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Aillagon : Six fronts culturels ouverts en vingt mois

Publie le samedi 21 février 2004 par Open-Publishing

Intermittents ou journalistes, les grévistes se plaignent des choix et d’un
manque de communication.

Par SERVICES CULTURE et MEDIAS

En vingt mois, Aillagon a été confronté à certains dossiers chauds. Revue de
ces fronts culturels où le ministre a perdu une part de son crédit.

Intermittents : le blocage

Le ministre a réussi à se mettre à dos presque tout ce que le pays compte de
comédiens, metteurs en scène, danseurs, musiciens, directeurs de théâtres,
cameramen, producteurs ou régisseurs. Soit, au bas mot, 100 000 personnes
pour celles relevant de l’intermittence. Se retranchant derrière son
« incapacité à agir devant des négociations de partenaires sociaux », il a
abandonné ce pan de la culture une nuit de juin dernier quand le protocole
rétrécissant les droits des intermittents a été paraphé.

Cette apparente impuissance pendant la crise estivale, qui a vu l’annulation
des festivals d’Avignon et d’Aix, avait été précédée par un vrai refus du
dialogue. Le 18 février 2003, lors de la réunion plénière du Conseil
national des professions du spectacle, il déclarait : « Dans ce pays, il y a
trop de compagnies, trop d’artistes qui produisent parfois des spectacles
médiocres. Tout cela coûte très cher. » Une langue à l’emporte-pièce où le
ricanement a supplanté l’expertise savante. Le 4 septembre, à la suite d’une
nouvelle journée d’action qui réunit, à Paris, 10 000 manifestants contre la
réforme de l’assurance chômage des intermittents, le ministre déclare encore
que « la position du gouvernement est irréversible ». Cette manière de vouloir
régler les problèmes en faisant comme s’ils n’existaient plus risque de se
retourner contre lui : car quel peut être le destin d’un ministre si deux
festivals d’Avignon sont annulés ?
(Lire aussi le portrait en p. 48)

Edition : Hachette met le feu aux poudres

A priori, les relations du ministre de la Culture avec le monde du livre se
présentaient bien. Jean-Jacques Aillagon héritait de la préparation par
Catherine Tasca d’une loi sur le « droit de prêt en bibliothèque » propre à
lui concilier la faveur des libraires et des éditeurs. C’était sans compter
avec les déboires de Vivendi Universal et ses retombées
politico-économiques. La mise en vente de VUP, leader de l’édition dans
l’Hexagone, annonce un séisme : voir, par exemple, Plon, « l’éditeur du
général de Gaulle », tomber entre des mains étrangères, risque national
aussitôt identifié par Jacques Chirac. Propriétaire de Hachette, ami de
l’Elysée, Jean-Luc Lagardère rafle VUP avec la bénédiction déclarée de la
rue de Valois et prétend constituer un mastodonte, regroupant 70 % de la
distribution du livre et 45 % de l’édition. Plus sensibles au risque du
monopole que constituerait la fusion Hachette-VUP, les libraires et trois
éditeurs indépendants (Gallimard, Le Seuil, La Martinière) lèvent le drapeau
de la révolte jusque devant les autorités de la concurrence européenne.
Aillagon s’enferre dans une tentative de table ronde de conciliation, mais
les contestataires n’en démordent pas. La Commission de Bruxelles leur
prêtera meilleure oreille que le gouvernement français. Une claque de plus.
Arnaud Lagardère, successeur de Jean-Luc, a donc dû transiger sur un rachat
partiel, en s’engageant à rétrocéder la majeure part de VUP.

Internet : des pirates partout

D’un côté, il semblerait que les 8 millions d’internautes français qui ont
échangé des fichiers en 2003 soient « des pirates », que Jean-Jacques Aillagon
traite de voleurs : « Il n’y a aucune différence entre le vol à l’étalage et
le piratage d’une oeuvre sur Internet », dit-il au Midem, en janvier, point
d’orgue d’un soutien sans faille à l’industrie musicale au bord de la crise
de nerfs (chute des ventes de 9 % au premier semestre 2003). De l’autre, il
« souhaite que 2004 soit l’année des arts numériques », sans toutefois le
traduire en un quelconque programme ni réfléchir à de nouveaux circuits
économiques de la culture. Aillagon fait sienne la terminologie sans nuance
des lobbies des industries culturelles menacées par les téléchargements
massifs de fichiers (musique et films). Les propos du ministre sont
« scandaleux », selon l’UFC-Que choisir, qui dénonce un « ministre de
l’industrie culturelle et du monopole qui ne rend pas service au
consommateur et à la création ».

Cinéma : le retour de la censure

Sorti avec un visa « interdit aux moins de 16 ans », Ken Park de Larry Clark
vient d’être reclassé « moins de 18 ans » par Jean-Jacques Aillagon. Cette
décision aggrave les inquiétudes des organisations de cinéastes (SRF, ARP)
face au renforcement de la censure. Jugée trop laxiste par le ministre de la
Famille alors qu’elle fonctionnait depuis des décennies sans aucune
contestation, la Commission de classification des films sera recomposée le
1er mars. Les associations familiales et médicales y siégeront en plus grand
nombre (6 sièges sur 9) et les modalités de vote seront facilitées : plus
besoin de vote à majorité qualifiée pour les interdictions aux moins de 18
ans, la classification X ou l’interdiction totale. Pour Marc-Olivier Sebag
(Syndicat des producteurs indépendants), « on va passer à la bagarre film par
film ».

Audiovisuel public : grèves à répétition

Quand les journalistes démarrent la grève à Radio France, fin janvier, ils
ne sont guère optimistes. Trois semaines plus tard, ils sortent amers mais
« dignement », disent-ils, d’un mouvement qui a trouvé face à lui le même
« mur » qu’ont affronté les intermittents ou les enseignants. Ils obtiennent
une augmentation de salaires, mais pas l’alignement de leurs rémunérations
sur leurs collègues de la télévision publique. Aillagon s’y est formellement
opposé. Pas question non plus de mettre sur pied un plan salarial sur
2005-2007. Là encore, Aillagon met son veto : « Cavada ne peut pas s’engager
pour l’avenir. » « Le ministre de la Culture, aujourd’hui, c’est Bercy ! »,
résume un gréviste. Lors d’une longue grève à France Télévisions en décembre
2002, Aillagon avait eu la même réaction : « On laisse les patrons
patronner », dit-on rue de Valois.

Pourtant, en réalité, depuis son arrivée, il n’hésite pas à jouer les
directeurs des programmes et à « patronner » à la place de Marc Tessier.
Première décision d’Aillagon : ratiboiser les projets en matière de
télévision numérique terrestre (TNT) au prétexte que « c’est beaucoup
d’argent ». Au passage, la chaîne publique d’infos en continu qui devait voir
le jour a disparu. TF1 se frotte les mains. Côté programmes, Aillagon s’en
donne à coeur joie. « On n’a jamais vu autant d’interventions sur nos
programmes depuis Peyrefitte », se plaignent certains.

Archéologie : retour en arrière

Après vingt-cinq ans d’hésitations et de conflits, la gauche avait, en 2001,
pourvu l’archéologie préventive d’une loi et d’un vrai statut. Jean-Jacques
Aillagon l’en a dépourvue. Ces archéologues qui interviennent en amont des
grands chantiers d’aménagement travaillaient dans un établissement public
qui avait le monopole des fouilles préventives. Trop cher. Sous la pression
d’élus locaux et nationaux, le gouvernement a révisé cette loi dans un sens
libéral. Désormais, l’aménageur choisit l’organisme qui exécutera les
fouilles. Grèves et manifestations des archéologues, soutien des
scientifiques et de l’opinion, rien n’y a fait.

2004 : Une année France

Les quatre dernières « ambitions » de Jean-Jacques Aillagon, annoncées le 19
janvier, énoncent une action 2004 plutôt franchouillarde, fleurant le bon
ton rétrograde. Au menu : le Passeport pour la France, le Pique-Nique de la
fraternité, l’exposition « France » et la rénovation du Panthéon. L’âge de 18
ans, signalant la qualité d’électeur, permettra donc dès cette année
d’obtenir un Passeport pour la France, valable une fois dans la vie pour une
visite gratuite des monuments, domaines et musées nationaux. Idée piquée aux
célébrations de l’an 2000, le Pique-Nique de la fraternité, prévu le 26 août
prochain (anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme), propose
pour toute culture « de partager dans chaque village de France un repas
festif et convivial ». Un sommet est atteint avec l’exposition « France », qui
devrait tourner dans huit villes, commençant par un premier sacre à Reims.
Elle est « destinée à dresser un portrait généreux de la France dans sa
diversité ». Enfin, le Panthéon « devra devenir un véritable mémorial de la
France et le drapeau de la République y flottera en permanence ».