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Les juges font crédit à Cesare Battisti

Publie le jeudi 4 mars 2004 par Open-Publishing

Libération de l’écrivain. La demande d’extradition sera examinée le 7 avril.

Au premier rang du public, Valentine, une de ses filles. Dans le box, l’écrivain Cesare Battisti s’adresse aux juges de la chambre de l’instruction de Paris à qui il demande sa mise en liberté : « Je suis ici depuis treize ans. On nous a permis, à nous, réfugiés italiens, de recréer une vie en France, nous avons eu des enfants, certains de nous sont grands-parents. Que va-t-on raconter à ces enfants ? C’est fini, on ramène vos parents en Italie ? » Il a fallu moins d’une heure aux juges pour le libérer sous contrôle judiciaire. Et remettre un peu de cohérence dans une affaire qui en manque depuis le début.

Le 10 février dernier, Battisti est interpellé par les policiers antiterroristes (DNAT), car son pays, l’Italie, réclame son extradition afin qu’il purge une peine de réclusion à vie, prononcée par contumace ­il était en fuite pour quatre assassinats commis en 1978 et 1979. Dans l’Italie d’alors, ce sont les « années de plomb » ; Battisti appartient aux Prolétaires armés pour le communisme, un groupe qui prône et pratique la lutte armée.

Concierge. Mais son arrestation, tout de suite, paraît étrange. D’abord parce que, en 1991, la cour d’appel de Paris avait rendu un avis défavorable à son extradition. Or la nouvelle demande italienne porte sur les mêmes faits, déjà jugés. Les circonstances de l’arrestation ensuite : très vite, une « fuite » met en avant un conflit dans l’immeuble où Battisti est concierge son deuxième emploi , un locataire aurait porté plainte contre lui pour menaces de mort. Le ministère de la Justice affirme que l’interpellation est fortuite. La police du IXe arrondissement se serait rendu compte que Battisti était recherché en tapant son nom sur le fichier Schengen et aurait transmis l’information à ses collègues de la DNAT.

Cette thèse est mise à mal plus tard, quand les avocats de Battisti, Mes Terrel et de Felice, découvrent dans le dossier un ordre d’interpellation du garde des Sceaux transmis en mai 2003 au procureur général de Paris. Plus bizarre encore, le procureur général n’arrête pas cet auteur de polars, qui publie ses livres chez Gallimard, donne des interviews, dont l’adresse est connue et qui est muni d’une carte de séjour valable jusqu’en 2007.

En décembre donc, le procureur général renvoie au ministre de la Justice l’ordre d’interpeller avec cette mention : « non exécuté ». Sans autre explication. « Cela arrive, ce sont parfois des problèmes techniques », assure-t-on, légèrement gêné, chez le procureur général. « On n’a pas insisté », assure le ministère de la Justice, sans se soucier de contredire les faits.

Dernières incohérences quand, hier à l’audience, l’avocate générale Sylvie Petit-Leclair collaboratrice du procureur général s’oppose à la mise en liberté de l’écrivain. « La jurisprudence, avance-t-elle, veut que l’extradable, pour être libéré, possède une adresse et un emploi en France mais aussi en Italie ! » Et évidemment Battisti ne les a pas. « Son adresse en Italie, c’est la prison à vie ! », ont même crié ses avocats. Incohérence encore, quand elle assure que l’extradition a été rejetée en 1991 car fondée sur des mandats d’arrêt italiens alors qu’elle aurait dû l’être sur les condamnations plus récentes de la cour d’assises de Milan. Il ne s’agirait donc pas d’une même demande présentée une seconde fois. Mais, dans ce cas, pourquoi le procureur général a-t-il refusé d’arrêter Battisti entre mai et décembre 2003 ? Mystère.

Politique. Un début d’explication se trouve sans doute dans les analyses qui circulent au Palais de justice de Paris et selon lesquelles la procédure ne tient pas. Mais, sur un plan plus politique, le ministre de la Justice italien se fait pressant, déclarant un peu partout que « Battisti doit payer ». Les juges, présidés par Nobert Gurtner, ont en tout cas entendu les arguments de Me Irène Terrel. Dont le fait qu’en 1991, remis en liberté par la chambre d’accusation, Battisti n’avait pas fui et était revenu pour être jugé.

Le 7 avril, les mêmes juges se pencheront sur la demande d’extradition elle-même. On saura alors si les autres arguments des avocats porteront. Entre autres : « Cette procédure est nulle, elle ne contient aucun nouvel élément depuis douze ans ! On vous demande de violer notre droit ! » Dont des principes intangibles. A la fois l’autorité de la chose jugée et la règle du non bis in idem : on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Et aussi la parole donnée, « au nom de la France », en 1985, par François Mitterrand qui avait accordé « la tranquillité » aux anciens activistes italiens ayant « rompu avec la machine infernale ».

Depuis le 10 février, pétitions et manifestations se sont succédé en faveur de l’écrivain. Et, hier soir, un comité de soutien attendait Battisti quand il est sorti de la prison de la Santé. L’écrivain a dit : « Il faut se mobiliser pour les autres réfugiés italiens qui ne sont pas écrivains et qui risquent la même chose que moi. Il faut qu’enfin la page soit tournée. » Et aussi : « Je pense également à Nathalie Ménigon en train de crever en prison. »

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