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Bilbao dénonce une manipulation

Publie le samedi 13 mars 2004 par Open-Publishing

Solidaires avec les victimes, les Basques affirment qu’ETA a été accusée injustement.

La pluie battait hier soir sur Bilbao mais elle n’a pas empêché quelques centaines de milliers de personnes de manifester « pour la défaite du terrorisme », à 19 heures, comme dans toutes les villes d’Espagne au même moment.

La Gran Via, l’artère principale qui traverse le centre de la capitale économique du Pays basque, s’est retrouvée trop étroite pour contenir la foule, et les parapluies se pressaient dans les rues adjacentes. Ici comme ailleurs dans la région autonome, les Basques étaient venus démontrer leur solidarité « avec Madrid », leur « peine », comme disent Claudia et Gabriela, 13 ans chacune, mêlées à la foule.

Hallucinant. Elles sont nées ici, à Bilbao, ne se quittent pas même si elles ne sont pas d’accord politiquement. Claudia ne sait pas encore qu’ETA vient de nier être à l’origine des attentats de Madrid : « Tout le monde sait que ce sont eux ! » Gabriela : « Mais non ! Ce sont les islamistes, c’est parce que Aznar [le chef du gouvernement espagnol, ndlr] s’est mis dans la guerre en Irak... »

Plus qu’ailleurs, le Pays basque a douté dès le début de la « piste ETA ». « Quand j’ai branché la radio jeudi matin, elle n’annonçait au début que quelques explosions à Madrid, sans aucun détail. J’ai alors pensé à un attentat déplorable mais "classique", dans le sens où ETA tente toujours de brouiller les campagnes électorales », dit Paul, militant d’un mouvement pacifiste qui milite depuis douze ans contre la violence. « Puis le bilan s’est révélé hallucinant, ajoute-t-il, Alors j’ai douté. Car ETA a démontré récemment qu’elle était incapable d’acheminer ne serait-ce qu’un fourgon chargé d’explosif jusqu’à Madrid. »

Le 29 février, deux jeunes membres de l’organisation terroriste ont été arrêtés avec une demi-tonne de dynamite dans le coffre d’une camionnette sur le chemin de la capitale, argument qui a paradoxalement été utilisé, depuis jeudi matin, par le gouvernement pour justifier la « piste ETA ».

Injustement. « Le gouvernement Aznar a brouillé les pistes, il nous a trompés en accusant ETA, poursuit Paul. Nos sources nous parlaient d’un risque de grave attentat durant la campagne électorale, mais nous n’avions jamais imaginé quelque chose d’une telle ampleur. Mais le pire c’est que finalement ça peut se retourner en faveur d’ETA parce que les gens vont sentir comme un soulagement et diront "ça ne nous concerne pas" et "ETA a été accusée injustement". »

Dans la journée, le même argument est repris par le porte-parole de Batasuna, le bras politique, interdit depuis 2003, de l’organisation séparatiste basque. Arnaldo Otegi clame « son rejet le plus absolu d’un massacre qui a tué des travailleurs ». Chose exceptionnelle, Batasuna même exprime sa « solidarité avec le peuple espagnol ». « Mais Otegi n’a pas condamné officiellement l’attentat, il ne savait trop sur quel pied danser, il n’avait sans doute pas encore d’instructions d’ETA », estime un proche des milieux nationalistes.

« C’est vrai que nous avons douté un temps, mais tout indiquait que cet attentat ne portait pas la marque d’ETA », indique un ancien dirigeant de Batasuna, expulsé du parti indépendantiste pour avoir osé suggéré la fin de la « lutte armée ». « A chaque fois qu’il y a eu un changement de stratégie d’ETA, il s’est accompagné d’un discours très structuré accompagné de communiqués du type "nous ouvrons un nouveau front". Cette fois, il n’y avait rien eu. Mais l’hypothèse ETA n’était pas impensable non plus. Cette organisation est, depuis le retour de la démocratie, dans une fuite en avant : au début, les cibles étaient les policiers, les juges, les hommes politiques qui "participaient à la répression". Puis ce furent tout simplement les juges, les policiers, les hommes politiques sans plus, tout ce qui pouvait tomber sous une balle. ETA, pourquoi pas, aurait pu franchir un nouveau pas avec des attentats aveugles. »

Attaque systématique. Aujourd’hui, les Basques ont le sentiment d’avoir été manipulés par José Maria Aznar. Son gouvernement s’était empressé de désigner ETA dès jeudi matin comme le responsable des 199 morts des attentats de Madrid. Un argument facile, qui l’aidait dans une campagne électorale qui a très souvent tourné à l’attaque systématique contre les nationalistes périphériques.

« Malheureusement, le PP [Parti populaire d’Aznar, ndlr] sera sans doute toujours au pouvoir lundi matin, grince un jeune Basque. Et Aznar et son successeur utiliseront sûrement l’argument de l’attentat islamiste pour restreindre encore un peu plus les libertés dans ce pays. Finalement, que ce soit ETA ou les islamistes, on arrivera tristement au même résultat. »