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Le militaire, accusé de divulgation de secret-défense, ne se satisfait pas d’un non-lieu

Publie le mercredi 5 septembre 2007 par Open-Publishing

Le combat pour l’honneur du colonel Méchain

de PATRICIA TOURANCHEAU

Accusé en 2000 de fuites de documents secret-défense issus de la force de l’Otan au Kosovo, le colonel de gendarmerie Jean-Michel Méchain, 54 ans, a décroché un non-lieu le 21 juin 2007 et demande sa « réhabilitation » au ministère de la Défense. Mais sa demande bloque. Brillant officier de gendarmerie certes, Méchain n’est pas du genre à plier, le doigt sur la couture du pantalon, ou à rentrer dans le rang. La Grande Muette ne s’accommode guère de cette forte tête, saint-cyrien trop volubile et cabot, trop cultivé et critique. C’est d’ailleurs ce qui lui a attiré des ennuis au Kosovo.

Prix fort. Conseiller juridique au commandement des forces de l’Otan (Kfor) à Pristina, le colonel Méchain n’avait pas hésité à moucher le général Poncet, patron du détachement français, qui voulait utiliser des méthodes expéditives et « refaire la bataille d’Alger à Mitrovica ». Lors d’une réunion dans la ville à l’automne 1999, en présence du colonel Rondot, représentant le ministre de la Défense, le colonel Méchain avait remis en place le général, plus galonné que lui, en lui rappelant l’existence d’ « un cadre juridique » qui empêche les arrestations arbitraires dans Mitrovica. Il l’a payé au prix fort.

Depuis son arrivée au Kosovo en juillet 1999, Méchain ne ménage pourtant pas sa peine. Il remplace pendant deux mois le procureur de Mitrovica, incarcère des criminels de guerre et dénonce la découverte de charniers au tribunal pénal international. Il utilise le biais du football pour constituer un réseau de renseignements sur les mafias serbes et albanaises. Il aide Bernard Kouchner, alors représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Kosovo, à élaborer le statut juridique de Mitrovica.

Le 5 janvier 2000, son supérieur direct, le général Thomann, fait un rapport dithyrambique sur cet « officier de classe exceptionnelle ayant un sens des relations humaines et qui sait susciter l’adhésion [...]. Le colonel Méchain s’est imposé d’emblée au sein des instances internationales au Kosovo par sa compétence, son entregent et sa très vive intelligence. Cultivé et incisif, il s’est vu confier des responsabilités sans cesse élargies et a été un élément fondamental de l’influence de la France au Kosovo ».

Mais cet allié de Méchain cède sa place au général Lemierre, un officier inflexible et opposé à la politique de Kouchner, qu’il juge antiserbe et pro-albanais. Pas de chance, c’est l’époque où celui-ci demande le détachement du colonel Méchain à ses côtés, comme conseiller spécial antimafia. Des notes au vitriol sur l’atypique Méchain parviennent au cabinet d’Alain Richard, ministre de la Défense, traitant le gendarme de « fêtard », d’ « exalté », et de « libertin ». Le colonel décèle dans ces « calomnies » la résurgence d’un vieux conflit avec l’armée de terre qui remonte au putsch d’Alger, quand « les gendarmes ont été appelés pour casser l’OAS ». Il sait qu’il paie également son opposition insolente aux arrestations arbitraires du général Poncet et sa popularité auprès de Kouchner. En tout cas, le ministère de la Défense refuse de le laisser à Kouchner et le rappelle d’office le 14 février 2000. Méchain revient à Paris, fou de rage.

Pugilat. Deux articles sur l’état d’exaspération et de défiance des militaires français au Kosovo à l’égard de Bernard Kouchner paraissent, dans le Point du 25 février et le Canard enchaîné du 1er mars. Fliqué, et même filé dans les rues de Paris, comme un vulgaire espion, Méchain explose. Le 20 mars, le voilà qui piège ses suiveurs de la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la Défense), la police interne des militaires. Il repère huit « Pieds Nickelés de la DPSD » à ses basques et exhibe sa carte tricolore : « Vous cherchez quelqu’un ? Je suis officier de gendarmerie. » Deux « filocheurs » lui tombent dessus et lui lancent : « T’as pété les plombs, ta carrière est finie, t’es plus rien. » Méchain les démasquent, « vous êtes de la DPSD », prend un coup de genou dans les testicules. Des policiers de la brigade anticriminalité déboulent dans ce pugilat et attrapent deux fauteurs de troubles de la DPSD. La police se débarrasse dès le lendemain de ce « dossier chaud de bagarre entre chaussettes à clous ». La DST, service de contre-espionnage, qui enquête sur les fuites de notes secret-défense, prend le relais.

Méchain se retrouve en garde à vue tout un weed-end à la DST, accusé d’avoir divulgué aux journaux deux notes du général Lemierre de la Kfor à Pristina. Sans preuves ni aveux, les juges antiterroristes Bruguière et Ricard expédient le colonel en prison, contre l’avis du procureur. Le haut gradé se sent alors « victime d’une lettre de cachet à la Louis XIV ». Son avocat William Bourdon peste contre cette « décision inique » et obtient de la cour d’appel, après deux jours passés à la Santé, sa remise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire.

Mais le mal est fait.

Cassé et humilié, le brillant officier qui fut enfant de troupe à 17 ans, chef de poste à Beyrouth-Ouest en 1981, décoré d’une « citation au feu » après l’attaque aux obus de sa caserne, se retrouve lâché par ses pairs, « trahi » et « déshonoré ». Affecté à la garde républicaine, puis dans des placards à la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), Méchain a tout perdu dans son divorce provoqué par l’affaire, et enchaîne sur une dépression qui a duré cinq ans.

Ses sept ans de galère viennent de se solder par un non-lieu pour « prescription de l’action publique » par « absence d’acte d’instruction » depuis 2002. Du coup, le colonel Méchain relève la tête, prêt à se battre pour obtenir sa « réhabilitation », à savoir un grade de général et une publicité sur son non-lieu. Ou bien une « réparation » financière. Le ministère de la Défense ne compte pas « promouvoir ou rembourser » Méchain, car « une indemnisation implique une faute au départ de l’administration. Or, son non-lieu ne tranche rien sur sa culpabilité », analyse la directrice des affaires juridiques.

Extinction. A l’inverse, Me Bourdon souligne « la contradiction absolue à avoir instruit de façon aussi pugnace au départ et le désintérêt manifesté par la suite par les juges » qui ont laissé pourrir le dossier jusqu’à son extinction, plutôt que de blanchir Méchain pour « absence de charges » et lui permettre d’obtenir des indemnités de l’Etat. A défaut, le colonel Méchain envisage de monter un syndicat dans l’armée.

http://www.liberation.fr/actualite/societe/276322.FR.php