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Cesare Battisti : Un goût de l’encre épanoui dans le polar

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

Battisti s’est évadé des années de plomb en les racontant dans une douzaine de livres.

Cela fait une vie que Cesare Battisti, né en 1954, ne cesse de s’évader d’un milieu familial très modeste, de son lycée qu’il quitte pour faire de la politique et se lancer dans l’aventure des armes, de la prison de Latina, d’où il s’extrait avec l’aide de ses camarades postés dehors, de la lutte armée elle-même, enfin, quand, les années de plomb arrivant à leur terme, il s’installe dans la fuite, l’exil, et la crainte d’un retour à la case départ. Mais, entre-temps, Battisti a trouvé sa destination et probablement son salut dans l’écriture. Et pourtant ce n’était pas donné : s’il avait trouvé une manière exaltante de s’exprimer dans l’action, c’était aussi à cause de son dégoût persistant envers les mots, fussent-ils écrits. Puis vint le Mexique, l’amitié avec Paco Taibo-II, qui lui met la main à la plume, et la collaboration à un journal culturel, qui prend de l’importance. Le goût de l’encre ne le lâche plus et, revenu en France, il veut en téter encore et encore.

Noirceur. Fascinée, charmée, la communauté du polar s’ouvre à lui. Voilà quelqu’un qui sait de quoi il parle, et qui jamais ne pourra considérer l’écriture comme une arme. Un peu à l’inverse de ce qui est arrivé à un certain nombre d’auteurs de polars français et de gauche, qui s’étaient investis dans le genre après Mai 68. En une quinzaine d’années, une douzaine de livres, écrits en italien, voient le jour, notamment Buena onda, Avenida revolucion, Jamais plus sans fusil, et, tout récemment, le Cargo sentimental. Des polars certes, mais aussi deux livres pour enfants, et d’autres qui sortent du cadre du policier, bien qu’ils en gardent une certaine noirceur, pour explorer des dimensions plus aérées, plus complexes du récit, des romans plutôt autobiographiques en forme de fuite et de retour sur les lieux et les gens du temps des exploits et de la défaite.

Dans ses livres, Cesare Battisti (re)explore ces différents univers : le monde des réfugiés en exil, pas toujours reluisant, victime souvent d’une sorte de strabisme entre un passé figé en destin et un avenir qui en dépend trop pour être vraiment ouvert ; ses pays d’accueil successifs, le Mexique, le Nicaragua, la France ; la montée aux extrêmes, en Italie, la sécession armée, avec ses cortèges de larmes, de deuils, de siècles de prison, et le sens d’une communauté « autonome » ensevelie dans ses propres décombres.

« Terminus ». C’est tout cela que Battisti donne à voir et à comprendre, de l’intérieur. Sa phrase est pleine d’énergie contenue alors que lui-même semble partir à l’assaut de la page comme d’une banque, avec méticulosité, hardiesse, rythme, fantasia. La page, Battisti l’a vraiment tournée. Dans l’envoi de Dernières Cartouches, paru chez Joëlle Losfeld en 1988, il écrivait : « J’ignore le moment précis et les raisons qui m’ont poussé à imprimer un tournant à ma vie, mais j’ai probablement compris, d’une façon ou d’une autre, que j’étais arrivé au terminus, et cela a constitué mon salut. J’ai échappé au boyau mortel dans lequel je m’étais fourvoyé par un simple glissement de l’angle sous lequel j’observais les choses. »

Par Jean-Baptiste MARONGIU

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