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Affaire Battisti : Un document contredit les explications de M. Perben

Publie le vendredi 27 février 2004 par Open-Publishing

Sur les raisons de l’interpellation de Cesare Battisti Dans une lettre adressée en mai 2003 au procureur général de Paris, le ministre de la justice demandait déjà l’arrestatio n de l’ancien activiste, condamné pour meurtre en Italie.

La lettre est signée par le ministre de la justice, Dominique Perben, et datée du 20 mai 2003 : "Dans la mesure où rien ne vous paraît s’y opposer, je vous remercie de bien vouloir faire procéder à l’interpellation de M. -Cesare- Battisti et de M. -Enrico- Villimburgo en vue de leur présentation à l’autorité compétente pour décerner à leur égard un écrou extraditionnel", y écrit le ministre de la justice au procureur général de Paris, Jean-Louis Nadal.

Ce document a été dévoilé, jeudi 26 février, par Mes Irène Terrel et Jean-Jacques De Felice, avocats de l’ancien activiste italien d’extrême gauche devenu romancier, Cesare Battisti, interpellé le 10 février par des policiers de la division nationale antiterroriste (DNAT), et détenu depuis à la prison de la Santé, à Paris. La demande de mise en liberté de M. Battisti - qui a été condamné pour meurtre en Italie - doit être examinée, le 3 mars, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.

Un autre courrier, également en possession des avocats, établit que le parquet général n’avait pas donné suite à la demande ministérielle : "J’ai l’honneur de vous faire retour non exécutées des trois demandes d’extradition -une troisième procédure visait Roberta Cappelli- ", répondait M. Nadal, le 4 décembre 2003. Une telle fin de non-recevoir est courante : "Quand une requête ne peut être exécutée pour une raison technique ou juridique, on la retourne simplement à la chancellerie, explique un haut magistrat. A la rigueur, on peut ajouter quelques mots d’explication."

Les défenseurs de Cesare Battisti estiment en tout cas que la lettre de M. Perben constitue la preuve que " le ministre a menti" sur les circonstances de l’arrestation de leur client. Invité du "Grand jury RTL-Le Monde-LCI", le 15 février, M. Perben avait affirmé que M. Battisti avait été interpellé "à la suite d’une menace de mort -proférée- contre l’un de ses voisins", ajoutant : "C’est au moment où la police l’a arrêté et en examinant le fichier Schengen qu’elle s’est aperçue qu’il -faisait l’objet- d’une demande d’extradition par l’Italie -présentée en janvier 2003-". A l’en croire, l’interpellation aurait donc résulté d’une coïncidence.

Les avocats de M. Battisti n’ont jamais accepté cette version - même si, en effet, une plainte avait été déposée contre lui, le 6 février, pour "trouble de voisinage" (Le Monde du 19 février). Quelques jours plus tard, dans un communiqué de la chancellerie, l’allusion à la "menace de mort" avait été remplacée par l’_expression "menaces de violences".

Pour Me Terrel, "l’interpellation de M. Battisti ne résulte pas de la perspicacité d’un quelconque service de police, mais de la seule volonté politique de le faire soudain arrêter, pour les raisons les moins honorables". L’avocate estime que le gouvernement "a renié" la parole donnée au nom de la France, en 1985, par François Mitterrand, de s’opposer à l’extradition d’anciens activistes italiens qui ont rompu avec leur passé et refait leur vie en France. Les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, avaient suivi cette règle, encore confirmée par Lionel Jospin lorsqu’il était premier ministre. Il avait écrit, le 4 mars 1998, aux mêmes avocats : "Des arrestations récentes vous ont fait craindre une possible remise en cause de la position adoptée -en 1985-. (...) Mon gouvernement n’a pas l’intention de modifier l’attitude qui a été celle de la France jusqu’à présent. C’est pourquoi il n’a fait et ne fera droit à aucune demande d’extradition ! d’un des ressortissants italiens qui sont venus chez nous".

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a rompu avec cette doctrine en acceptant, le 25 août 2002, l’extradition de Paolo Persichetti, ancien membre de l’Union des communistes combattants (UCC), devenu enseignant à l’université Paris-VIII. M. Perben avait alors indiqué que les demandes d’extradition italiennes feraient désormais l’objet d’un examen "au cas par cas".

Sollicité par Le Monde, jeudi soir, M. Perben n’a pas souhaité s’exprimer. "Quand un ministre est saisi d’une demande d’extradition, une procédure quasi automatique se met en route. La lettre du garde des sceaux est assez habituelle", a-t-on indiqué à la chancellerie. Le même jour, lors d’une conférence de presse, il avait affirmé qu’il n’y avait "pas eu de différence de traitement"entre la demande d’extradition formulée par l’Italie en 2003 et celle présentée, au début des années 1990, à l’encontre du même Cesare Battisti. Les socialistes étaient au pouvoir : M. Mitterrand était président de la République et Henri Nallet, garde des sceaux. "Une arrestation de M. Battisti est intervenue. La chancellerie, à l’époque, a transmis le dossier à la cour d’appel de Paris", a déclaré M. Perben. "Je vous prie de bien vouloir saisir (...) la chambre d’accusation de votre cour d’appel et de me tenir informé", concluait alors la chancellerie, dans u ! n courrier du 6 mars 1991, rendu public par l’AFP.

Le 29 mai 1991, deux avis négatifs étaient rendus sur cette demande d’extradition par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris. "Il y a autorité de la chose jugée. Aucun élément nouveau, dans le dossier Battisti, ne justifie la demande d’extradition de l’Italie", plaide Me Terrel. Invoquant d’"autres mensonges" de M. Perben, elle rappelle que, lors du même "Grand jury RTL-Le Monde-LCI" du 15 février, le ministre avait assuré : "Depuis la période où son extradition avait été refusée, la justice italienne a modifié ses règles de procédure et, en particulier, il n’y a plus de possibilité de jugement par contumace. (...) Nous sommes maintenant dans un système de procédure tout à fait classique." M. Perben laissait alors entendre qu’un nouveau procès pourrait avoir lieu. Me Terrel conteste : "La procédure italienne n’a été modifiée que sur des détails, dit-elle. En cas d’extradition, la France ne va pas livrer Battisti à des jug ! es, mais à la prison à perpétuité."

L’arrestation de Cesare Battisti a suscité la mobilisation d’intellectuels, de politiques (à gauche) et de réfugiés italiens (Le Monde du 19 février). Une pétition, qui a recueilli "plus de 13 000 signatures" selon ses initiateurs, demande sa "libération immédiate".

LE MONDE