Accueil > Cesare Battisti : l’État français aux ordres de Berlusconi

Cesare Battisti : l’État français aux ordres de Berlusconi

Publie le lundi 23 février 2004 par Open-Publishing

Christophe Kantcheff

À la suite d’une demande d’extradition, Dominique Perben a jeté Cesare Battisti en prison. Au mépris du droit.

L’écrivain Cesare Battisti est détenu dans les geôles de la République française, à la prison de la Santé à Paris, depuis le 10 février. « Il était recherché », a-t-on dit au ministère de l’Intérieur (Libération du 11 février). Cesare Battisti était donc un homme « recherché » facile à trouver : il vivait, au vu et au su de tous, dans le IXe arrondissement de Paris, avec sa compagne et ses deux enfants. C’est là également qu’il écrivait ses romans. Sans doute ne pouvait-il concevoir ce qui est arrivé : non seulement l’État de son pays, l’Italie, a formulé une demande d’extradition à la France, mais celle-ci s’est empressée de réagir positivement en le mettant immédiatement en prison.

Tous les lecteurs de Cesare Battisti, des Habits d’ombre, son premier roman dans la Série noire de Gallimard (1993), jusqu’au Cargo sentimental, son dernier opus en date, publié en 2003 par Joëlle Losfeld, savent que l’écrivain a fait de son passé d’activiste dans les « années de plomb » italiennes une matière littéraire. Mais c’est la réalité de cet engagement qui le rattrape indûment aujourd’hui. Membre de Prolétaire armé pour le communisme, une organisation qui prônait la lutte armée, il a été incarcéré en 1978, avant de s’évader deux ans et demi plus tard pour se réfugier au Mexique. Mais c’est seulement en 1987, au cours d’un de ces procès politiques où les repentis se défaussent en chargeant les absents, que Cesare Battisti a été condamné à la perpétuité par contumace pour soixante braquages et quatre meurtres, qu’il a toujours niés, dont deux ont été commis le même jour, à la même heure, à Venise et à Milan.

Pour ces accusations, Cesare Battisti, lors de son arrivée en France en 1990, avait déjà fait l’objet d’une demande d’extradition que la justice française avait alors repoussée. Mes Irène Terrel et Jean-Jacques de Felice, ses défenseurs, ne manquent pas de le rappeler : « Le 29 mai 1991, la chambre d’accusation de Paris a donné un avis défavorable total à son extradition. Par conséquent, il a la protection juridique de la France », en vertu du principe de droit selon lequel on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. En outre, à partir de 1985, François Mitterrand avait garanti de sa protection les réfugiés italiens, à condition que ceux-ci aient abandonné tout lien avec leurs activités politiques passées.

Mais cette « doctrine Mitterrand » a été enterrée par le ministre de la Justice, Dominique Perben, depuis le 25 août 2002, quand celui-ci a permis l’extradition de Paolo Persichetti, qui, en moins de vingt-quatre heures, s’est retrouvé derrière les barreaux d’une prison italienne. À propos de Cesare Battisti, Dominique Perben a déclaré que les services de police ont découvert que l’écrivain était sous le coup d’une demande d’extradition en enquêtant sur une menace de mort qu’il aurait proféré à l’encontre d’un de ses voisins (« le Grand Jury » RTL, 15 février). Le hasard ferait donc bien les choses. Voilà qui évite de dire à quel point le ministre est attentif aux exigences du gouvernement italien. Or, un axe Perben-Sarkozy-Berlusconi n’est absolument pas à exclure sur ce dossier. On peut aussi craindre qu’il s’agisse d’un ballon d’essai pour le mandat d’arrêt européen.

Une forte mobilisation des amis écrivains de Cesare Battisti et de nombreux citoyens s’organise pour empêcher que sa vie soit brisée (plusieurs milliers de signatures ont déjà été recueillies au bas d’une pétition exigeant sa « libération immédiate ») (1). Tous les partis de gauche ont formulé la même exigence. Mes Terrel et De Felice ont déposé une demande de mise en liberté qui sera examinée par la chambre d’appel de Paris le 3 mars.

(1) www.mauvaisgenres.com