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"Si Bagdad tombe, c’en est fini de la Palestine"

Publie le mardi 8 avril 2003 par Open-Publishing

Khaled Al-Fahoum, ancien président du conseil national palestinien, à LIBERTE
"Si Bagdad tombe, c’en est fini de la Palestine"
Notre envoyer spécial à Damas : Benfodil Mustapha

M. Khaled Al-Fahoum est membre fondateur de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) et ancien président du Conseil national palestinien. Observateur avisé de la situation au Proche-Orient, il nous livre ici son analyse sur les retombées de la guerre contre l’Irak à l’endroit de la cause palestinienne.

LIBERTÉ : L’agression américano-britannique contre l’Irak laisse à craindre quant au devenir de la question palestinienne qui a toujours trouvé en Bagdad un soutien inconditionnel. Quelle en est votre lecture, M. Khaled Al-Fahoum ?
M. K. AL-FAHOUM : Il ne fait aucun doute que la guerre menée contre l’Irak aura de grandes conséquences sur l’avenir de la cause palestinienne. Ce n’est un secret pour personne que c’est le lobby juif à Washington, connu sous le nom de l’Aipac, qui a poussé l’Amérique à envahir l’Irak. On sait, par ailleurs, que les hommes de l’administration américaine, Donald Rumsfeld en tête, émargent tous aux grands trusts pétroliers et autres sociétés de fabrication d’armes. Ils occupent tous des postes importants, au niveau de ces sociétés, et le secrétaire d’État à la Défense, Donald Rumsfeld, a tout fait pour imposer cette guerre au Pentagone et envahir rapidement l’Irak. Les États-Unis veulent à tout prix avoir la mainmise sur les réserves de pétrole au Proche-Orient. Ils veulent l’avoir à 10 dollars le baril et le revendre à la France, à l’Allemagne, au Japon, à 50 dollars le baril, et s’assurer ainsi une suprématie industrielle pérenne qui leur permettra de rester à la tête d’un monde unipolaire. Concernant maintenant la position palestinienne, eh bien, nous n’avons pas fléchi, nous continuons à nous battre de toutes nos forces depuis voilà deux ans et demi. Cela nous a coûté des milliers de maisons détruites, d’enfants et de femmes mis à la rue, et 10 000 Palestiniens incarcérés dans les geôles israéliennes. Malgré toutes ces exactions, nous continuons à résister avec la dernière pugnacité, et nous n’allons pas nous taire avant l’établissement d’un État palestinien, libre et souverain, avec Al-Qods comme capitale, ainsi que le retour de tous les réfugiés palestiniens sur leur terre.

Combien y a-t-il de réfugiés palestiniens en Syrie et en Jordanie ?
Ici, en Syrie, il y en a 600 000, et en Jordanie ils sont deux millions. La plupart d’entre eux sont venus en 1948 et les autres en 1967.

À supposer que les Américains installent un gouvernement pro-américain à Bagdad, quelles en seraient les conséquences, selon vous, sur le Proche-Orient ?
Les États-Unis veulent à tout prix introniser à Bagdad un gouvernement, tel que sa première résolution sera de reconnaître l’entité sioniste. Cela assurera à Israël une totale hégémonie au Proche-Orient.
Elle fera alors ce qu’elle veut sans rencontrer la moindre résistance, toujours avec le soutien des États- Unis. Nombre de dirigeants israéliens le disent. Après Saddam, le prochain sur la liste sera Yasser Arafat.
Ils ne veulent pas que la moindre voix s’élève pour dénoncer l’arrogance sioniste. En clair, si les États- Unis remportent cette guerre contre l’Irak, ils pourront disposer comme bon leur semble du Proche- Orient.

L’opposition irakienne dit que Saddam est un dictateur et que tout ce qu’elle demande, c’est l’instauration d’un régime démocratique fédéral à Bagdad, sans pour cela qu’il soit forcément pro- américain. Qu’en pensez-vous ?
Les Américains rencontrent une résistance farouche en Irak. Ceci prouve que le nationalisme irakien est très profond. Les gens résistent malgré ce qu’ils ont subi de la part de ce régime "dictatorial". Cet élan patriotique du peuple irakien a placé l’intérêt national au-dessus de tout état d’âme privé. La défense de la patrie est à présent au cœur de cette extraordinaire mobilisation populaire. Cela dit, je souhaite que le régime irakien sache donner à cet élan la considération qu’il mérite, et qu’il traite le peuple avec un minimum démocratique.

Est-ce que l’OLP reçoit une aide financière de la part de Bagdad ?
Non. Mais l’OLP existe depuis 1964, et l’Irak a toujours apporté une aide financière substantielle à l’organisation et à l’armée de libération de la Palestine. Seulement, depuis 1990, nous n’avons plus reçu d’aide financière directe de Bagdad. Toutefois, il faut noter que jusqu’à ce jour, l’Irak continue à allouer une pension aux familles de nos martyrs et à celles de nos combattants détenus dans les geôles israéliennes.

Quel regard portez-vous sur les positions officielles des régimes arabes ?
Ce sont des régimes pourris, c’est clair. Tout ce qu’ils savent faire, c’est aller de réunion en réunion où ils passent leur temps à s’insulter. Les régimes arabes ont très peur de l’Amérique, ils sont terrorisés par l’Amérique. C’est pour cela qu’ils n’ont pas eu de position honorable vis-à-vis de l’Irak, à l’exception de la Syrie qui a apporté un soutien politique sans limite à Bagdad.

Certains observateurs prédisent un craquement fatal de nombre de ces régimes si l’Irak sortait vainqueur de cette guerre...
C’est tout à fait plausible dans la mesure où la pression de la rue arabe va crescendo. La société civile arabe veut plus de démocratie et n’acceptera plus d’être foulée aux pieds. Ces régimes ne pourront plus museler les masses populaires. Il n’y a qu’à voir les 5 000 volontaires arabes qui, allant à l’encontre des positions officielles exprimées, se sont portés volontaires au secours de l’Irak.

M. B.