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Ce que le premier tour a déjà changé

Publie le samedi 5 mai 2007 par Open-Publishing

La candidate socialiste s’est imposée dans la France de l’Ouest alors que Nicolas Sarkozy a engagé la conquête de l’Est sur les terres frontistes.

Sarkozy et l’électorat du FN

Lorsque l’on compare le score de Nicolas Sarkozy en 2007 avec le total droite (Chirac, Madelin, Boutin) de 2002, on remarque la très grande symétrie avec la carte d’implantation du Front national. Les gains ont été très importants dans tous les départements méditerranéens (avec 43,6 % des voix, Sarkozy a obtenu son record dans les Alpes-Maritimes). L’Alsace et Rhône-Alpes, deux autres places fortes de l’extrême droite, ont également vu le score de la droite nettement progresser. De même que dans les départements de la grande périphérie francilienne (Loiret, Aube, Eure-et-Loir, Oise, Seine-et-Marne, Yonne et Eure).

L’entreprise n’a pas fonctionné avec la même efficacité partout. Dans le Pas-de-Calais, l’Aisne, une partie des Ardennes, en Haute-Marne ou en Lorraine, Jean-Marie Le Pen parvenait à maintenir des scores assez importants (23 % à Freyming-Merlebach en Moselle, 21 % à Harnes dans le Pas-de-Calais, 19 % à Saint-Dizier en Haute-Marne par exemple). Dans ces régions, la base sociologique de l’électorat FN est beaucoup plus ouvrière et populaire qu’ailleurs et n’a semble-t-il pas été aussi tentée par le vote Sarkozy qu’en Paca ou dans le Languedoc-Roussillon.

Il faut également voir dans la performance de Nicolas Sarkozy le résultat d’une très forte mobilisation de ce que l’on pourrait appeler la « droite sociologique ». Les exemples sont nombreux en Ile-de-France : Neuilly (72 %), Le Chesnay (52 %), Garches (49,8 %), Boulogne (49 %), Versailles (47 %), sans oublier les arrondissements parisiens chics : 64 % dans le XVIe, 58,5 % dans le VIIIe et 56 % dans le VIIe. On retrouve le même « sur-vote » Sarkozy dans les enclaves riches des grandes agglomérations : 62 % à Bondues dans la métropole lilloise, 50,4 % à Écully, près de Lyon. On observe un phénomène similaire dans les zones de montagne où sont implantées des stations de sports d’hiver (Savoie et Haute-Savoie) et dans les riches terres agricoles : vignoble champenois et de Bourgogne, Beauce et Brie. Nicolas Sarkozy a également enregistré de forts résultats dans des fiefs des chasseurs (la baie de Somme, à l’embouchure de la Seine, dans la baie d’Isigny, le Cotentin, le Médoc).

Royal et la nouvelle géographie du PS

La carte d’évolution du vote Ségolène Royal révèle une nouvelle et surprenante géographie du vote socialiste. La candidate fait globalement moins bien que le total des voix de gauche en 2002 au sein d’un vaste triangle Nice-Caen-Strasbourg. Les scores de Royal apparaissent faibles dans les espaces périurbains des grandes agglomérations, notamment au sein des périphéries parisiennes ou lyonnaises. Mais la candidate socialiste progresse dans des territoires moins attendus. À partir de son fief des Deux-Sèvres, elle reconquiert une large partie du Sud-Ouest radical : elle s’impose dans un Limousin laissé en « friche » électorale par Jacques Chirac et labouré par François Hollande, mais gagne également des voix dans le Béarn de François Bayrou. Les gains sont également significatifs dans les bastions socialistes des Landes, de l’Ariège, de l’Aude et des Cévennes, où les voix de gauche avaient fait cruellement défaut à Lionel Jospin. Bénéficiant d’un vote utile, Ségolène Royal fait parallèlement progresser le score socialiste là où les « petits candidats » avaient obtenu des scores élevés en 2002, en Bretagne, dans les Alpes du Sud, les Ardennes, la Somme...

L’électorat royaliste reste plus que celui des deux autres « grands » candidats calé sur les terres ouvrières, à l’Est (sillon mosellan, bassins miniers...) mais aussi à l’Ouest. C’est une « première » pour la gauche que d’attirer massivement vers elle les « ouvriers » de l’Ouest, ceux qui votent traditionnellement « oui » à l’Europe et « non » à Le Pen. En cela, Ségolène Royal est l’une des premières candidates socialistes à parvenir à vraiment percer à la fois dans les terres de centre gauche (la droite chrétienne des années 1960-1970) et dans les bastions traditionnels « de la gauche de la gauche ».

Cependant, cette percée relative dans ces « bastions rouges » s’est effectuée principalement sur les bases d’un vote utile, qui a très largement épuisé, dès le premier tour, les réserves traditionnelles « à sa gauche ». La carte masque également la forte implantation urbaine de Ségolène Royal : elle y bénéficie notamment de sa bonne audience chez les jeunes (en particulier les nouveaux inscrits). Néanmoins, cette implantation se limite le plus souvent au centre-ville des grandes agglomérations et dans certaines banlieues : son audience diminue dès la première couronne périphérique (c’est particulièrement net à Strasbourg, Lyon, Besançon, Lille...).

Bayrou : permanences et nouveautés du vote centriste

La carte d’évolution du vote Bayrou reflète trois zones de forces et deux zones de faiblesses. La première zone de force s’apparente aux terres traditionnelles de la droite catholique, étudiées dès 1913 par André Siegfried : la plus vieille et la plus stable carte électorale de France qui avait majoritairement voté pour Édouard Balladur en 1995 et Raymond Barre en 1988 : le Grand Ouest, le Béarn, les Causses, la Loire, la Savoie, ­l’Alsace... Une partie de l’électorat chiraquien traditionnel du Massif Central (en Corrèze, notamment) a préféré Bayrou à l’héritier droitier Sarkozy.

La seconde zone de progression du candidat centriste se retrouve dans les villes, et les périphéries urbaines, notamment dans les quartiers de classes moyennes et aisées (Yvelines, Angers, Caen, Grenoble, arrondissements parisiens). La troisième zone de progression correspond à des espaces où l’extrême droite a beaucoup chuté depuis 2002 : l’Alsace, la grande couronne parisienne et la Savoie. François Bayrou ne parvient pas en revanche à progresser dans deux espaces marqués par la présence du FN. Dans le Grand Nord-Est, région ouvrière et populaire, ayant massivement voté « non » au référendum européen, le candidat centriste ne semble pas avoir réussi à fédérer un vote anti-Sarkozy de gauche, ni à capter une part du vote frontiste. François Bayrou ne perce pas non plus dans le Midi méditerranéen. La carte Bayrou est donc celle d’une France centriste étendue, à la fois rurale et urbaine, qui est aussi celle d’une France « dynamique » et « ouverte », qui gagne de la population ou qui en attire.

La mosaïque des petits candidats

La carte a été établie en prenant en compte le « petit candidat » arrivé en tête dans chaque canton. Étant donné l’écart de score entre Olivier Besancenot et les autres candidats, ce dernier n’a pas été intégré dans la liste. Philippe de Villiers arrive en tête dans toute la moitié nord du pays. Ses quelques points d’appui dans le sud correspondent à des fiefs du FN et montrent que Philippe de Villiers a pu récupérer une partie de l’électorat de Le Pen. C’est notamment le cas dans le Vaucluse où il a pu s’appuyer sur l’implantation de Jacques Bompard.

Frédéric Nihous, le candidat de CPNT, est en tête des petits candidats dans la Somme, le Pas-de-Calais et l’arrière-pays dunkerquois, le Cotentin et le littoral du Calvados, la Gironde (excepté l’agglomération bordelaise), une partie des Landes et du Gers ainsi que des cantons de montagne dispersés. Le PC arrive encore en tête dans ses bastions... mais il n’y devance plus que les petits partis. On voit ainsi apparaître le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine sidérurgique, quelques points d’appui en Ile-de-France, le Centre-Bretagne puis les « campagnes rouges » dans le Cher, l’Allier, le Limousin, la Dordogne et les Landes.

À sa gauche, Arlette Laguiller ne peut compter que sur quelques cantons industriels durement touchés par la crise au nord d’une ligne Le Havre-Nancy. José Bové, lui, a rencontré un écho plus favorable dans les campagnes pauvres du Grand Sud (Aveyron, le nord du Gard, la Lozère...). On retrouve ensuite des cantons de montagne pauvres et enclavées : sud du Pays basque, Ariège, haute-vallée de l’Aude, Diois et Briançonnais. La candidate des Verts bénéficie, quant à elle, d’une implantation très urbaine et assez aisée, concentrée dans les grandes métropoles.

* Directeur du laboratoire MTG-Université de Rouen. ** Directeur adjoint du département Opinion publique de l’Ifop. Les cartes ont été réalisées par Céline Colange (doctorante-Université de Rouen) et Jean-Paul Gosset (assistant ingénieur CNRS-UMR IDEES-Université de Rouen).

Source http://www.lefigaro.fr/election-pre...