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Intermittents du spectacle : quand l’Etat s’en mêle !

Publie le mardi 8 avril 2003 par Open-Publishing

La remise du rapport sur l’assurance chômage des intermittents du
spectacle, commandée en septembre par le ministère de la culture, a
provoqué un nouveau sursaut dans la « mobilisation » appelée par la CGT
spectacle.

Quand le MEDEF montre la lune, la CGT regarde le doigt.

Un des buts de la mission des rapporteurs de Inspection Générale des
Affaires Sociales et de l’inspection Générale des Affaires Culturelles
était de « clarifier 1’origine des différences entre les statistiques
émanant de l’UNEDIC et celles issues d’autres organismes sociaux sur le
nombre d’intermittents du spectacle bénéficiant des allocations du
régime d assurance chômage. » [1]

A l’origine, une querelle de chiffres entre le MEDEF qui avançait ceux
de l’UNEDIC pour justifier sa volonté de faire sortir les intermittents
du cadre de la solidarité interprofessionnelle et la CGT qui lui
opposait ceux de la Caisse des Congés Spectacle. Loin de clarifier quoi
que ce soit, le rapport ne fait qu’entretenir la confusion et se
contente de noter l’augmentation du nombre des intermittents au cours
des cinq ou dix dernières années.

Quand le MEDEF compare les cotisations versées et les indemnités
perçues
par les intermittents il les sort, de fait, du cadre interprofessionnel
. c’est son objectif ; mais quand la CGT et le SYNDEAC - organisation
patronale du secteur - ergotent sur ces chiffres en les contestant ou
en
voulant y ajouter les cotisations des salariés permanents du secteur,
ils jouent sur le même terrain et donc entérinent cette remise en cause
tout en déclarant défendre le maintien du régime spécifique dans le
cadre de solidarité interprofessionnelle.

Fraude, complicité de fraude et corporatisme aggravé.

Un autre point abordé par le rapport est celui des dysfonctionnements
du
régime. Le diagnostic est éloquent, et curieusement les pratiques de
nos
patrons y sont plus clairement révélées que dans la propagande de la
CGT
spectacle. Par exemple il y est dit que le droit au régime spécifique
est vécu « comme un passeport exigé par nombre d’employeurs pour le
recrutement au meilleur compte de leurs salariés en externalisant sur
1’assurance chômage une partie des coûts de rémunération. » ou encore
 :
« Aussi, un grand nombre d’employeurs [...] se sont-ils adossés au
régime d’indemnisation pour faire de l’ingénierie financière ou pour
couvrir une partie de leurs coûts salariaux. »

Il s’agit là des études, préparations, répétitions, heures
supplémentaires.. . non payées par le patron mais indemnisées par les
Assedic ; c’est aussi un argument couramment invoqué par certains
artistes pour justifier qu’ils « méritent » leurs allocations : « 
Pendant mon chômage, je travaille. » Ce faisant ils défendent le
droit,
pour leurs patrons de les faire travailler sans les salarier !

Ces pratiques frauduleuses ne sont pas les seules à être mises en
évidence : « En outre, le dispositif juridique offre d’autant plus de
points de contournement qu’il est constitué d’une accumulation de
règles
complexes, aux effets parfois mal maîtrisés, qui vont de la
dissimulation de l’activité à l’achat des cotisations sociales jusqu’au
prêt de main d oeuvre dans le cas de contrats de coproduction, en
passant par l’utilisation abusive voire dévoyée des règles relatives
aux
cachets et par des falsification quant aux qualifications mises en
oeuvre. »

Ces « points de contournement », pudiquement qualifiés d’abus, peuvent
parfois « bénéficier » au salarié (« gonflage » du salaire pour
augmenter le taux d’indemnisation, achat de cotisations pour ouvrir des
droits en cas d’un nombre d’heures déclarées insuffisant.. .) mais
nécessitent toujours la complicité entre le salarié et son patron et
profitent toujours au patron ; la falsification du salaire déclaré lui
permet d’augmenter la rémunération du salarié sans que cela lui coûte
un
centime et permet d’éviter ainsi les conflits.

Cette complicité se cache derrière un intérêt supérieur : la défense
de
la Culture. Le rapport souligne : « Le développement de la
décentralisation culturelle dans le cadre d’un partenariat renforcé
avec
les collectivités locales et l’importance prise par cette activité dans
l’animation de la cité ont donné au régime d’assurance chômage un rôle
essentiel dans le financement indirect des structures associatives
essentiellement et de la politique culturelle. »

De cet état de fait est née l’idée que la défense du régime spécifique
d’assurance chômage équivalait à la défense de la Culture. Cette idée
est maintenant tellement intégrée que certains sont fermement persuadés
que ce régime a été créé pour subventionner les entreprises
culturelles.
Collusion entre patrons et salariés, intérêt supérieur sont les
ingrédients, du corporatisme ; il est omniprésent et se manifeste tant
dans la défense de ce régime d’assurance chômage que dans sa mise en
faillite.

De la caisse de solidarité à la caisse d’épargne.

Dans sa dernière partie, le rapport est constitué de propositions de
réforme suggérées aux partenaires sociaux pour l’amélioration du
système. La décision leur revient au sein de I’UNEDIC. Ces propositions
visent à « renforcer les conditions d’accès au régime » ainsi qu’en « 
la mise en place de mécanismes incitant à la sincérité des
déclarations. » Elles consistent essentiellement en des modifications
du système d’indemnisation et ne touchent donc que les salariés.

Il est donc propose la création de deux annexes différentes, pour les
artistes et réalisateurs d’une part et les ouvriers et techniciens
d’autre part [2] : « l’ensemble des techniciens et ouvriers auquel
serait consacrée une annexe particulière bénéficierait d’un régime
d’assurance chômage mieux harmonisé avec le régime général ; une autre
annexe serait réservée aux artistes et justifierait de règles de
fonctionnement plus proches du dispositif actuel. » La première serait
proche de l’annexe 4 - régime intérimaire -, la seconde verrait : « la
modulation du taux de l’allocation qui s ’accroîtrait avec l’activité
déclarée. » Ceci est fait dans le but de mettre un frein à la fraude
consistant à « gonfler les cachets » mais aussi parce que les
rapporteurs considèrent qu’aujourd’hui « le régime fonctionne de fait
comme un système de redistribution interne des droits acquis par les
plus actifs au profit des salariés ayant moins de droits... »

Ils perçoivent donc, et voudraient nous faire percevoir le système
d’assurance chômage comme une cagnotte où nous mettrions de côté une
partie de notre salaire en prévision des jours sans travail. C’est une
remise en cause du principe de solidarité qui est le fondement de
l’assurance chômage et de toute notre protection sociale. Les
cotisations des travailleurs en activité - qui sont, rappelons-le, une
part prise sur leur travail - sont reversées aux travailleurs sans
activité qu’ils soient malades, en accident, à la retraite ou au
chômage
et quel que soit le secteur d’activité où ils travaillaient ; c’est de
la solidarité. Ce glissement. dans la manière d’appréhender la
protection sociale va dans le sens de son démantèlement et de son
remplacement par l’épargne et l’assurance individuelle. C’est le voeu
du
Capital et la mission des Etats.

C’est en exigeant d’être salarié pour chaque journée, pour chaque heure
travaillée, en exigeant des augmentations de salaire et le paiement des
cotisations que nous pourrons défendre nos allocations chômage pour ce
qu’elles sont : un moyen de vivre pour les travailleurs sans emploi, et
ce, sans prêter le flan au MEDEF ou à l’Etat, sans invoquer la mort de
la Culture !

Mais nous n’aurons de cesse de défendre ces maigres acquis tant que
nous
subirons l’exploitation capitaliste. Et ce n’est qu’en nous organisant
à
la base, en renforçant la solidarité entre tous les exploités et en
agissant directement que nous pourrons, par la révolution sociale,
construire une société sans classes, sans argent, une société
d’individus libres.

Gilles,
Syndicat Intercorporatif de Marseille
CNT-AIT

Article du Combat Syndicaliste Méditerranée n°185 Janvier-février 2003
 > http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=647

[1] Les citations en italiques sont extraites du résumé du rapport
présenté par Jean Roigt (IGAS) et René KJein (IGAC).

[2] C’était prévisible depuis la modification des annexes 8 et 10 en
1999. Ces annexes - 8 pour le cinéma et l’audiovisue1 et 10 pour le
spectacle vivant - se différenciaient avant 1999 par le mode de calcul
de l’indemnité ; depuis, le mode de calcul est le même mais les modes
de
déclaration du temps de travail différent au sein de chaque annexe :
cachets pour les artistes et réalisateurs, et heures pour les ouvriers
et techniciens. Cette division existait déjà quand certains artistes,
arguant du fait de travailler - répéter, faire des gammes, etc.-
pendant
les périodes de chômage, se démarquaient des techniciens.