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Trois associations portent plainte contre des dirigeants africains

Publie le lundi 1er octobre 2007 par Open-Publishing

Trois associations portent plainte contre des dirigeants africains (Bongo et Nguesso) : interview de William Bourdon, président de l’association Sherpa

Propos recueillis par J. Terray et M. Savy

Interview de William Bourdon, avocat et président de Sherpa par La Lettre de Transparence : « Il faut mettre fin à l’impunité des dirigeants »

Le 27 mars dernier, trois associations, Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD) ont déposé une plainte auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris pour « recel de détournement de biens publics et complicité » à l’encontre de dirigeants africains. Le 18 juin, le Parquet de Paris annonçait l’ouverture d’une enquête préliminaire concernant les biens détenus par le Président gabonais Omar Bongo et le Président congolais Denis Sassou Nguesso. Retour sur cette initiative sans précédent avec les explications de William Bourdon, président de Sherpa.

La Lettre de Transparence : Sherpa, Survie et FCD ont déposé en mars dernier une plainte pour « recel de détournement de biens publics et complicité » contre des chefs d’États africains, une initiative saluée par TI (France). M. Bourdon, pouvez-vous tout d’abord nous expliquer sur quelle logique judiciaire repose votre démarche ?

La plainte que nous avons déposée repose uniquement sur le droit pénal français avec les articles du code pénal 432-15 et 321-1 sur le recel de détournement de biens publics et l’article 121-6 et 121-7 pour le chef de complicité.

Pleinement conscients que les détournements ont été effectués, tout ou en partie, à l’étranger, nous faisons porter la plainte sur le délit de recel, infraction commise en France. Le détournement de fonds publics pourrait également être envisagé.

LLT : Le rapport du CCFD sur les biens mal acquis dresse un panorama des biens illicites que détiendraient Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso. Est-ce sur ces informations que vous basez vos présomptions ?

Sur cette étude, mais pas seulement. Notre approche est empreinte d’un grand professionnalisme. C’est une nécessité dans ce dossier extrêmement sensible. Notre plainte s’appuie sur des présomptions issues de rapports d’institutions financières et d’investigations menées par des associations.

Nous ne sommes pas les premiers à nous intéresser aux cas de Denis Sassou Nguesso et de Omar Bongo. Déjà en 1998, une tentative de blocage des comptes suisses de ce dernier fut intentée, avant d’être bloquée pour cause d’immunité présidentielle. En 1999, c’est au tour des États-Unis de s’intéresser aux activités du président gabonais. Un rapport d’enquête du Sénat américain fait état de comptes secrets à la City Bank. Les soupçons portent sur 130 millions de dollars détournés entre 1985 et 1997.

Du coté de Sassou Nguesso, l’origine principale des fonds proviendrait du détournement de la rente pétrolière. Selon le FMI, 248 millions de dollars issus du pétrole n’ont pas laissé de traces dans la comptabilité nationale entre 1999 et 2002. Un rapport du FMI en 2001 dénonçait également l’affectation de fonds publics sur des comptes privés, autres que ceux du trésor public.

LLT : Quelle est l’étendue des biens incriminés ?

Là encore, nous disposons de très sérieuses présomptions. Les actifs immobiliers ou fonciers ont été achetés dans la plus grande opacité. Aujourd’hui, les propriétaires apparents ne sont pas les véritables propriétaires. Par ailleurs, la plupart des biens ont été achetés avant la mise en place de la législation TRACFIN. Mais il sera possible de déterminer avec précision qui a effectué les paiements.

On peut d’ores et déjà établir une liste plus ou moins exhaustive des biens détenus en France par les présidents gabonais et congolais. Omar Bongo détiendrait un hôtel particulier, plusieurs appartements a Paris et une propriété a Nice. Concernant Denis Sassou Nguesso, ses biens se composent d’un hôtel particulier dans les Yvelines et d’un appartement a Paris. De nombreux biens immobiliers appartiennent à ses proches.*

Il s’agit également de démontrer que le patrimoine immobilier français n’est pas un cas isolé. Le fait que ces dirigeants détiennent des biens de valeurs similaires dans plusieurs autres pays du globe montre bien que leurs revenus déclarés n’ont pas pu tout financer.

LLT : Une enquête préliminaire a été ordonnée le 18 juin 2007. Qu’attendez-vous de cette procédure ?

Cette annonce est une première étape pour nous. Cela signifie que notre plainte a été jugée recevable et fondée juridiquement. Ce que nous voulons maintenant c’est l’ouverture d’une instruction afin d’approfondir ce dossier et tirer toutes les conséquences qui s’imposent. Des relevés cadastraux et l’analyse des actes notariés doivent permettre de déterminer l’identité des veritables propriétaires des biens. La plainte étant déposée pour recel, il s’agit de déterminer les personnes qui jouissent également des biens tout en ayant nécessairement connaissance de leur origine frauduleuse. L’enquête pourrait mettre a jour les détournements eux-mêmes, si tant est qu’il n’y ait pas prescription. Tout dépendra de l’interprétation de la législation. Le manque de traçabilité pourrait être invoqué pour étendre le délai de prescription. Une fois les indices de participation au recel mis à jour, les personnes mises en cause seront auditionnées.

LLT : On est donc en bonne voie ?

Dans un dossier sensible comme celui-ci, des obstacles apparaissent à chaque étape. Le principe d’immunité suscite certaines interrogations. Les proches des chefs d’États bénéficient de passeports diplomatiques lorsqu’ils se rendent à l’étranger. Ces documents sont d’ailleurs distribués comme des petits pains. Il n’est cependant pas pensable que la plainte soit classée sans suite pour cause d’immunité. Selon nous, et le droit est de notre coté, le passeport diplomatique ne peut pas être une cause d’immunité en la matière. Par ailleurs, un mouvement du droit international se dessine aujourd’hui qui remet en cause ce principe. Les juridictions internationales, et dans certains cas nationales, n’acceptent plus le principe d’immunité. Cette même logique doit prévaloir concernant la criminalité financière. L’immunité diplomatique ne doit plus pouvoir être invoquée dans le cadre de participation à des délits financiers.

LLT : Où en est-on aujourd’hui ?

Nous travaillons actuellement à l’extension de la plainte à de nouveaux cas concernant d’autres personnes et d’autres pays. La encore, une approche professionnelle prévaut. Cela ne concernera qu’un nombre limité de cas et pour lesquels des éléments tangibles existent. Nous essayons par ailleurs de lancer une dynamique européenne. Il faudrait que d’autres pays européens reprennent la plainte pour les délits commis sur leur territoire.

LLT : L’initiative que vous avez lancée est complètement inédite. Qu’est-ce qui, selon vous, constitue l’intérêt principal de cette procédure ?

Notre initiative offre l’occasion à la France de traduire dans les faits ses engagements en faveur de la lutte contre la corruption et pour le rapatriement des biens détournés. Elle s’est clairement exprimée dans ce sens lors du sommet du G8 a Évian en 2003 et elle est le premier pays à avoir ratifié la convention des Nations unies contre la corruption.

Quel que soit le résultat de la procédure, le dépôt de cette plainte et l’ouverture d’une enquête préliminaire a le mérite de rappeler à quel point l’appauvrissement de l’Afrique et des Africains est aussi intimement lié à l’ampleur des détournements d’argent public. Un autre objectif est de mettre en lumière le rôle néfaste des circuits financiers et l’importance des flux dans les actes de détournements de fonds.

LLT : Pour conclure, pouvez-vous nous dire comment les populations des pays mis en cause perçoivent votre initiative ?

Cette initiative est celle que beaucoup attendaient. La plainte a déclenché un afflux massif de messages de félicitations provenant d’Afrique, notamment de magistrats africains. Nous avons reçu de nombreux messages nous promettant de nous dévoiler, bien sur anonymement, des informations complémentaires sur les délits incriminés.

Cet engouement est la marque de l’espoir suscité par cette démarche alors que, selon les textes conventionnels en vigueur aujourd’hui, les demandes d’entraide judiciaire ne peuvent provenir que des autorités des États spoliés et non de la société civile. Résultat, lorsque les dirigeants s’accrochent au pouvoir, ils sont intouchables. C’est sur cette défaillance du droit international que nous avons voulu réagir.

La Lettre de Transparence N° 34 du mois d’octobre 2007

http://www.bdpgabon.org/content/view/5190/45/