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Est-ce que ça devait finir comme ça ?

Publie le lundi 7 mai 2007 par Open-Publishing
6 commentaires

de Davide

26 septembre 2002, une histoire commence. Je débarquais alors Gare de Bercy, lourd de quinze heures de trains, de vingt-et-un ans d’âge et de lectures : Voltaire, Rousseau, Racine, Baudelaire, Maupassant, Pennac, et j’allais enfin les voir chez eux, lire la déclaration des droits de l’homme, et la poésie et les humeurs de Belleville et d’ailleurs dans les yeux de chaque habitant, j’étais venu pour devenir l’un d’eux, je n’avais vécu ma vie précédente que pour ça, pour transformer un rêve en réalité.

L’émergence démocratique qui avait très fort sonné au printemps de cette même année ne m’effleurait guère, j’étais peinard, j’étais ailleurs, et cela me suffisait : le pays de la liberté, de l’art, de l’amour, de la poésie et de Malraux, la terre qui donne asile à toutes les idées, toutes les couleurs, toutes les avant-gardes, grande ouverte pour moi en train de l’arpenter en cherchant un coin vierge pour planter mes racines soustraites à un passé où elles n’étaient plus les miennes.

Une inscription en fac de lettres et des ambitions d’écrivain, mais je passais le plus clair de mon temps à parcourir les rues une à une, dans tous les sens, en L comme le cavalier des échecs… Monceau et Ménilmontant, Auteuil et la Goutte d’Or se valaient, il n’y avait pas de bourges ni d’ouvriers, tous jouissaient et souffraient de la même manière, puisque j’étais vêtu des habits de l’Étranger.

6 mai 2007, j’ai encore tous mes rêves dans la poche. J’ai aimé, j’ai souffert, j’ai éprouvé ; j’ai travaillé et je me suis révolté, j’ai ramé, j’ai écrit. Je me suis posé des questions, à peine j’y ai répondu que d’autres sont venues et reviennent, de plus en plus nombreuses : j’ai vécu. Je vis, intensément.

Mais aujourd’hui, ce jour même, un jour quelconque coincé entre hier et demain, plus de la moitié de ces gens, de ce peuple dans les yeux duquel je cherchais à lire les poèmes d’Eluard et le désespoir d’Artaud, a choisi de ne plus vivre intensément. Aujourd’hui les loups sont entrés dans Paris, ni par Issy ni par Ivry, mais par chaque bulletin passé par la fente des urnes. Tant d’années pour devenir citoyen d’un peuple que j’ai choisi puisque je ne suis pas né parmi eux, tant d’années à découvrir leur musique, leur théâtre, lire leur littérature, réchauffer les sièges de leurs salles de cinéma, et leurs trottoirs, les trottoirs, les trottoirs.

Plus de la moitié des gens que je côtoie chaque jour dans le métro ont choisi de rétablir les valeurs. Ils ont choisi de « respecter » ceux qui ont voté pour le champ adverse. Ils ont choisi de se foutre de mes rêves et de ceux des autres, ils ont choisi de les tuer. Ils ont choisi d’oublier que c’est l’avenue Jean Jaurès qui sert de frontière entre Aubervilliers et Pantin, qu’Aragon a aimé Elsa comme j’ai aimé Julie, que Kyo a donné son cyanure à un camarade, que Monsieur Hamil n’a jamais oublié Djamila. Ils ont choisi que la République, la « chose de tous », doit appartenir à quelques-uns seulement, et que les autres doivent travailler plus pour ceux-là.

Aujourd’hui la moitié des Français, plus quelques-uns, célèbrent le fait que rien ne va changer, tandis que les autres, et l’Algérie, et le Maroc, et le Congo, et le Sénégal, et des millions d’autres, tous ceux qui cherchent en France non pas une vie, mais un peu de survie, pleurent parce que rien ne va changer. Toute cette France, tout ce Paris que j’ai aimé, je les aime aujourd’hui comme on aime une femme qui vous a quitté. Tout le poids d’un âge qui avance, que j’avais arrêtée avec un doigt tendu vers le ciel grâce à l’espoir, m’est tombé dessus comme un bloc de ciment armé, et tout d’un trait je me sens plus vieux de dix ans.

Des rêves d’art, et les rêves des autres de fuir la guerre et la famine, des rêves de s’exprimer, de chanter et de crier, des rêves sont morts ce jour, et me tombent dessus.

La vie est un roman tragique, mais est-ce que ça devait finir comme ça ?

Messages

  • ralala, voilà ce qui se passe quand on laisse la politique étrangère à Doudou-Blabla :
    "Je débarquais alors Gare de Bercy, lourd de quinze heures de trains, de vingt-et-un ans d’âge et de lectures : Voltaire, Rousseau, Racine, Baudelaire, Maupassant, Pennac, et j’allais enfin les voir chez eux"
    >>> On ne t’as pas dit ? Mais il sont morts !!!

    Allez, une note d’humour pour te dire qu’on se couchera pas tous devant le Sarkome de Kaposi et que ce n’est pas parce que Pétain, Laval ou Louis-Phillipe existent que tes héros disparaissent. *clin d’oeil* La France c’est aussi malheureusement parfois ce curieux mélange.
    Les choses risquent de se compliquer pour les activistes mais tous les gens qui ont tendus la main aux sans-papier, immigrés et aux grand-pères chinois devant les maternelles ne vont pas disparaitre tout à coup alors ne perd pas subitement tout espoir.

    On se couchera pas tous. Et si certains tombent d’autres se relèveront comme dit la chanson.

    Courage !

    Ysengrin

    • Bon courage à toi Ysengrin, parce que ça pue la trahison de tous les côtés ! Maintenant, je sais qu’on a déjà perdu aux législatives. On peut même rester à la maison pour faire plus simple.

    • Il est vrai qu’il y a cinq ans je vivais dans un monde de livres, que la France n’était pour moi que des livres, et encore des monuments et des tableaux, il est vrai aussi qu’en Italie on avait d’autres chats à fouetter (lis Berlusconi) ;)
      Entre-temps j’ai appris à voir la réalité en face, à tisser des liens entre ces morts illustres (mais sont-ils vraiment morts ?) et les rafles, les grand-pères chinois et les mecs qui dorment dans la rue, et d’autant plus ma compréhension s’en retrouve défaillante...
      Et puis enfin, j’ai écrit ça hier soir, après avoir marché des heures dans ces mêmes rues qu’il y a cinq ans, complètement soûl pour la déception. Quitter son pays et toute sa vie (quoique quitter l’Italie à 21 ans est tout de même autre chose que quitter l’Afrique à 40 ans passés) pour se reconstruire ailleurs n’est pas facile, comme il n’est pas facile de voir qu’aujourd’hui c’est la Négation même de tout ce en quoi je crois qui siège au sommet de l’Etat.
      Mais ce matin ça va mieux (à part la gueule de bois), et bien sûr que nous nous relèverons, et bien sûr que je serai encore et à nouveau de toutes les luttes !
      d.

    • Voilà
      Comme Ysengrin
      Pas pleurer, se relever.
      Continuer
      Différemment.
      Hop

      LaBrune

  • Ceux qui ont dit "NON" d’emblée en 1940

    pour entrer "immédiatement" en résistance

    n’étaient que 2%

    .....

    Mais ce sont ceux là qui ont permis

    que le mot "HONNEUR" puisse encore s’écrire en français.

    RESISTANCE !

    Michèle

  • LA FRANCE= la honte de l’europe, le petit Pétain est passé

    Merci les socialos

    Varenne L