Accueil > DE LA CENSURE ET DE L’INFORMATION À DESTINATION DU PEUPLE

DE LA CENSURE ET DE L’INFORMATION À DESTINATION DU PEUPLE

Publie le samedi 21 avril 2007 par Open-Publishing
5 commentaires

de Denis Robert

Jamais je n’aurais imaginé en arriver à devoir me défendre comme je le fais. Mon métier, c’est d’écrire. J’en arrive parfois à être dégoûté de l’exercer. Ce n’est pas une lubie passagère, ni une panne d’inspiration, ni un sentiment irrémédiable. Je déborde de projets, mais ce matin, en descendant à mon bureau, un appel de mon avocat m’a tout à coup arrêté.

Il m’apprend que Clearstream envoie les huissiers pour une saisie sur mes comptes personnels. Environ huit mille euros me sont réclamés. Jusqu’à présent les huissiers m’amenaient des plaintes par paquet de dix mais c’est la première fois qu’il menace de bloquer mes comptes. C’est à la suite d’une énième plainte de Clearstream contre une interview tronquée publiée par VSD en juin dernier. De toutes les galères (et les bonheurs) que je vis depuis que je me suis intéressé au fonctionnement trouble de la multinationale luxembourgeoise, cette condamnation est ce que j’ai le plus de mal à accepter.

Tant elle est imméritée. Je suis condamné en première instance et pour diffamation alors que je ne me suis pas défendu sur le fond, ne reconnaissant pas mes mots dans la présentation faite par l’hebdomadaire. Cette décision est exécutoire. Ce qui est exceptionnel en matière de diffamation. Même si j’ai fait appel, je dois payer. Il y a généralement entre des parties opposées une sorte de
gentlemen agreement pour attendre l’appel avant d’exécuter un jugement.

Là, l’huissier vient de recevoir l’ordre impératif de récupérer des
fonds. Mes fonds.

Il y a volonté délibérée de me faire payer, au sens propre comme au
figuré. Si la somme n’est pas anodine, je fais d’abord une question de
principe de cette menace. Elle me permet d’expliquer comment s’exerce
aujourd’hui la censure en France. Je rappellerai seulement que le
chiffre d’affaires de la multinationale basée à Luxembourg, mais qui
compte pour clients les plus grandes banques de la planète s’est élevée
à près de vingt milliards d’euros l’an passé.
Clearstream et son avocat ont appris à faire un amalgame entre l’affaire
du corbeau qui occupe les journaux français depuis un an et celle des
comptes non publiés qui permettent de dissimuler des transactions qui
les fatigue par sa complexité supposée. Ma mise en examen en décembre
dernier pour recel d’abus de vol et d’abus de confiance devant les juges
d’Huy et Pons n’a rien arrangé. Je suis à tort présenté comme celui qui
a initié la manipulation de listing, alors que ma contre-enquête publiée
en juin dernier débloque l’instruction et dédouane Clearstream. Passons…

Le service juridique de la multinationale va maintenant pouvoir faire
publier (en partie à mes frais, ça me mine) dans des journaux français
et étrangers le fait que j’ai été condamné pour avoir dit (à VSD) qu’ils
étaient « un poumon de la finance parallèle ». C’est le but de
l’exécution de ce matin.

Il suffit de jeter un œil aux annexes de mes livres ou aux listings
authentifiés par la firme et publiés dans la presse, de comptabiliser
les comptes ouverts dans les 40 paradis fiscaux alimentés par des
milliers de clients de Clearstream pour ne pas douter du rôle
fondamental joué, au moins jusqu’en 2002, par ce poumon financier dans
ce qu’on peut appeler « l’économie grise ». Doux euphémisme. Si ces
clients peuvent ouvrir au sein de la chambre de compensation ces comptes
(entre 6000 et 7000 selon mes calculs et les listes de 2001) dans ces
lieux protégés des regards importuns et faciliter ainsi les transferts
de milliards d’euros en les rendant inaccessibles à tout contrôle, ce
n’est pas alimenter une finance parallèle, qu’est ce que c’est ?

Je rends publique cette question. Je ne devrais pas. Là, intervient la
censure. Aujourd’hui, poser cette interrogation légitime et de bon sens
(me) fait prendre un risque judiciaire et financier. Ce n’est pas une
mais plusieurs dizaines de plaintes en diffamation qui courent en ce
moment contre moi, mon éditeur ou la chaîne qui a eu le malheur (ou le
courage, c’est selon) de diffuser mes films... J’ai tout gagné jusqu’à
présent sauf ce foutu procès VSD et les deux procès contre mon premier
livre et mon premier film où j’ai été condamné deux fois à un euro et où
j’ai fait appel. Ceux qui en douteraient peuvent facilement le vérifier
sur le Net (tapez Google ou
http://www.ladominationdumonde/blogspot.com). Cette situation marque une
régression démocratique. Un abus de position dominante. C’est un viol
supplémentaire et intolérable à la liberté d’informer et d’écrire.

A trop laisser faire, on ne finira pas tous au paradis mais à l’ANPE.
C’est de cela qu’il s’agit. L’argent ainsi subtilisé par les champions
de la Forbes academy ne naît pas de rien, n’est pas virtuel. L’argent
qui fuit est celui des hommes qui travaillent. Passons…

Je reçois ces derniers jours, suite aux remous récents suscités par
l’affaire du corbeau, des appels de journalistes. Tous me racontent le
couplet servi par l’oiseau de mauvaise augure chargé de la communication
de la Clearstream Company. Il passe ses journées à faire la tournée des
rédactions et mettre en avant « ma » condamnation (elle finira en
légion d’honneur…). Il prévient que je ne suis « pas fiable », que je
suis « seul et de plus en plus isolé », que j’ai « perdu tous mes
procès », que je suis « quémandeur d’un accord »… Il envoie
complaisamment par fax les pages du dernier jugement (merci pour les
copies). Ces journalistes à qui j’ai parlé rendent compte qu’un « cordon
de sécurité » serait tendu autour de mon travail. Ce n’est pas une
découverte. Je sens le souffre et la sueur altermondialiste. Denis
Robert est excessif. C’est un poète. Un Jules Verne de la finance. Il a
pété les plombs. Je les ennuie, je le comprends. Il préfèreraient que je
n’existe pas. Je les comprends moins.

Je suis utile les gars… Et résistant. Plus vous m’enverrez d’huissier.
Moins je serais gentil. C’est une règle philosophique. Je sais ce que
j’ai fait ; et tout le monde peut se tromper. Surtout vous et les
magistrats de la 17ième chambre du TGI de Paris.

Les huissiers qui débarquent ce matin et la publication imminente dans la
presse du jugement VSD pourront être interprétées de deux manières. Ceux
qui ne connaissent rien à ce dossier vont penser à une défaite me
concernant. Les autres auront compris que c’est le signe d’un énervement
manifeste de la part de la multinationale Clearstream qui aimerait
étouffer les vérités que nous avons publiées. Les gommer. Les pulvériser
à coups de menaces. La censure, par la peur des procès, joue à fond.
J’ai une petite idée sur les raisons de cette rapacité soudaine de la
part de Clearstream Banking à mon égard. Elle tient aux démarches que
nous avons entreprises auprès des candidats à l’élection présidentielle
pour mettre en cause le rôle de Clearstream dans les évasions de
capitaux. Une lettre ouverte vient en effet d’être envoyée à chacun
d’entre eux (http://lesoutien.blogspot.com/). Elle tient encore plus à
la sortie simultanée cette semaine de deux livres écrits par les
principaux protagonistes de l’affaire des listings trafiqués.

Si le premier, celui de l’informaticien Imad Lahoud (un coupable idéal,
Privé) s’en prend trop prudemment à Clearstream et accumule tellement de
mensonges et de contre-vérités qu’il a perdu toute crédibilité, le
second co-écrit par Jean Louis Gergorin, ex numéro deux d’Eads,
(Rapacités, Fayard) est accablant pour la firme. Gergorin raconte
comment il a découvert cet « instrument extraordinaire de la finance
internationale aux capacités pour le moins inquiétantes ». Il cite un
ancien directeur du Trésor qui explique « Clearstream facilite la
réintégration dans le système financier de fonds dont il vaut mieux ne
pas connaître l’origine ». Il développe, avec précision, les moyens
utilisés par la multinationale pour fabriquer de l’opacité et la vendre
à ses clients.

Devenu par sa fonction de responsable de la stratégie d’Eads un abonné
aux services Internet et Intranet de Clearstream, il peut montrer
comment ouvrir des comptes dit « additionnels » qui servent de « 
véhicules financiers » aux transactions douteuses. « Aux véhicules
financiers immatriculés -les comptes principaux- peuvent se voir
attelées des remorques sans plaque d’identification visible, puisque les
comptes additionnels ne sont pas forcément publiés ». Il ajoute que les
ayant droit économiques de ces comptes ne sont pas connus de
Clearstream, que ces derniers peuvent être « des particuliers ». Et
transférer à leur guise et en toute discrétion « des liquidités ». Ce
qu’a toujours et d’une manière forcenée nié la multinationale. Gergorin
décrit pourquoi ces transactions parallèles ne laissent pas de traces
dans la comptabilité. Il dénombre 11296 comptes additionnels (non
publiés) : « Ce n’est pas une mince affaire… Après 5 mois d’analyse,
j’ai acquis la conviction qu’il existe chez Clearstream jusqu’en 2001 et
probablement jusqu’en 2004, une catégorie extraordinaire de comptes
qu’on pourrait appeler les comptes morts-vivants »

Onze mille deux cent quatre vingt seize comptes.

Toute l’explication de Gergorin, et c’est sûrement le fait le plus
remarquable, repose sur des textes récupérés légalement de l’intérieur
de la firme qu’il publie en annexes. Difficile d’en nier l’existence.

C’est la première fois depuis six années que l’affaire est sortie qu’un
travail de réflexion et d’enquête est réalisé dans la continuité du
nôtre. Ce n’est pas un journaliste qui le fait (encore qu’il se soit
adjoint la collaboration de l’excellente Sophie Coignard). C’est un
polytechnicien, un vendeur d’armes et d’Airbus. Un haut fonctionnaire
qui petit-déjeune avec Kissinger, déjeune avec Dominique de Villepin et
dîne avec tous les banquiers de la planète.

J’ignore qui a manipulé qui dans l’affaire de corbeau, même si le tableau
se fait plus précis ces derniers temps, mais je ne vois pas l’intérêt
pour Jean Louis Gergorin, du fait de ses casseroles médiatiques, de sa
mise en examen et des risques encourus, de commettre pareil livre
aujourd’hui. C’est le signe d’une sincérité. D’un retour à l’humain.
Gergorin, après s’en être bien servi, se rend compte de la voracité du
système financier international. De sa dérive organique… Ce qui peut
paraître paradoxal compte tenu de tout ce qu’on a écrit sur lui. C’est
trop facile aujourd’hui de le renvoyer à son hypothétique folie comme le
font les mauvais journalistes ou les témoins peu fiables genre Lahoud.
Ceux qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur nez ou sont
instrumentalisés pour fabriquer des écrans de fumée.

Relevons ce paradoxe : plus une affaire est médiatisée, moins le public
est informé. Aujourd’hui que la pression judiciaire est temporairement
retombée et que ces livres sortent, on pourrait plus facilement trouver
la clé et dire les rôles joués par les uns et les autres. Y compris
revenir sur le fonctionnement dangereux de la chambre de compensation
luxembourgeoise. Mais tout le monde semble s’en moquer. Trop sulfureux,
dit-on. Trop compliqué, répète-t-on. La campagne électorale annihile
toutes velléités d’information. Nous sommes entrés insidieusement dans
la censure. On se prive d’informations de peur de…

Le parti socialiste devrait pourtant se saisir de cette affaire et de ces
nouvelles révélations. Bayrou aussi. Et pourquoi pas Sarkozy ? Surtout
s’ils n’ont rien à se reprocher. Clearstream met en exergue plusieurs
fléaux : la restriction de la liberté d’écrire et d’informer, les
combines de la droite au pouvoir et l’absence de contrôle sur les outils
financiers transnationaux. Jamais les paradis fiscaux ne se sont si bien
portés. Jamais les journalistes n’ont été aussi impuissants. Jamais les
juteuses rétrocommissions des frégates ne se sont si bien cachées… Le
peuple, puisque Ségolène Royal s’y réfère aujourd’hui… « Je n’ai de
compte à rendre qu’au peuple » dit-elle, après que Sarkozy cite Jaurès
et son attachement au « monde ouvrier »… Le peuple donc… est passionné
par ces affaires. Bien plus que par les anecdotiques révélations sur des
bidouillages d’impôts ou des appartements sous-payés… Le peuple a envie
qu’on l’informe et qu’on le défende sur le terrain de l’hyper-finance.
Je le connais le peuple, c’est mon copain. Il a horreur qu’on se moque
de lui et qu’on parle en son nom. Surtout qu’il dormait tranquillement
depuis si longtemps. Le peuple a de la mémoire, une capacité
d’encaissement limitée. Et une sorte de colère qui dort et qu’il ne
faudrait pas trop chercher à réveiller.

 Texte paru dans COURRIEL D’INFORMATION ATTAC (n°568)
 http://www.france.attac.org/IMG/pdf... (version pdf)

Vendredi 20/04/07
Merci de faire circuler et de diffuser largement.

 Relayé par R . B en http://wwwlavie.over-blog.com

Messages

  • L’affaire est trop grave pour qu’Anasthasie soit au placard ! Habitant Longwy vous nous avez donné un éclairage sur l’affaire Daewoo. Dommage qu’il n’existe pas plus de journalistes de votre envergure...
    Marie 54

  • Cher Denis ROBERT,

    Nous t’avons nommé et cité en exemple tes livres pendant notre campagne des présidentielles 2007 du rassemblement de la gauche antilibérale. Que ce soit du côté de la candidature de Marie George BUFFET ou de celle de José BOVE ( puisque nous serons à nouveau ensemble pour les législatives ).

    De même pendant le festival d’ATTAC 38, pendant lequel un de tes films a été diffusé...

    De même à notre conférence " média démocratie " d’ATTAC VPR, avec Henri MALLER ( ACRIMED ), avec les adhérents de l’observatoire Français des Média et Info Impartiale.

    Non, nous ne t’oublions pas. Bien au contraire nous combattons la censure qui entoure tous les journalistes qui soulèvent les sujets auxquels tu as osé t’attaquer.

    Seulement ce n’est pas à toi de devenir médiatique face aux délinquants de la finance...

    Et nous te soutenons de notre matière grise qu’ils aimeraient exploiter autrement...

    A Péage de Roussillon-NON AGCS-France, le 21 Avril 2007

    Saludos de Izquierda - Vladi GARCIA - Français & célibataire - 36 ans
    Cadre salarié Administratif en recherche d’emploi(+35K E Bruts/an).Revenu Minimum d’Insertion (387,96E/mois) sans argent au noir ni trafic illégal.UGICT-FILPAC-Comité Chômeurs CGT(Sécurité Sociale Professionnelle)-ATTAC-OFM-PCF&Rassemblement de la gauche antilibérale

  • Denis Robert que faire pour t’aider ?
    À simplement te lire... l’angoisse et la rage me reviennent et me submergent !
    D’où tiens-tu cette force de caractère ?

    Faire connaître l’inacceptable douleur de ce que tu vis... Sera-ce suffisant ?

    Les affaires - comme on dit - je sais combien elles révoltent le ’commun des mortels’... je pense aux miens ces gueules-rouges qui luttaient sans compter !

    Je me souviens de leur tristesse au fond des yeux quand ils ne pouvaient eux-mêmes comprendre pourquoi les détenteurs du capital et leurs valets allaient jusqu’à détruire la sérénité et le savoir théorique d’un de leurs fils -éclairé par l’étude systhématique et une discipline de fer appliquée à eux-mêmes et de haute lutte- qui avait coûté tant de sacrifices à ses propres parents et qui payait soudain si cher et si gravement *sa volonté de mettre à nu les rouages du système*, lequel, depuis la nuit des temps, avait oppressé tous les siens.

    Je me souviens.

    Et savoir que tout cela continue : l’oppression qui perdure et t’atteint en direct, pour avoir mis en évidence concrète ce que tu révèles :

    ...que "Jamais les paradis fiscaux ne se sont si bien portés. Jamais les journalistes n’ont été aussi impuissants. Jamais les juteuses rétrocommissions des frégates ne se sont si bien cachées… Le peuple, puisque Ségolène Royal s’y réfère aujourd’hui… « Je n’ai de compte à rendre qu’au peuple » dit-elle, après que Sarkozy ait cité Jaurès et son attachement au « monde ouvrier »… Le peuple donc… est passionné par ces affaires."

    Oui... éperdument passionné de comprendre jusqu’où "la haine de classe" des puissants salit la vie.
    Impunément !

    *Courage Denis*

    R . B de http://wwwlavie.over-blog.com

  • Cher Denis ROBERT,

    Redonnez les coordonnées de votre COMITE de SOUTIEN :

    8OOO euros à nous tous celà devrait pouvoir s’arranger

    Amitiés

    Michèle

  • Que faire pour l’aider lui qui nous a tant appris, lui qui nous a tant aidé ?

    Mais la révolution, pardieu, la révolution !

    Que faire d’autre ? il est enfin temps !

    Les élections ne sont que diversions quand les vrais amis du peuple, les commmunistes, et autres anarchistes ou apparentés, n’ont aucune chance électorale !

    Aux armes citoyens !

    formez vos bataillons !

    Marchons !

    Marchons !

    ETC.

    Alors, qu’est-ce qu’on attend comme signal pour recommencer et libérer toutes les Bastilles de tous les nôtres qu’on y a emprisonné sous un prétexte ou un autre ?