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Toni Negri :les Etats-Unis sortent de la logique de l’Empire

Publie le samedi 5 avril 2003 par Open-Publishing

Voici une traduction en français de l’entretien avec Négri paru en portugais
dans la Folha de Sao Paulo (Brésil), dont on vous a envoyé une traduction en espagnol.

Roberto DIAS, Folha de Sao Paulo, 30 mars 2003
Les Etats-Unis sortent de la logique de l’Empire.

Pour Negri, auteur de "Empire", la guerre a été un coup d’Etat des
Etats-Unis contre les autres paysdominants.
La guerre, non seulement est illégitime, mais n’est pas suffisante pour
ériger un nouvel ordre mondial. Il n’existe pas de consensus au sujet du conflit en Irak. Les Etats-Unis se meuvent en-dehors de la légitimité impériale.

Roberto DIAS, depuis New York :
En attaquant l’Irak, les Etats-Unis échappent à la logique qui doit guider
l’empire, avec le
philosophe italien Toni Negri, le penseur le plus débattu de la gauche
européenne.
Dans une entrevue accordée à la Folha de Sao Paulo, il qualifie de coup d’Etat la décision de partir en guerre, sans même l’aval de l’ONU. "L’Irak est un prétexte pour s’affronter à l’Europe", affirme Negri, selon un entretien accordé par téléphone, depuis sa résidence à Rome.
Sa théorie a été exposée dans le livre "Empire", écrit conjointement avec
Michael Hardt. Cette ouvre est devenue une sorte de "bible" pour contester l’ordre mondial. Pour Negri, qui a été lié au groupe terroriste Les Brigades rouges dans les années 70, l’idée d’Empire englobe bien sûr les Etats-Unis, mais est plus vaste. "Le concept d’Empire se caractérise principalement par l’absence de frontières", dit-il dans l’ouvrage. D’où son étonnement face à la position américaine, qu’il explique de la manière suivante :

Folha :
Dans Empire, vous dîtes que la légitimité de l’ordre impérial ne se base pas
uniquement sur la force
militaire, mais aussi sur la production de normes juridiques internationales
durables. Avec ce qui
s’est passé à l’ONU, que va devenir cette légitimation ?

Toni Negri :
Cela a été à l’évidence un coup d’Etat contre les autres forces qui font
partie, de manière
multilatérale, de cet Empire. Le pouvoir monarchique des Etats-Unis s’oppose
aux positions des
autres pays du monde.

Folha :
Votre livre date de l’année 2000, et je crois que vous avez déjà émis des
réflexions sur la
manière dont les attentats terroristes, la doctrine Bush, et cette guerre en
Irak s’emboîtent dans
votre théorie. Quelle est la continuation de ces réflexions ?

Negri :
Le problème fondamental, aujourd’hui, est de considérer que la guerre
établie par la puissance
américaine, non seulement n’est pas légitime, mais n’est pas suffisante pour
ériger un ordre
mondial.
Les Etats-Unis ne peuvent pas payer la guerre. Il n’existe pas de consensus
international pour cela.
Les Etats-Unis agissent en-dehors de la légitimité impériale. Et, selon
toute probabilité, agissent
aussi en-dehors de sa Constitution.

Folha :
Vous évoquez aussi l’importance de la raison pour l’Empire. Les Etats-Unis
l’auraient-ils perdue ?

Negri :
Je ne crois pas qu’on puisse dire que les Etats-Unis ont ou non une raison,
car ils ne sont pas un
animal. Ce qu’il y a aujourd’hui, c’est un groupe qui ne représente pas les
Etats-Unis. Ce groupe
représente avant tout les intérêts de quelques secteurs puissants. La
question fondamentale, à mon
avis, n’est pas l’antiaméricanisme ou l’antiaméricanisme. Le problème,
c’est qu’il y a un groupe
aux Etats-Unis, qui, sans doute, n’est pas légal, compte tenu de ce qui
s’est passé lors des
élections présidentielles. On pourrait l’appeler un groupe d’usurpateurs.

Folha :
Pour l’Empire, Bush est plus proche d’être un Néron ou un Auguste.

Negri :
Je ne saurais dire.

Folha :
Mais quelle sera la place de Bush dans l’histoire américaine, comment le
situer par rapport aux
autres présidents ?

Negri :
Il existe un courant de pensée qui le voit comme un "jacksonisme" (la
théorie jacksoniste dit que
l’objectif principale de la politique externe de Washington doit être la
sécurité des Américains).
Je ne pense pas qu’il s’agisse de cela. Je pense qu’il n’est pas dans la
ligne de Jackson. Je crois
qu’il sera tout juste une exception négative.

Folha :
Si votre conception de l’Empire nécessite de l’espace, comme vous l’avez
dit, à quoi devons nous
nous attendre maintenant ? Après Bagdad, viendrait Pyongyang ?

Negri :
Ce sera l’Iran, je crois. C’est à dire, c’est ce qui vient des Etats-Unis,
je vis en province.

Folha :
Et la Corée du Nord viendrait ensuite ?

Negri :
Je crois que ce sera la Chine, mais d’ici quelques temps. En réalité, la
Corée du Nord est un
prétexte pour la Chine, de la même manière que l’Irak est un prétexte pour
se confronter à l’Europe.
Et l’Iran sera un prétexte pour la Russie. C’est le jeu qui est en train de
se jouer en ce moment.

Folha :
Immanuel Wallerstein dit que l’empire américain est décadent, que l’économie
est fragile, et que
Washington est isolée. Qu’est ce que vous en pensez ?

Negri :
Je suis prudent à ce sujet. Il y a peut être une décadence de cet empire de
Bush, mais, pour les
Etats-Unis, je crois que c’est encore le printemps.

Folha :
Qu’en sera-t-il des Etats-Unis et de l’Empire d’ici deux ans ?

Negri :
Je crois qu’il sera important que l’Europe et l’Amérique Latine soient
fortes contre la volonté de
Bush. J’espère que les Etats-Unis pourront se débarrasser de Bush. C’est
l’espoir qu’ils peuvent
donner au monde aujourd’hui.

(traduction du portugais de Philippe Zarifian)
site personnel :
http://perso.wanadoo.fr/philippe.zarifian/