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Hacker, pas censeur

Publie le lundi 7 avril 2003 par Open-Publishing

Sur la lutte politique sur le WEB , un extrait de Courrier
International.

Des hackers se rebellent après une attaque contre le site de Al Jazira
 :
l’"hacktivisme" a une éthique, et le respect du droit à l’information
en est
l’un des principes premiers.

"Ne reprochez pas aux hackers la récente attaque contre le site de la
télévision Al Jazira, ils n’y sont pour rien", s’exclame "Wired". Le
magazine américain reconnaît bien sûr que le site a été hacké, mais il
estime que "ce n’est pas le fait d’un hacker digne de ce nom ; plutôt
un
acte de ’script kiddy’." Ce terme jargonneux désigne les "petits
morveux
incapables de concevoir une véritable stratégie de hacking et tout
juste
bons à recopier le JavaScript de quelqu’un d’autre et à l’utiliser
contre un
site", précise "Wired". En gros, la mise hors-service du site d’Al
Jazira
est le fait d’un franc-tireur indifférent à l’éthique des hackers, un
cracker selon la terminologie que les hackers responsables voudraient
imposer.

L’éthique est au centre du débat. Depuis le 20 mars, et durant dix
jours,
ceux qui ont pianoté http://www.aljazeera.net/ ont été dirigés vers une
page
arborant un drapeau américain et le slogan "Que maintenant vienne
l’heure de
la liberté !". "Celui qui a fait ça a commis un crime informatique et
un
acte de censure", s’indigne Oxblood Ruffin, directeur exécutif de
Hactivismo, un groupe qui développe des outils pour empêcher la
censure. Et
d’ajouter : "Il n’existe aucune différence entre la Maison-Blanche, qui
met
Helen Thomas (célèbre journaliste américaine aujourd’hui à la retraite
et
très critique vis-à-vis de George W. Bush) à l’index, et les pirates
minables qui ont écroulé le site de Al Jazira. Tout ça est taillé dans
le
même costard : petits tyrans, couards, hypocrites."

"La guerre, ce n’est pas joli-joli"

Pour Jihad Ali Ballout, porte-parole de la chaîne qatarie, "l’agression
contre notre site est une atteinte à la liberté d’expression et à celle
de
la presse". Un avis que partage Robert Ferrell, chercheur en sécurité
informatique. "Le cracker qui a fait cela n’a probablement pas de vraie
cause à défendre. Il fait ce genre de truc juste pour pouvoir se
prétendre
’hactiviste’, parce que l’étiquette est ’cool’. Il n’y a pas de
réflexion
dans cet acte." D’ailleurs, poursuit Ferrell, "si l’agresseur est
responsable et américain, on peut se demander s’il n’a jamais entendu
parler
de la Déclaration des droits de l’homme ou s’il ne se souvient plus de
ce
que le premier amendement dit !"

Tout le monde n’est cependant pas de cette opinion. Mike Sweeny,
propriétaire de Packet Attack, un site d’information sur la sécurité,
s’interroge. "Mes sentiments à propos de l’attaque sont pour le moins
mitigés. Si Al Jazira n’était pas aussi partiale, cela ne poserait
aucun
problème. Mais la chaîne interprète tellement la réalité que je ne sais
plus
quoi penser. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont raison de diffuser des
images
non censurées, qui montrent que la guerre ce n’est pas joli-joli, et
que les
blessés ne tombent pas le sourire aux lèvres, que les morts n’expirent
pas
dans un soupir avec une cigarette au coin des lèvres. Ce sont des
images que
les Américains devraient voir plus souvent." Colin Powell n’a pas non
plus
hésité à critiquer la chaîne, en lui reprochant de "mettre l’accent sur
les
succès mineurs des Irakiens et de ne porter qu’un regard négatif sur
les
efforts américains".

Al-Jazira récompensée

La ligne éditoriale d’Al Jazira est sans nul doute ce qui a provoqué
l’attaque. D’ailleurs, remarque "Wired", les premières requêtes - le
site a
été écroulé selon la très classique tactique DOS (déni de service) -
sont
arrivées juste après que la chaîne qatarie a montré des prisonniers de
guerre britanniques et américains.

Pourtant, Al Jazira a été récompensée par l’"Index on Censorship", basé
au
Royaume-Uni. L’index lui a remis son prix pour "son courage à refuser
la
censure et son apparente indépendance dans une région où les médias
sont
pour la plupart dirigés par l’Etat." Et "Wired" donne le mot de la fin
à
Hasnaim Maurya, qui se décrit comme un cracker repenti, et explique
qu’autrefois "il croyait justifié d’attaquer les sites des opposants au
gouvernement". Il a désormais changé d’idée : "On ne peut pas réclamer
la
liberté pour soi et en même temps limiter celle des autres."

Eric Glover