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Cesare Battisti : La France a toujours protégé ces exilés

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

Ils sont une centaine qui vivent en France depuis des années, y ont refait leur vie, travaillent, se sont mariés, ont des enfants. Cesare Battisti fait partie de ces exilés des années de plomb qui ont secoué l’Italie à la fin des années 70. Comme ses camarades, anciens des groupes prônant la lutte armée, il a été, dans son pays, condamné en son absence il était en fuite entre autres sur la foi de « repentis » à qui l’on avait promis l’impunité en échange de leurs accusations. Pour Battisti, leader des Prolétaires armés pour le communisme, ce fut, en 1987, la réclusion à perpétuité pour quatre meurtres qu’il nie et 60 braquages. Des faits commis avant 1978.

Promesse. En 1979, il est incarcéré en Italie, s’évade, fuit au Mexique. En 1990, il revient en France, est arrêté (comme mardi) à la demande de l’Italie. Mais, le 29 mai 1991, la chambre d’accusation de Paris donne un avis « défavorable » à son extradition. Entre autres, parce que l’Italie et contrairement à ce qu’a déclaré Perben sur LCI dimanche ne rejuge pas les condamnés par contumace, ce qui heurte les principes du droit français. Entretemps, en France, les demandes d’extradition se multiplient. Chaque fois, ou presque, la justice française les refuse pour des questions de principes. Il faut sortir de l’impasse et des discussions commencent entre les avocats des Italiens et les plus hautes autorités de l’Etat. « Il s’agissait, a confié Louis Joinet, alors conseiller à l’Elysée, de faciliter le cheminement de ceux qui cherchaient à sortir de la lutte armée. (...) Nous pensions que le risque était grand de voir ces Italiens retourner à la clandestinité, soit le plus sûr moyen d’alimenter les dérives issues du terrorisme » (Libération du 23 septembre 2002). Le 20 avril 1985, après longue réflexion, François Mitterrand déclare : « Prenons le cas des Italiens, sur quelque 300 qui ont participé à des actions terroristes avant 1981, plus d’une centaine sont en France, ont rompu avec la machine infernale, le proclament et ont abordé une deuxième phase de leur vie. J’ai dit au gouvernement italien que ces Italiens étaient à l’abri de toute sanction par voie d’extradition et que ceux qui poursuivent des méthodes que nous condamnons, eh bien, nous le saurons, et, le sachant, nous les extraderons ! » Aucun de ces Italiens ne trahira la promesse faite à l’Etat français et aucun gouvernement ni de gauche ni de droite ne démentira la « doctrine Mitterrand ».

Protection. En 1998, Sergio Tornaghi est arrêté, alors qu’il avait bénéficié en 1986 d’un avis défavorable à l’extradition. Et la justice le relâche, en vertu de la règle « non bis in idem », selon laquelle on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. C’est exactement le cas de Battisti aujourd’hui. Comme pour Tornaghi, la demande italienne est nouvelle, concernant l’exécution de sa peine. Mais elle porte sur les mêmes faits, déjà invoqués en 1991. C’est pourquoi ses avocats, Irène Terrel et Jean-Jacques de Felice, parlent d’une « protection juridique de la France absolue qui s’impose au gouvernement ». Si, en août 2002, Palo Persichetti a été extradé en une nuit vers l’Italie, son cas est absolument différent. Il avait été condamné pour des faits très postérieurs (1987) à ceux reprochés aux autres et l’avis des juges était « favorable » à l’extradition, ce qui a permis ce rapatriement éclair.

Longue procédure. Au ministère de la Justice, on explique à propos de Battisti que « la procédure d’extradition repart à zéro ». Mais, signe des relations et des accords nouveaux sur le sujet entre les ministres français et italien, on dit aussi, en privé, qu’en cas d’avis favorable des juges, l’extradition de Battisti ne fera aucun problème. La procédure en tout cas durera de longs mois. Le 3 mars, les avocats de Battisti plaideront devant la cour d’appel de Paris sa mise en liberté. « Il doit être libéré, assurent-ils, d’autant qu’en 1991, il l’avait été et s’était représenté à la Justice, alors que sa situation était bien plus dangereuse qu’aujourd’hui. » Battisti, écrivain reconnu, a un titre de séjour depuis 1997, vit avec sa compagne française, voit souvent ses deux filles de 19 et 9 ans, nées d’un précédent mariage. Depuis quatre ans, avec Mariette, sa compagne, il était concierge dans un immeuble parisien. C’est là que les policiers de l’antiterrrorisme l’ont arrêté mardi. Comme ses camarades, Battisti aspirait à ce qu’un jour soit reconnu « un droit à l’oubli ».

Par Dominique SIMONNOT

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