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L’ex-activiste italien Cesare Battisti a été remis en liberté sous contrôle judiciaire

Publie le jeudi 4 mars 2004 par Open-Publishing

La demande d’extradition visant l’écrivain sera examinée le 7 avril par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Ses soutiens demeurent mobilisés jusqu’à cette date

Comme dans un film policier, il a poussé la porte de la prison. Il s’est retrouvé dehors, un grand sac en plastique dans chaque main. Il a regardé devant lui et a souri comme un gamin. De l’autre côté du trottoir, derrière le cordon de policiers, sa famille et ses proches l’applaudissaient et criaient son prénom : "Cesare !", en traînant la seconde syllabe, à l’italienne. La veste en cuir noir, la mèche qui barre le front, c’est bien lui. Il est 20 heures, mercredi 2 mars.

Cesare Battisti vient de quitter la prison de la Santé, à Paris, quelques heures après l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, qui l’a remis en liberté sous contrôle judiciaire. Trop tard pour la diffusion des images aux journaux télévisés. La libération de l’ancien activiste d’extrême gauche, recherché par la police italienne, arrêté le 10 février et mis sous écrou extraditionnel, ne fera pas la "une"... Peu importe, les cameramen ont foncé sur lui, suivis par la police. Quelques instants plus tard, M. Battisti était plaqué contre le mur grisâtre de la "Santé", encerclé par les médias et les forces de l’ordre.

Puis le calme est revenu. "Cesare" a pu embrasser sa "grande famille" : des écrivains - Daniel Pennac, Michèle Lesbre, Patrick Mosconi... -, des amis italiens, etc. Quelques élus parisiens étaient là, au lendemain du vote, le 1er mars, par la majorité de gauche, d’un vœu du Conseil de Paris plaçant M. Battisti sous la "protection de la ville" (Le Monde du 3 mars) : Alain Riou, président du groupe des Verts au Conseil de Paris, la sénatrice Nicole Borvo (PCF) ou encore Jacques Bravo (PS), maire du 9e arrondissement, où réside M. Battisti, venu soutenir "l’enfant de -son- village". "Je vous remercie. C’est grâce à vous tous que je suis ici. Faut pas relâcher la pression, des dizaines de personnes sont dans mon cas", a-t-il prévenu. La demande d’extradition visant M. Battisti sera examinée, le 7 avril, à 14 heures, par la même juridiction. En attendant, l’intéressé "ne peut quitter l’Ile-de-France ni s’approcher des aéroports. Il doit pointer tous les samedis et déposer dans les 24 heures ses documents transfrontaliers. C’est un contrôle judiciaire classique", résume son avocat, Jean-Jacques de Felice, qui fait tandem avec Irène Terrel.

PAROLE DONNÉE

Agé de 49 ans, M. Battisti avait été condamné à perpétuité, par contumace, en 1988, par la cour d’assises de Milan, pour avoir commis des meurtres et tentatives de meurtre en 1978 et 1979 - "un gardien de prison", "un commerçant", "un bijoutier", "un agent de police", énumère le président de l’audience - et divers braquages. La condamnation avait été confirmée en appel, en 1993. Mais Cesare Battisti, en cavale, était installé en France depuis 1990, où il était devenu romancier, et gardien d’immeuble.

Mercredi après-midi à l’audience, devant la chambre de l’instruction, Me Terrel a plaidé la "nullité" de la procédure. Deux avis négatifs avaient déjà été rendus, le 29 mai 1991, à propos d’une demande d’extradition visant M. Battisti. "Pour des raisons politiciennes, voire électorales, on vous demande de revenir sur deux décisions rendues il y a treize ans par cette même juridiction. Et de violer l’autorité de la chose jugée", s’est indignée Me Terrel. L’avocate a déploré que, depuis août 2002, et l’extradition de Paolo Persichetti, ancien membre de l’Union des communistes combattants en Italie, devenu enseignant à l’université Paris-VIII, le gouvernement soit revenu sur la parole donnée par la France, en 1985, via François Mitterrand, de s’opposer à l’extradition d’anciens activistes ayant rompu avec leur passé.

"On fait du droit, on n’est pas des clowns !", a-t-elle ajouté à l’attention de l’avocate générale, Sylvie Petit-Leclair. Pour celle-ci, le refus d’extradition, en 1991, était lié à un vice de forme. Rien n’empêcherait donc l’Italie de refaire une demande en s’appuyant sur des "condamnations plus récentes". "Une demande d’extradition est fondée, non sur des faits, mais sur un titre", a répliqué Mme Petit-Leclair. Elle a estimé, par ailleurs, que M. Battisti n’offrait pas de "garanties de représentation suffisantes" - revenus, logement, etc. - dans son pays d’origine, pour être mis en liberté.

Dans le box des accusés, Cesare Battisti s’est levé et a pris la parole, comme l’y invitait le président. Visiblement ému, il a improvisé quelques phrases : "J’étais ici il y a treize ans. Je repasse pour les mêmes raisons, quoi qu’on en dise. Je peux comprendre le délire des condamnations, à l’époque. Mais aujourd’hui, que va dire l’Etat français aux enfants -de réfugiés italiens-, aux petits-enfants ? C’est fini ? On vous ramène ? Je ne vois que de la haine."

Sa libération immédiate est une bonne nouvelle pour ses proches, et pour les ténors de la gauche. Mais tous demeurent vigilants. M. Battisti était à peine sorti de prison que ses amis échafaudaient déjà une "nouvelle mobilisation" à l’occasion du Salon du livre, qui ouvre ses portes le 19 mars.

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