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Parti de la Gauche européenne : la responsabilité du renouveau

Publie le lundi 9 juillet 2007 par Open-Publishing

Intervention collective : Forum pour la Gauche Européenne/Socialisme XXI – Turin. Participants à l’assemblée de Rome 16/17 juin 2007

de Franco Cilenti, Giulia Bertelli, Dorino Piras, Elio Limberti, Marco Scavino, Luigi Sulla traduit de l’italien par Karl&Rosa

En tant que Forum de la Gauche Européenne/Socialisme XXI – Turin, nous pensons qu’il est important, au moment où la Gauche Européenne se constitue formellement, de rappeler les éléments de fond du débat à partir duquel ce projet a commencé. En effet, l’idée de donner vie à un nouveau sujet politique avait deux racines, strictement liées entre elles : d’un côté la réflexion sur l’inaptitude, dans la phase politique actuelle, de la "forme parti" traditionnelle, de l’autre la critique (qui propose et qui participe) des mouvements qui se sont manifestés ces dernières années contre la précarité de l’emploi, contre la guerre, contre le racisme et pour la défense de l’environnement.

Les formes prises par les processus de globalisation du capitalisme ces vingt/trente dernières années – disait-on – imposent aussi un saut de qualité aux formes sociales et politiques de l’action collective anticapitaliste, à travers lequel opérer une redéfinition (ou une réinvention) de la politique, entendue dans sa signification la plus large.

L’exigence, en somme, était de se donner les instruments pour s’attaquer avec courage (et avec sens des responsabilités) aux grandes questions venues à la surface ces dernières années : les changements de la composition des classes laborieuses, la fragmentation et la dispersion des luttes, la difficulté de mettre en communication entre eux les mouvements et les partis, de faire interagir positivement les mille subjectivités dont se composent les mouvements et les différentes couches politiques et les organisations qui oeuvrent dans la Gauche anticapitaliste. En dépassant aussi bien la sclérose des formes « classiques » d’organisation (le parti et le syndicat) que la sclérose (aussi dangereuse) des mouvements eux-mêmes.

Dans un cadre politique comme celui d’aujourd’hui, caractérisé par l’existence d’une myriade de partis et de petits partis, de groupes, de mouvements, d’associations politiques et sociales, Gauche Européenne pourra donc être un élément d’agrégation, dans la mesure où elle saura vraiment représenter une façon nouvelle et différente d’entendre (et de pratiquer) la politique.

Une façon de faire la politique qui commence, en premier lieu, par les capacités d’entreprendre une sorte de « Observation participée » des réalités sociales, où nous, les observateurs, sommes une partie du contexte de l’observation, mais où nous sommes en même temps aussi un élément actif de confrontation avec les sujets qui composent ce contexte. Nous pensons que les partis qui oeuvrent aujourd’hui dans les institutions ont perdu, hélas, cette capacité, non pas à cause d’un refus intrinsèque, mais d’une réelle difficulté et incapacité à être duels : forme représentative et en même temps participée dans la dynamique des transformations sociales. On raisonne par macro évènements, par macro institutions, on n’arrive plus à saisir le micro, à cause d’une perte d’intérêt pour l’enquête, pour la connaissance directe, pour l’exploration de tout ce qui nous entoure.

Au contraire, le défi de la Gauche Européenne doit être justement celui de changer ce modus operandi, en dialoguant sans cesse avec la société, avec les mouvements, avec les réalités locales, avec toutes les coordinations oeuvrant en Italie et ailleurs, en s’adressant en somme à l’ouverture, au dialogue, au renouveau. Si telles sont les bases de Gauche Européenne, des femmes et des hommes s’engageront dans ce projet, ils commenceront un travail politique au large souffle, en entrant en contact avec tous, en ayant surtout la capacité de dialoguer avec tous. Nous venons tous d’expériences différentes, avec une contribution personnelle importante, qui ne doit pas être réduite mais, au contraire, acheminée dans une trame plus large que toutes les expériences des participants.

A la lumière de ce qui a été dit, nous ne pouvons pas nous abstenir d’une critique et d’une proposition sur un point de notre pré statut de la Gauche Européenne, précisément celui qui s’intitule « Pour une nouvelle gauche en Italie ». En effet, la logique qui semble émerger de ce texte nous semble être encore celle de la politique politicienne, de la préoccupation pour les alliances et les agrégations de la classe politique traditionnelle, spécialement là où l’on analyse les effets prévisibles de la disparition des Démocrates de Gauche et où l’on parle d’ « un défi au Parti Démocrate », d’ « une responsabilité supplémentaire » qui reviendrait à Gauche Européenne.

Le risque, nous semble-t-il, est de continuer à raisonner en termes de contexte de politique des partis plutôt qu’en termes de renouveau global de la politique. Nous, en tant que Gauche Européenne, sommes déjà – par notre composition, nos caractéristiques, notre culture, notre opérativité – une réalité différente des partis traditionnels, nous devons suppléer aux échecs d’autrui, nous devons plutôt représenter l’alternative à une façon de « être parti » qui, au fil des dernières décennies, n’a produit que des dégâts et de la passivité, parce qu’elle a fini par éloigner la très grande majorité des personnes de la participation, de la lutte, de la pratique directe de la démocratie.

Gauche Européenne, autrement dit, n’est pas (et elle ne veut pas l’être) la pure et simple agrégation de quelques secteurs de la classe politique de la Gauche anticapitaliste, qu’ils soient liés aux partis, aux syndicats ou aux mouvements. Au contraire, Gauche Européenne veut commencer par cet élément d’agrégation formelle, pourtant nécessaire et indispensable, pour mettre en route une expérience sociale et politique d’un nouveau genre, capable en premier lieu de récupérer un rapport (qui apparaît aujourd’hui gravement affaibli, sinon presque complètement absent) avec les groupes sociaux les plus touchés par la restructuration capitaliste.

Et pour aller dans cette direction, il est indispensable que Gauche Européenne (au moment où elle ira s’implanter, concrètement, dans les différentes villes et réalités territoriales) mette au centre de ses initiatives et même de sa façon de se présenter, une activité finalisée à l’agrégation du plus grand nombre possible de forces dans les mouvements mais aussi (et peut-être surtout) dans cette zone très vaste de camarades qui ont choisi ces dernières années de rester aux marges des différentes formes organisées de la Gauche. Dans chacune des réalités locales, Gauche Européenne ne peut et ne doit pas se présenter comme un « récipient » de ce qui existe déjà aujourd’hui (en termes de partis, de groupes, de fractions de vieille classe politique à la recherche d’une nouvelle collocation) mais comme un élément d’agrégation à partir d’une série de contenus, comme un instrument d’action politique pour favoriser l’ouverture d’un nouveau cycle de luttes anticapitalistes.

Si nous ne savons pas représenter et pratiquer cette alternative, si nous sommes l’énième proposition d’un sujet politique qui se propose comme « caste », désuet et aphasique, nous ne serons utiles à personne mais surtout – croyons-nous – nous trahirions la raison pour laquelle nous nous trouvons ici, avec des délégations de provenance différente (culturelle et idéale), unis pas la volonté de définir, à travers la confrontation et l’échange réciproques, ce que nous sommes, ce que nous voulons être, comment nous voulons être représentés, de quels espaces physiques nous devons nous équiper dans les territoires, quels doivent être nos principes et nos valeurs, comment nous voulons communiquer au monde extérieur (mais aussi à l’intérieur de nous-mêmes) notre volonté d’alternative.

En ce sens, nous tenons à souligner aussi la signification du choix d’adopter – comme Gauche Européenne – une forme d’organisation du type fédératif, pluraliste et ouverte au rapport/confrontation avec tous ceux qui se battent, dans la phase historique actuelle, contre le capitalisme néolibéral, les guerres impérialistes, la dévastation de l’environnement, le racisme et le sexisme. Un choix qui n’a pas été dicté – nous voulons le rappeler – par des raisons contingentes, de procédure du processus constituant, mais par une conception précise de ce que Gauche Européenne veut être, en soi, comme nouveau sujet politique et qu’il s’agit maintenant de souligner et de renforcer, en garantissant aussi (à tous les niveaux) un max de démocratie dans les processus d’élaboration politique et de formation des décisions.

La question de genre

Dans la pratique politique des 60 dernières années, même à l’intérieur des partis et des organisations de gauche, la participation de la femme a été à bien des égards contrariée par des visions machistes discriminatoires, rétrogrades et opportunistes. Tandis que nombre de femmes ont agi dans l’ombre de motivations politiques, en créant une énormité de propositions et de solutions à différents problèmes.

Les filles de cet état des choses prétendent aujourd’hui, et pour cause, compter et être concrètement présentes dans les institutions, dans les rôles-clé et surtout aux tables de discussion liées au monde politique.

Nous croyons que le problème n’est absolument pas dépassé, aujourd’hui encore, et que cette vision mono sexuée de la politique est dure à s’éteindre, mais nous croyons aussi en même temps que la meilleure façon de la contraster n’est pas celle – un peu opportuniste – des « discriminations en positif ». La femme n’est pas un monde à part, n’est pas un sujet séparé, elle pense, agit, propose autant que l’autre moitié du genre humain et c’est pour cette raison qu’elle doit être mise en valeur et non pas au nom d’une rhétorique stérile sur la « tutelle » qui risque d’être écoeurante, instrumentale et – à notre avis – dépassée en plus d’être subtilement humiliante pour les femmes elles-mêmes. Nous voulons qu’on passe d’un père patron à un tuteur légal.

Notre conviction est que Gauche Européenne doit garantir un maximum de représentation à toutes les figures qui veulent y participer, aussi bien des femmes que des hommes. Et que le droit des femmes à faire de la politique n’est pas tellement garanti par une norme statutaire mais qu’il passe plutôt par l’adoption d’un style de travail et d’une façon de faire interne (pour ainsi dire) dont soient abolis les préjugés machistes et les prévarications quotidiennes. Voilà ce que doit être, à notre avis, un engagement précis que Gauche Européenne assume formellement, comme papier de tournesol de sa capacité d’être vraiment une force politique nouvelle. Des femmes et des hommes avec des droits égaux, pouvoirs égaux, égale dignité, ensemble pour créer, pour sensibiliser, pour construire. Le critère de la représentation de genre à 50% peut être une stimulation en ce sens, mais il ne constitue en soi aucune garantie d’un renouveau effectif, sur lequel les camarades devront, au contraire, être vigilantes et se battre, s’il le faut.