarié de manière à ce que tout au long de sa vie il puisse acquérir des connaissances, faire valoir ses droits, prospérer dans le monde dans lequel il est. C’est une idée aussi bouleversante que celle qui a conduit à la création de la Sécurité sociale et de ses branches. Et on nous oppose aujourdles mêmes arguments que ceux qui étaient opposés, à l’époque, à ce projet.

Marie-Hélène Bourlard. La sécurité sociale professionnelle, les gens ont du mal à imaginer cela. Ils disent : « Tu ne crois pas qu’on va nous payer jusqu’à ce qu’on reprenne le travail ! »

Marie-George Buffet. Lorsque j’ai participé à l’assemblée de salariés où vous aviez eu la gentillesse de m’inviter (3), vous aviez raconté qu’en 2003, lors d’un premier plan de licenciement, la lutte avait permis d’obtenir pour les personnes concernées des formations et un accompagnement jusqu’à l’emploi avec le maintien des salaires. C’est un commencement de mise en oeuvre d’une sécurité d’emploi et de formation. Ce que la lutte a permis d’obtenir dans votre entreprise en 2003, est-ce que la loi ne peut pas le créer ? Soyons clairs, la sécurité d’emploi et de formation ne doit pas être un slogan. C’est une construction qui passera par une multitude de mesures, de lois comme celles que l’on vient d’évoquer concernant les droits des salariés dans la gestion des entreprises, qui passera par de nouveaux droits pour les chômeurs, par des lois contre la précarité, par une implication de l’État dans les entreprises qui relèvent de l’intérêt général.

Cette ambition ne pourra pas être portée par une gauche du renoncement mais par une gauche qui considère que l’économie relève de l’intérêt général, donc de la décision d’un gouvernement, d’une majorité, et aussi, bien sûr, par une grande mobilisation populaire. Mais là-dessus je n’ai pas à vous donner de leçons, vous savez le faire !

(1) Leverage buy-out (LBO), mécanisme de rachat d’entreprises par des groupes financiers et des fonds d’investissement qui revendent à court terme, avec une forte plus-value.

(2) La loi Hue organisait le contrôle des fonds publics versés aux entreprises, elle a été abrogée en décembre 2002.

(3) Dans cette entreprise où s’est rendue Marie-George Buffet, les ouvrières avaient voté un débrayage pour débattre avec elle en assemblée générale.

Table ronde réalisée par Yves Housson et Jacqueline Sellem Reportage photo Patrick Nussbaum

Les participants au débat :

Marie-Hélène Bourlard, déléguée CGT de l’usine ECCE. Située à Poix-du-Nord (Nord) ECCE, dernière usine en France de prêt-à-porter masculin haut de gamme, emploie 147 salariées. L’annonce de la délocalisation en Europe de l’Est de la fabrication des costumes Kenzo fait aujourd’hui planer le risque d’une fermeture.

Alain Cammas, ancien salarié de Polimeri, maire adjoint (PCF) de Vizille. En septembre 2005, le pétrolier ENI annonce la fermeture de l’usine Polimeri de Champagnier dans l’Isère, seul site en France à fabriquer du caoutchouc synthétique. Un an de lutte. En 2006, l’État verse plus de deux millions d’euros pour financer la casse de l’entreprise.

Patrick Candela, ancien secrétaire du comité d’entreprise de Nestlé Saint-Menet (CGT). En juin 2005 la multinationale Nestlé voue le site marseillais à la fermeture définitive. Dix-huit mois de lutte. Les salariés trouvent un repreneur et arrachent le maintient d’une partie de l’activité : la production de chocolat.

Thierry Le Paon, ancien délégué syndical de Moulinex, représentant de la CGT au conseil d’orientation de l’emploi. En 2001 le numéro 1 français de l’électroménager, lâché par les banques et ses actionnaires, dépose le bilan. 3 200 emplois sont supprimés dans ses usines normandes. Malgré les promesses de reclassement, de nombreux salariés sont toujours sur le carreau.

Xavier Petrachi, délégué syndical central CGT d’Airbus France. Après l’annonce de retard dans les livraisons de l’A380, un plan de restructuration baptisé Power 8 entraîne la suppression de 10 000 emplois sur 16 sites européens et la fermeture de plusieurs d’entre eux.

Charles Rey, responsable de l’Association des anciens de Thomé-Génot. En octobre 2006, l’équipementier automobile installé à Nouzonville dans les Ardennes est mis en liquidation judiciaire, victime de financiers américains. 320 salariés. Un mois de lutte avec occupation au cours duquel Sarkozy envoie les CRS et les gendarmes.

Roselyne Thefault, secrétaire du comité d’entreprise d’Aubade (CGT). Spécialisée dans la lingerie de luxe, Aubade a deux usines dans la Vienne à Saint-Savin et la Trimouille. En 2006 délocalisation de la production en Tunisie. 180 emplois sur 283 supprimés, fermeture de La Trimouille.

Messages

  • Quand j’ai entendu Jacques Chirac et Angela Merkel, deux chefs d’État, se placer dans un tel renoncement qu’ils en venaient simplement à répartir « équitablement » les sacrifices chez Airbus de part et d’autre

    Je veux pas dire, mais je ne comprends pas les chiffres :

     en France, 63 millions de français et 4300 emplois supprimés à AIRBUS,
     en Allemagne, 80 millions d’allemands et 3700 emplois supprimés à AIRBUS.

    Les licenciements sont énormes, hallucinants, mais en plus, nous sommes moins nombreux que les allemands et nous devons supporter le plus gros contingent de licenciés, pourquoi ?
    Devons-nous comprendre que l’état français n’a pas su défendre son steack, face à Merkel ?
    C’est fort possible, si on en juge par la mauvaise santé de notre tissu industriel et commercial : des INCAPABLES NOUS GOUVERNENT, plongeant toute la société dans la précarité, l’instabilité !
    Une seule solution : du balai !

    • Le probléme n’est pas entre les licenciements en Allemagne ou en France c’est pas de licenciements du tout !

      2500 avions à construire et on jette du monde c’est idiot,ou plutôt ça répond à un critére la logique financiére et actionnariale,pas à une logique industrielle,ni a un pari sur l’avenir.

      Augmenter les dividendes pour avoir une rentabilité à 15 ou 20% voila l’objectif poursuivi.

      Jean Claude des Landes

  • les vrais chiffres des licenciements EADS : plusieurs dizaines de milliers en comptant la sous traitance (CGT
    ce jour) !!!seule alternative :interdiction immediate des licenciements,occupations et blocages partout !!!