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Cesare Battisti : Le premier cercle de la "subversion"

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

Par Mauro Bulgarelli, député italien des Verts

Dans de nombreux journaux italiens du 11 février 2004, deux nouvelles attiraient l’oeil, souvent placées l’une à côté de l’autre. La première concernait l’arrestation à Paris de Cesare Battisti, désormais plus connu en tant qu’écrivain de polar que comme ex-membre des Prolétaires armés pour le communisme en exil. La deuxième était le bilan semestriel du SISDE [les services de renseignement intérieur, ndlr] qui, fidèle à un formulaire un peu vieillot, insistait une nouvelle fois sur la théorie de "premier cercle de la subversion". Un cercle dans lequel ce bilan emprisonne, à divers titres, des brigadistes, des anarcho-insurrectionnalistes et des partisans de la désobéissance civile.

La mise en regard de ces deux nouvelles reflète efficacement la philosophie qui met en mouvement les institutions ainsi que les investigateurs de tout poils qui, quand il s’agit de compter avec le conflit social, se retrouvent sur la voie qu’ils connaissent le mieux : celle de l’urgence. Personne ne peut ignorer aujourd’hui que l’attention répressive réservée depuis quelque temps par nos autorités aux exilés des années soixante-dix trouve sa logique dans l’adhésion du gouvernement italien aux nouvelles politiques disciplinaires européennes. Des politiques qui, en matière de sécurité, exhument d’une part le spectre du terrorisme, et d’autre part celui du déviant (qu’il soit migrant, toxicomane ou situé dans la marginalité "excédentaire" des grandes villes). Présentés sous ce jour, les centaines d’exilés se transforment en de véritables otages à donner en pâture à l’opinion publique pour corroborer et rendre plus efficaces sur le plan symbolique les vertus musclées de l’Etat. Et en premier lieu dans les domaines où il traverse une crise d’autorité et de consensus social. C’est bien cette dernière considération qui nous fait découvrir l’autre versant du problème, celui qui vise le mouvement social, devenu la cible, ces derniers temps, d’un zèle inquisitorial renouvelé. Car c’est bien l’incapacité de juguler l’émergence de pratiques d’insubordination sociale qui menacent de se massifier et de s’auto-reproduire - (je pense aux luttes des agents des transports publics, aux mobilisations spontanées de la société civile à Scanzano Jonico, La Maddalena, Terni, ainsi qu’aux capacités des travailleurs atypiques et intermittents de faire émerger leur propre condition de "sans droits") - qui conduit l’Etat à frapper des mouvements qui ont montré leur capacité à dialoguer, de tisser du lien à partir de ces réalités.

L’Etat, en fait, semble d’une part vouloir réaffirmer la nécessité du droit pénal d’urgence forgé dans les "tribunaux de guerre" des années soixante-dix, et d’autre part, vouloir faire reculer brutalement le seuil actuel de la "légalité". Une frontière délimitée par ce grand mouvement né à Gênes et qui s’est confortéé au cours des extraordinaires mobilisations contre la guerre en affirmant un principe nouveau : il n’existe pas d’illégalité de masse qui puisse être sanctionnée si elle se propose de contester les crimes incommensurablement plus grands perpétrés par les puissants de la terre à travers la globalisation capitaliste et les massacres de la guerre préventive. Et justement, les "occasions" ne manquent pas de frapper la rue : coups et procès contre ceux qui luttent pour le droit au logement, contre ceux qui s’opposent à ces camps camouflés que sont les centres de transit pour immigrés, contre ceux qui contestent les choix bellicistes de ce gouvernement.

C’est sur la lecture pénale des années soixante-dix et sur la criminalisation des luttes d’aujourd’hui que se fonde la logique de la "reddition des comptes" amorcée par l’Etat. La gauche commettrait une tragique erreur si elle n’essayait pas de l’endiguer de quelque façon. Pour y parvenir, la route est rectiligne et n’offre pas de raccourcis :
1) relancer la campagne pour apporter une solution politique aux problèmes nés des années soixante-dix, axée autour d’un projet crédible d’amnistie généralisée,

2) empêcher qu’à partir du procès autour des événements de Gênes, une nouvelle génération de luttes soit donnée en pâture à la répression et aux bagnes de la patrie.

Combien étions-nous, et cela jusque sur les bancs du Parlement, à magnifier "l’esprit de Gênes" comme une sorte de souffle vital qui pouvait réanimer une politique agonisante ? Et bien, maintenant il s’agit de défendre cet esprit. A Gênes, des centaines de milliers d’hommes et de femmes ont défié, avec des formes et des langages différents, l’arrogance des zones interdites : cela a constitué, à mon avis, l’un des plus hauts moments de démocratie par le bas que ce pays ait jamais exprimé, un patrimoine de contestation qui doit être défendu et soustrait aux chambres des tribunaux. Des chambres de justice où personne n’est jamais entré, et peut-être n’entrera jamais, pour le meurtre d’un garçon qui s’appelait Carlo Giuliani.

http://www.amnistia.net/news/articles/cerclsub/cerclsub.htm