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Cesare Battisti, les dénis de la chancellerie

Publie le lundi 23 février 2004 par Open-Publishing

Polémiques sur les arguments du garde des Sceaux pour demander l’extradition.

Manipulation politique ou concours de circonstances ? L’arrestation de Cesare Battisti, ancien membre du groupuscule italien Prolétaires armés pour le communisme, exilé en France et auteur de polars reconnu, continue de susciter la polémique. Vendredi, le ministère de la Justice a réagi aux accusations de « mensonge » proférées par ses avocats, Me Irène Terrel et Jean-Jacques de Felice. Démarche rare et exaspérée.

Extradition. Les défenseurs de l’écrivain avaient mis en cause la chancellerie, qui semblait s’être réfugiée derrière une banale plainte de voisinage, le 10 février, dans un immeuble parisien où Battisti arrondit ses fins de mois comme gardien, pour justifier sa procédure d’extradition en Italie.

Les services du garde des Sceaux conviennent que « les autorités judiciaires italiennes ont présenté en janvier 2003 une nouvelle demande d’extradition ». Mais ils ne racontent qu’une partie de l’histoire. Le 11 septembre 2002, Dominique Perben rencontrait son homologue italien Roberto Castelli (membre de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi).

Le cas des réfugiés italiens en France, anciens activistes d’extrême gauche, a constitué l’un des principaux points de leurs discussions. Selon nos informations, le 20 mai 2003, Perben écrivait au parquet général de Paris pour lui demander de « bien vouloir procéder à l’interpellation de Cesare Battisti en vue de sa présentation à l’autorité compétente pour décerner à son égard un écrou extraditionnel ». Les avocats de l’écrivain confirment l’existence de cette lettre, la chancellerie ne la dément pas. L’entourage de Perben indique simplement que l’incident de voisinage a pu « réveiller ou accélérer une procédure très longue », tout en admettant que Battisti, ayant une « activité littéraire connue », n’était pas bien difficile à retrouver par les services de police. Surtout depuis la publication de son dernier livre, le Cargo sentimental.

Il s’agit donc bien d’un deal politique de haut niveau entre la France et l’Italie, afin de remettre de l’huile sur le feu des actions armées des années 70 pour le plus grand plaisir de Silvio Berlusconi. En rupture totale avec la « doctrine » Mitterrand qui, en 1985, accordait la tranquillité à ceux qui ont « rompu avec la machine infernale ».

Vice de forme. Pour les avocats de Battisti, à la « trahison de la parole donnée » s’ajoute une « violation de la chose jugée ». En 1991, la chambre de l’instruction avait rejeté une première demande d’extradition.

Le communiqué de la chancellerie publié vendredi croit utile de préciser que ce refus avait été uniquement motivé par des « vices de forme », afin de justifier la relance de la procédure d’extradition, sur laquelle la chambre de l’instruction va statuer à nouveau le 3 mars.

L’argument fait bondir Me Terrel : « Dans une procédure d’extradition en soi, on ne peut statuer sur le fond de l’affaire ; il ne s’agit que d’examiner la régularité de la demande. » En l’occurrence, la cour estimait en 1991 que Battisti, condamné à Milan trois ans plus tôt en son absence à une réclusion à perpétuité pour quatre homicides (qu’il nie) et une soixantaine de braquages, ne serait pas rejugé cette fois en sa présence par la cour d’assises de Milan. Contrairement au droit français, il irait directement purger sa peine en prison. Le communiqué de la chancellerie tente de contourner l’obstacle en soulignant que Battisti était « représenté » par un avocat lors de son procès en 1988, comme si cela valait présence effective.

Changement. Les avocats de Battisti se plaignent de n’avoir pas obtenu copie de l’intégralité du dossier. Dans les documents fournis figure une précédente demande d’extradition de 1997, mais elle avait alors été refusée par le gouvernement Jospin. C’est bien à partir de 2002 que Perben a relancé la machine. « Il y a changement d’attitude de la France et je l’assume », disait-il alors. Avec son homologue italien, il semblait pourtant avoir décidé de passer l’éponge sur les faits commis avant 1982 c’est le cas de Battisti, les homicides reprochés datant de 1977 et 1979. Vendredi, la chancellerie précisait que le droit à l’oubli concerne les « condamnations » antérieures à 1982. Avec cette nuance, exit Battisti.

Par Renaud LECADRE et Armelle THORAVAL