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Sarkozy : son bilan au ministère de l’Intérieur

Publie le vendredi 30 mars 2007 par Open-Publishing

Article de Laurent Mouloud (Humanité)

À l’heure du départ, un premier constat s’impose : rarement ministre n’aura autant marqué de son empreinte la Place Beauvau. Et utilisé à son profit toutes ses subtilités. De fait, dès son arrivée en 2002, Nicolas Sarkozy a mis le ministère au service de son ambition personnelle. Délinquance, justice, immigration... Quel bilan ? « Mitigé », « contrasté », répondent poliment les syndicats de police. « Catastrophique », complètent les associations de défense des droits de l’homme. « Son départ est une bonne nouvelle pour l’État de droit », résume, de son côté, le Syndicat de la magistrature (SM). Qui, comme beaucoup d’autres, dénonce déjà les terribles années Sarkozy. Décryptage.

Un durcissement de la délinquance

Ah, l’ivresse des statistiques... Le 11 janvier dernier, Nicolas Sarkozy autocélébrait son bilan : « Depuis 2002, la délinquance a baissé de 9,4 %. » Du jour où l’homme a posé le pied Place Beauvau, la courbe des crimes et délits s’est inversée. Miracle ? Non, si l’on sait que ces chiffres sont uniquement ceux enregistrés ou révélés par la police et la gendarmerie. En clair : ils reflètent, ni plus ni moins, l’activité administrative des services mesurée par... eux-mêmes ! Culture du résultat, prime au mérite, convocation des « mauvais élèves » : en maniant la carotte et le bâton, Nicolas Sarkozy a su pousser la hiérarchie à produire de « bons chiffres ».

Le décalage avec la réalité est flagrant. Une enquête de « victimation » menée par l’Observatoire national de la délinquance (OND) et l’INSEE estime ainsi à 12 millions, le nombre de faits de délinquance commis en 2005. Là où les statistiques policières n’en avaient compilé que 3,7 millions... Derrière cet écran de fumée, le constat sur le terrain est accablant. Jamais le nombre de « violences aux personnes » - la délinquance la plus traumatisante - n’a été aussi élevé : plus 14 % entre 2002 et 2006, d’après les seules statistiques du ministère.

La suppression de la police de proximité, conjuguée à une rhétorique guerrière, n’a fait qu’empirer la situation. De l’aveu même des policiers, les relations avec les jeunes des cités populaires sont aujourd’hui exécrables. « Depuis les émeutes d’octobre 2005, on est les flics de Sarko, ceux qu’il faut se payer ! », s’énerve un brigadier de Seine-Saint-Denis. Les procédures pour « outrage et rébellion » encombrent désormais les tribunaux. Tandis que la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) voit augmenter chaque année le nombre de ses saisines pour violence policière.

La justice dans le viseur

« C’est le garde des Sceaux officieux... » Durant cinq ans, Nicolas Sarkozy n’a jamais cessé de se mêler de justice. Pas pour son bien. Loi sur la sécurité intérieure, loi Perben 1 et 2, loi sur la récidive, loi sur le terrorisme, loi sur la prévention de la délinquance... De tous ces textes sécuritaires élaborés par le gouvernement, le ministre de l’Intérieur, adepte de la tolérance zéro des néoconservateurs américains, en a été, soit l’auteur, soit l’inspirateur. Avec une stratégie bien rodée : s’appuyer sur les faits divers pour se rallier l’opinion publique et faire pression sur la justice. Ce que le magistrat Denis Salas appellera le « populisme pénal ».

Les prostituées, les gens du voyage, les immigrés, les récidivistes, les mineurs délinquants... Chacun aura droit à ses mesures autoritaires, axées sur un allongement des peines, une extension des fichiers de police et un recours accru à l’incarcération. « L’action de Nicolas Sarkozy, analyse le SM, restera marquée par la mise en oeuvre d’une politique répressive implacable à l’égard de catégories fragiles de la population érigées en boucs émissaires. »

Son passage Place Beauvau restera aussi synonyme de vives tensions avec les magistrats. Nicolas Sarkozy a multiplié les provocations à leur encontre. En juin 2005, il veut faire « payer sa faute » au juge qui avait accordé une libération conditionnelle au meurtrier présumé de Nelly Crémel. Et tente de faire avaler sa proposition de « peines planchers automatiques ». Il sera désavoué par le Conseil constitutionnel... mais poussera le gouvernement à durcir la législation en matière de récidive. En septembre 2006, Nicolas Sarkozy, partisan d’une remise à plat de l’ordonnance de 1945, dénonce, cette fois, le « laxisme » des juges de Bobigny. Poussant les plus hautes autorités judiciaires a en appeler au président Chirac. Du jamais-vu.

La chasseaux immigrés

Des policiers aux portes des écoles, une directrice de maternelle en garde à vue, des enfants de sans-papiers vivant dans la crainte d’être chassés de France... L’affaire de Belleville (lire ci-dessous) restera comme l’un des symboles de la politique de Nicolas Sarkozy en matière d’immigration. Depuis cinq ans, le ministre de l’Intérieur a axé toute son action sur l’idée chère à l’extrême droite du « contrôle des frontières ». « Les immigrés sans papiers n’ont pas vocation à rester en France », a-t-il martelé à plusieurs reprises. Résultat, une politique d’expulsion drastique : 82 000 sans-papiers raccompagnés depuis 2002 dont 24 000 pour la seule année 2006, soit 140 % d’augmentation en cinq ans.

Nicolas Sarkozy laisse derrière lui une loi relative à l’immigration, entrée en vigueur le 24 juillet 2006. Mais d’ores et déjà, sa politique de dissuasion a des conséquences dramatiques. Le 12 mars dernier, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a confirmé ainsi la chute spectaculaire de la demande d’asile en France : - 40 % ! Un chiffre qui réjouie, paraît-il, Nicolas Sarkozy. Mais fait honte au pays des droits de l’homme.

"Un véritable relais du FN"

Entretien avec Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme.

En matière de libertés, le bilan de Nicolas Sarkozy s’inscrit, dites-vous, dans une certaine continuité.

Jean-Pierre Dubois. On ne peut pas dire que Nicolas Sarkozy ait véritablement inventé des régressions de libertés parce que ce qu’il a poursuivi et aggravé, comme la manière d’utiliser la police qui, elle, ne passe pas par le Parlement, relève de tendances anciennes. Le recul des libertés face au sécuritaire existe au moins depuis le début de la crise sociale du début des années soixante-dix, avec la loi sécurité-liberté d’Alain Peyrrefite. Simplement, depuis cette époque, il y a eu des coups d’accélérateur, quelques coups de frein aussi, la gauche a tenté à quelques reprises de changer de direction, mais de manière incroyablement timide. Ce n’est donc pas nouveau et cela va dans le sens d’une évolution générale qui n’est pas propre à la France d’ailleurs. C’est aussi comme cela dans d’autres pays. Les attentats terroristes ont aidé beaucoup de gouvernements à légiférer en ce sens.

Pour autant, avec Nicolas Sarkozy, n’y a-t-il pas changement de nature avec la « rupture » prônée ?

Jean-Pierre Dubois. Le quantitatif finit effectivement par faire changer de nature l’évolution des lois. L’accumulation de lois fait que toute la société a glissé. La droite peut reprendre sans aucun problème des thématiques qui étaient l’apanage auparavant de l’extrême droite. Il y a cinq ans, mêler immigration à identité nationale était impensable pour un homme politique, fut-il de droite. Le résultat de ce « quantitatif », c’est que la droite glisse vers l’extrême droite, tandis qu’une partie de la gauche glisse à droite aussi dans ce domaine. La stratégie de Nicolas Sarkozy d’aller vers le FN pour le réduire ne fait qu’en augmenter l’influence culturelle. L’emploi du terme de « droit de l’hommisme », forgé au sein du GRECE, laboratoire d’idées de l’extrême droite, c’est le symbole de cela. Nicolas Sarkozy a été un excellent relais du FN depuis cinq ans. Grâce à lui, et à la chaîne gouvernementale qui remonte jusqu’à Jacques Chirac, on peut dire que l’essentiel du programme du FN de 2002 a été mis en oeuvre dans deux domaines : la restriction des libertés et l’obsession de la chasse à l’étranger. Même si M. Le Pen fait à cette élection un score moins bon qu’il y a cinq ans, les idées de M. Le Pen feront un meilleur score qu’il y a cinq ans. C’est ça, le vrai bilan de Nicolas Sarkozy.

Entretien réalisé par Lionel Venturini

Arnaud Mouillard - http://hern.over-blog.com/