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Le Monde comme il va : retour sur les elections presidentielles

Publie le mardi 15 mai 2007 par Open-Publishing

Le Monde comme il va, 8e année, 30e émission, auditeurs/auditrices de la France d’en bas, de la Bretagne du haut, de Sarkoland et d’Alternantes FM, bienvenue.

Ici Radio Paris. Une aube nouvelle se lève sur la France. Salut à toi, O
travailleur qui te lève tôt, travaille longtemps, rentre à la nuit tombée au foyer, fatigué, éreinté, irrité. Salut à toi, O Femme qui te lève tôt, travaille
longtemps, rentre à la nuit tombée au foyer, fatiguée, éreintée, irritée… mais pas au point d’en oublier ton rôle de mère et de ménagère. Salut à toi, Petit Français, Petite Française qui ne voient plus tes parents, trop occupés à travailler plus pour gagner plus : tu ne les vois plus mais tu sais qu’ils t’aiment et qu’ils font tout cela pour t’assurer un avenir heureux grâce à un bouclier fiscal ramené à 50% qui permet aux riches de s’enrichir, aux moyens riches de moyennement s’enrichir et
aux pauvres de penser que cela pourrait leur arriver un jour. Chaque chose a enfin sa place : l’ordre règne enfin. Oui, une aube nouvelle se lève sur la France et les Français honnêtes. Oui une aube nouvelle se lève et chasse l’esprit maléfique socialo-ommunisto-gauchiste de Mai 1968, cet esprit, que dis-je, cette gangrène qui a pourri notre Monde durant quatre décennies. Certes, certains égarés ont rejoint
le camp de l’honnêteté et de la société de marché depuis bien longtemps. Ils témoignent qu’il ne sert à rien de vouloir changer la vie : l’important c’est de changer la sienne, l’important, c’est d’être du côté du manche. Mais il en reste certainement de ces illuminés aux
cheveux trop longs, aux idées trop larges qui piétinent la morale, le bon sens, méprisent le commerce, l’exploitation salariale et ne rêvent que de consumer la société de consommation au risque de mettre
en péril le taux de croissance. Travaillons plus ! Consommons plus ! Regardons la télé plus ! Développons durablement plus ! Commerçons équitablement plus !

Longtemps, les honnêtes gens ont cru que la dissuasion nucléaire était la seule à
même de protéger notre modèle de société de la civilisation du goulag marxiste, de
l’égalitarisme marxiste, des utopies sanglantes marxistes et du marxisme marxiste.
Ils n’ont pas vu qu’avec Mai 68, le ver était dans le fruit. La cinquième colonne
se répandait dans l’administration, dans l’enseignement, dans les usines et les
universités, dans les églises parfois : on y parlait d’autogestion, de gestion
directe, de pédagogies nouvelles et innovatrices ; on y critiquait les
bureaucraties et la hiérarchie ; on parlait même de donner un sens à sa vie hors de
l’accumulation de marchandises ; certains se faisaient les défenseurs de l’amour
libre, de l’homosexualité, de toutes ces déviances qui sapent la famille, cette
institution immémoriale sur laquelle repose toute société
civilisée. Ce temps-là est fini. Il n’est plus interdit d’interdire. Il n’est plus
autorisé de jouir sans entraves. Et si la Police continue à vous parler à 20h tous
les soirs dans la lucarne télévisuelle, c’est encore et toujours pour vous prouver
à quel point le capitalisme est un système merveilleux s’il n’y avait pas autant de
pauvres indociles rêvant de s’en prendre à vos biens. La lutte des classes, c’est
du passé. Cette lecture vieillotte de l’évolution des sociétés humaines n’est pas
plus qu’hier utile à comprendre le présent. Il n’y a plus d’exploités, mais des
collaborateurs qui collaborent. Dans les usines, les universités, dans les
entreprises,
dans l’administration, chacun est à sa place. Tous oeuvrent pour le bien commun
mais chacun pour soi car la concurrence des travailleurs entre eux est la condition
sine que non d’une croissance durablement
capitaliste ; tous oeuvrent pour le bien commun et la grandeur de la nation, main
dans la main mais chacun pour soi grâce à la prime de productivité et de servilité
mise en place par notre gouvernement. Il n’y a plus d’exploiteur ni d’exploités,
mais des égaux, des partenaires.

Oui, une nouvelle aube se lève. Et c’est avec honneur, fierté et sourire que je
vous invite à aller perdre votre vie à la gagner.

C’était Radio Paris. Radio Paris vend, Radio Paris vend – La parole des dominants.

Il y a une quinzaine de jours, je commençais mon émission par ces propos : « Ca y
est, les urnes ont rendu leur verdict : nous aurons donc le choix entre Nicolas
Sarkozy, le lider maximo de Neuilly-sur-Seine, et Ségolène Royal, la Dame
patronesse du Poitou-Charentes. C’est ainsi. De nouveau, il n’y aura pas de
candidat socialiste au 2e tour ». Cela ne veut évidemment pas dire que Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy sont interchangeables, que l’une est la copie conforme de
l’autre : Ségolène Royal, c’est un mélange de social-
libéralisme qui suinte le paternalisme clérical ; Nicolas Sarkozy, c’est
l’incarnation d’une droite moderne et libérale qui joue sur le registre
néo-conservateur. En vous disant cela, je voulais juste indiquer ceci : le fait que
Ségolène Royal soit la représentante de la gauche veut tout simplement dire que la
gauche a terriblement
disparu de la scène politique française. Ceci est un constat qui me rend triste,
car j’ai le sentiment qu’il ne peut exister un mouvement révolutionnaire fort qu’à
la condition qu’existe en parallèle un mouvement social-démocrate lui-même
puissant. J’ai beau fouiller ma mémoire, chercher quelques exemples historiques
pouvant écorner ma vision des choses mais je n’ai pas trouvé de pays dans lequel
des révolutionnaires s’opposaient à des réactionnaires sans qu’entre eux n’existent
une puissante force réformatrice. En clair, nous tendons de plus en plus vers le
modèle nord-américain où deux entreprises politiques, gestionnaires loyaux du
capitalisme, se disputent le pouvoir. D’ailleurs, tandis que Sarkozy clamait son
désir quasi proudhonien de voir tout Français devenir propriétaire de son logement,
Ségolène Royal s’enflammait, clamant un même désir de faire naître une France
d’entrepreneurs !

Le débat opposant les deux prétendants à la victoire finale nous a donné une bien
belle illustration de la mort de la social-démocratie, ou plutôt du parti qui s’en
réclame. Anarchiste sans grand espoir de repentance, non inscrit sur les listes
électorales et n’en concevant même pas une once de remords, j’ai suivi avec
beaucoup d’intérêt l’échange somme toute assez courtois entre les deux orgueilleux.
A ce titre, j’ai pu constater, comme vous peut-être, à quel point, le « socialisme
 » de Royal était droitier. A un point tel qu’on aurait
peine à le distinguer d’un centrisme bon teint.

La question de l’idéologie sécuritaire est à ce titre centrale. Depuis plusieurs
années, les grands médias, dont la liberté de ton et l’indépendance sont
légendaires, nous assaillent d’émissions, de reportages sur l’insécurité. Caméra au
poing, dans le sillage de policiers, le journaliste supplétif de l’idéologie
sécuritaire s’en va filmer l’arrestation d’un fils de pauvres habitant un quartier
de pauvres. Comme l’expliquait un journaliste dans « Bowling for Columbine »de
Michael Moore, alors que la violence était en baisse aux Etats-Unis, les émissions
sur la délinquance augmentait. Le marché de la violence, de la peur est un marché
porteur. Mais il ne s’agit de nier les phénomènes de délinquance ou d’avancer que
tout n’est que manipulation médiatico-politique. Non, la société de marché est,
sous ses abords commerçants, d’une violence rare ; le capitalisme est profondément
déstructurant pour les populations les moins favorisés socialement : il n’est dès
lors pas étonnant que dans les quartiers de relégation où sévissent le chômage de
masse, l’absence de perspectives et les conditions de vie les plus délicates, la
délinquance et autres formes de déviance fleurissent. Lors du débat, je ne
m’attendais évidemment pas à ce que Ségolène Royal change son fusil d’épaule, fusil
qu’elle porte à droite, bien évidemment. Elle a simplement reproché à Nicolas
Sarkozy de ne pas voir appliquer son programme : soit plus de flics dans les rues,
et des centres éducatifs fermés pour les délinquants multirécidivistes ; elle ne
lui a pas reproché une mauvaise approche de la question, mais
de ne pas avoir fait assez de sécuritaire. On pourrait croire que la gauche a
tellement peur d’être taxée de laxiste qu’elle ne fait qu’agiter encore plus fort
son bâton. Ce serait oublier qu’il y a bien longtemps que la gauche de gouvernement
a troqué la « culture de la prévention », ce que la droite appelle son « laxisme »,
pour celle de la répression. De la même façon, Ségolène Royal s’est bien gardée de
parler de la fameuse police de proximité. Nous en sommes restés là : rien sur les
prisons submergées de taulards, rien sur les conditions d’incarcération
déplorables, rien sur les alternatives à la détention, rien sur le soutien à
apporter aux travailleurs sociaux dans les quartiers populaires, rien sur la
présence des services publics dans ces mêmes quartiers. Juste plus de flics dans
les rues. Juste des centres éducatifs fermés enfin ouverts pour accueillir la
jeunesse délinquante. Sur cette question, Ségolène Royal, candidate socialiste,
n’avait rien d’autre à dire…

Nicolas Sarkozy n’aime pas les impôts. Normal, il a de l’argent, comme ses amis.
Alors il veut baisser le bouclier fiscal à 50%. Et il l’explique en termes très
simples : il ne veut pas que les travailleurs passent plus de six mois de l’année à
s’échiner pour l’Etat. C’est le cas des riches qui regardent leur argent
travailler,
des riches qui se sont faits tous seuls comme Vincent Bolloré, un fils de rien ou
de si peu qui doit tout à son mérite personnel. Nicolas Sarkozy adopte là le point
de vue classique du libéral. Et que fit Ségolène ? Rien, strictement rien. Elle
aurait pu saisir la brèche, dire à quel point cette vision d’un Etat sangsue et
parasitaire était inacceptable, que c’était mettre en péril ses capacités
redistributrices, son pouvoir d’améliorer la qualité des transports publics, le
fonctionnement de la justice et de l’éducation nationale ; elle aurait pu dire à
quoi sert l’argent des impôts, le rôle de ces derniers pour plus de justice
sociale, voire même pointer du doigt les endroits où des fortunes sont dépensées
inutilement. Bref, elle aurait pu avancer les arguments classiques de la
social-démocratie depuis plus d’un siècle : prendre un peu aux riches pour donner
aux pauvres ou plus largement au tiers-Etat, renforcer le rôle de l’Etat,
incarnation de l’intérêt général, face aux puissances
d’argent… Mais non, Ségolène Royal, socialiste et femme de progrès, s’est tue. Sur
cette question aussi, elle n’avait rien à dire…

Au début de la campagne électorale, on nous a vendu Ségolène Royal comme
l’archétype de la femme moderne, capable de concilier un travail exténuant et
l’éducation d’une marmaille qui plus est nombreuse. Ségolène Royal était donc une
femme, tellement femme qu’on en oubliait qu’elle était énarque, c’est-à-dire une
technocrate issue d’une de ces usines à élites qui font la France depuis des
décennies. La femme (politique) étant l’avenir du citoyen, elle avait donc la
charge de révolutionner les modes d’exercice du pouvoir grâce à la démocratie
participative. Bref…

Lors du débat, Nicolas Sarkozy nous dévoile son plan anti-échec scolaire. Il
explique en long, en large et en travers que les mères de famille pourront être
rassurés avec l’instauration des heures d’études après les cours. Quand elles
récupèreront enfin leurs lardons, ceux-ci auront fait leurs devoirs. Ségolène
n’objecta rien à cela. Rien ! Je ne parle même pas du contenu du projet sarkozien
mais du discours qui le sous-tendait ! Jamais Nicolas Sarkozy n’a parlé du père de
famille. A l’écouter, à l’entendre, l’éducation des enfants,
de la marmaille est une affaire de femme, pardon, de mères de famille. Point de vue
conservateur, sexiste, vieux comme le monde. Et que fit Ségolène ? Rien,
strictement rien. Elle aurait pu saisir la brèche, dire à quel point l’éducation
des enfants doit être du ressort des deux parents, que la promotion de la
sexualisation de
cette tâche est une erreur gravissime, qu’elle dénote un tempéramentconservateur
voire réactionnaire, que sur ce plan-là comme sur bien d’autres plans, nous
demeurons une société largement machiste. Mais
non, Ségolène Royal, femme et socialiste, s’est tue.

Et je pourrai continuer ainsi à pointer du doigt les faiblesses de son intervention
d’un point de vue social-démocrate.

Elle s’est tue mais ce n’est pas pour cela que Dominique Strauss-Khan a haussé le
ton. Parce que je doute que Strauss-Khan incarne un « socialisme à la française »
moins droitier que celui de la Dame patronesse du Poitou-Charentes. Souvenez-vous,
il avait déclaré un jour que l’économiste John Maynard Keynes avait fait plus pour
la classe ouvrière que la marxiste révolutionnaire Rosa Luxembourg, tirade pleine
d’à propos puisque ce sont les sociaux-démocrates qui liquidèrent physiquement la
malheureuse durant la révolution
spartakiste ! Bref, plein de dépit, persuadé sans doute qu’il aurait fait mieux,
Dominique Strauss-Khan a dit tout haut ce que certains pensent tout bas : pour
gagner, la « gauche », du moins ce qu’il appelle comme ça, doit s’allier avec les
démocrates-chrétiens ; le PS doit se rapprocher de François Bayrou. Et Strauss-Khan
a raison : la gauche française a perdu trop de temps. En Angleterre, Tony Blair a
transformé le parti travailliste, force social-démocrate s’appuyant sur les
puissants syndicats de travailleurs, en un parti classique reposant sur les classes
moyennes éduquées, acquise au libéralisme économique comme à l’évolution des mœurs.
En Allemagne, avant d’être battu par Angela Merckel, Gerhart Schroëder a fait
passer une série de lois s’en prenant avec une grande brutalité aux chômeurs
allemands afin de remettre ceux-ci illico-presto sur le chemin du salariat (le plus
drôle, c’est que Peter Hartz, ex-manager de Volkswagen et promoteur de ces lois, a
été condamné récemment pour avoir négocié dans une grande entreprise allemande
contre monnaie sonnante et trébuchante la paix sociale avec un dirigeant syndical.
C’est ce qu’on appelle la cogestion) ; en Italie, Romano Prodi est à la tête de
l’Unione, une coalition électorale qui rassemble forces de gauche
et centristes.

Strauss-Khan a raison. Il est temps que le Parti socialiste fasse son
Bad-Godesberg, cesse d’écorcher l’Internationale la rose à la main, de verser une
larme d’énarque sur la misère ouvrière. Il est temps
que le PS s’assume comme tel : un parti de gouvernement, une formation de
centre-gauche, social-libérale, gestionnaire fidèle du capitalisme, dont le
discours est susceptible de recueillir les applaudissements des classes moyennes
éduquées plus attirées par les questions sociétales que par la question sociale.
Quand au peuple, il est, pour reprendre le bon mot de la sociologue Annie
Collowald, moins une « cause à défendre » qu’un « problème à résoudre ».

Le Monde comme il va
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Patsy

Texte issue de l’émission de radio "Le Monde comme il va"
Hebdo libertaire d’actualité politique et sociale, nationale et internationale

Tous les jeudis de 19h10 à 19h50
Alternantes FM 98.1 Mgh (Nantes) / 91 Mgh (Saint-Nazaire)
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