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Vous avez dit Recherche Publique ?

Publie le lundi 15 mars 2004 par Open-Publishing

Les chercheurs sont en colère. Le petit monde de la recherche dite publique
s’agite en pétitions, motions, débats et manifestations au nom de la
"défense du service public" et de la "recherche pour tous". Des directeurs d
’unité (caporaux - chercheurs) menaceraient même de démissionner de leur
fonction pour redevenir de simples chercheurs, c’est dire l’ampleur de la
gronde. De quoi s’agit il ?

L’État bloque les crédits de dépense des laboratoires, supprime 550 postes,
et le budget général de la recherche publique régresse d’année en année.
Certains laboratoires ne peuvent plus fonctionner correctement et des
programmes de recherche sont en panne, faute de crédit. Plusieurs milliers
de scientifiques et de techniciens (CNRS, INRA, INSERM, Universités...) ont
signé une pétition demandant la création de postes, le rétablissement des
crédits et une augmentation générale des fonds alloués à la recherche
publique. Et dans cette liste de pétitionnaires-citoyens, on trouve une
belle brochette de directeurs de laboratoire, de médaillés de la science et
de la république, d’experts appointés auprès du parlement, et de membres de
conseils d’administration de fondations et de comités scientifiques - tous
gens informés au premier chef de l’état réel de la recherche publique, de
ses activités et de ses financements.

Alors, on peut s’étonner des mots d’ordre lancés tel que "Pour la défense de
la recherche publique" ou "La recherche au service de tous". Car à l’
évidence, et depuis belle lurette, la recherche publique n’a jamais été au
service de tous, mais au service d’un État dont les choix stratégiques en
matière de recherche n’ont rien de commun avec les besoins de la population.
Et la réduction des moyens de recherche octroyés aux organismes publics ne
date pas d’hier, et elle est autant le fait du gouvernement actuel que des
partis politiques de gauche lorsqu’ils étaient au pouvoir. Combien de temps
encore, les chercheurs des organismes nationaux feront-ils semblant de
croire qu’ils travaillent pour la collectivité ?

A l’INRA, où nous travaillons, les exemples ne manquent pas qui démontrent
le caractère illusoire du concept de "recherche publique". En voici quelques
exemples. Le conseil d’administration qui définit la politique de recherche
de l’Institut accueille parmi ses membres plusieurs représentants des
industries agroalimentaires qui ne se privent pas d’influer sur le choix des
priorités de recherche. Beaucoup de laboratoires trouvent 30 à 80 % de leur
crédits de fonctionnement auprès d’organismes para-publics ou privés qui, en
retour, imposent des axes de recherche et s’approprient les retombés
économiques via des brevets ou des exclusivités de commercialisation. Nombre
de bourses d’étudiants en thèse sont co-financées par des organismes privés
qui se paient comme ça un laboratoire de recherche pour pas cher. Même le
fonctionnement de l’INRA s’apparente de plus en plus au fonctionnement d’une
entreprise privée. Les laboratoires INRA se facturent entre eux les services
qu’ils se rendent au nom de la coopération scientifique (location d’animaux
pour expériences, facturation des travaux d’analyse de données, location de
véhicule). Les CDD se multiplient pour des postes de techniciens comme de
chercheurs et sont financés le plus souvent par des contrats de recherche
extérieurs à l’INRA. Et l’INRA appelle de ses vœux la multiplication de ce
genre de pratiques. Une note de service informe qu’un chercheur du service
public peut toucher des royalties sur ses recherches lorsqu’elles ont
conduit à un dépôt de brevet. Cela s’appelle "l’intéressement individuel".
Et cette prime s’adresse à tout le personnel ... sauf les adjoints
techniques et les administratifs. Histoire sûrement de développer la culture
d’entreprise. Un chercheur de l’INRA peut même créer sa propre Start-up à
partir des découvertes qu’il a réalisées à l’INRA avec des fonds prêtés par
le ministère de la Recherche !

Ces quelques exemples ne sont pas spécifiques à l’INRA. Des compagnons
cénétistes travaillant à l’INSERM et au CNRS vivent le même type de
situation. Chez les uns, on retrouve les lobbys pharmaceutiques et les
fondations du genre "Téléthon", et chez les autres, le CEA, l’armée comme le
privé de tout poil. Cette situation, tout chercheur un tant soit peu informé
la connaît, la vit. Le monde de la recherche a accepté dans sa grande
majorité le contrôle de la recherche publique par le pouvoir politique et
financier. Plusieurs pétitionnaires actuels ont activement participé à la
mise en place de cette privatisation de fait. Et ils l’ont fait simplement
pour accroître leurs moyens de recherche, le rayonnement de leur
laboratoire, et leur fulgurante et médiatique carrière. Et s’ils
pétitionnent aujourd’hui, ce n’est pas pour défendre le service public, mais
bien davantage leur petit domaine particulier.

# Section INRA, CNT-AIT Toulouse.

INRA : Institut National de la Recherche Agronomique. CNRS : Centre National
de la Recherche Scientifique. INSERM : Institut National de la Santé et de
la Recherche Médicale. CEA : Centre à l’Energie Atomique.