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Allons-y avec la paix...

Publie le samedi 27 mars 2004 par Open-Publishing

de Sabina Magnani

20 mars 2004, 13 heures : de Saint Pierre in Vinculis je vois défiler la tête
du cortège, un grand drapeau de la paix, tenu par des centaines de mains, annonce déjà ce que sera cette manifestation, qui dès la première perception me confirme que si nous ne serons pas trois millions, comme le 15 février de l’année dernière, nous serons sûrement très, très nombreux, et j’avance un chiffre autour des deux millions. Et il en a été ainsi, en dépit des directs TV, des journaux télévisés et des titres du lendemain qui montreront encore une fois une grande incapacité à saisir la réalité et le caractère extraordinaire de cet évènement. Parce que ce premier drapeau, qui ouvre le cortège, grand, ample et coloré comme le sera tout le reste de la manifestation, est le signe de la joie de crier que la guerre n’a jamais rien résolu et ne résoudra jamais rien et que désormais tout cela n’est plus seulement l’utopie de quelques belles âmes, qui ne sont pas prêtes à affronter la "dure réalité de la vie" et, encore moins, les exigences de la realpolitik, mais de personnes bien conscientes de ce que veut dire aujourd’hui une guerre et de comment agir pour que la paix prime sur tout.

Une prise de conscience qui est une révolution, de celles qui sont destinées à marquer une époque, un tabou atavique qui, comme l’a écrit le père Alex Zanotelli, ne peut plus être gardé par une humanité qui s’aime vraiment et qui veut préserver ses ressources, naturelles, culturelles, anthropologiques pour ses enfants, comme quand, dans l’antiquité, un monde entier, celui de la romanité devenue force impériale, comprit que l’esclavage allait à l’encontre de toute sorte de rationalité, politique, sociale, culturelle et s’employa à l’abolir.

Ce drapeau et tant d’autres qui suivront et que je vois défiler sans interruption devant moi pendant plus de cinq heures, tenus par autant de bras tendus avec fermeté, démasque aussi les mensonges d’une information qui s’est pliée à la volonté du plus fort et qui pendant des années a voulu faire croire que la définition de "humanitaire" pouvait faire bon ménage avec le substantif "guerre", que l’adjectif "intelligent" pouvait se référer à une "bombe" et démystifient tous ceux qui, pendant des mois et des mois, ont dit au monde entier que le danger pour toute l’humanité étaient les armes de destruction de masse dans les mains de Saddam Hussein et pas, au contraire, les arsenaux pleins d’armes nucléaires en possession du gouvernement états-unien ou les milliers d’armes légères fabriquées et vendues chaque jour par les producteurs
du nord du monde à un sud où ce sont les enfants qui les manient, privant d’enfance, quand on ne les prive pas de la vie, des générations que personne, parmi les puissants, n’assume pour le moment la responsabilité de dédommager.

Derrière ce drapeau suivent des dizaines et des dizaines de sigles, d’associations,
de groupes, de mouvements. Mais ce qui me frappe est le niveau de conscience
qu’on en reçoit, pas tellement des slogans les plus perspicaces ("Le peuple espagnol
n’a plus voulu être idiot, quand commencerons-nous ?". L’abstention n’est pas
opposition" ) mais plutôt des affirmations des individus, qui se laissent aller
si seulement ils trouvent quelqu’un qui, comme la soussignée, poussée par une
curiosité humaine avant que journalistique, demande ce qu’ils pensent et pourquoi
ils sont venus à manifester. Pétrole - guerre -armes - terrorisme - information
manipulée -violation du droit - occupation illégale, ce sont des concepts que
chacun d’eux est capable de connecter l’un à l’autre, tel un puzzle dont, à force
de le faire et de le refaire, tu sais déjà où placer les morceaux. Et face à eux,
justice - développement pour tout le monde - environnement - paix - autodétermination
des peuples, est la chaîne de termes qui s’y opposent comme unique formule réellement
alternative.

Pour moi, profondément chrétienne, outre que communiste, découvrir que le lien
paix et développement humain est désormais conscience commune d’au moins deux
millions d’Italiens à 40 ans de distance de cette encyclique, Pacem in terris,
où pour la première fois un pape le mit tellement en évidence, est source d’une
grande joie et d’espoir. Et tandis que j’y pense, je bute presque contre un monsieur, âgé,
les cheveux blancs et le drapeau rouge avec son marteau et sa faucille sur la
hampe liée avec celui arc-en-ciel de la paix, qui me dit : "Mademoiselle, allons-y
avec la paix". "Vous avez raison, allons-y", je lui réponds tandis qu’il s’éloigne
en souriant... Elle est si péremptoire, cette invitation, qu’elle me distrait
des nouvelles qui arrivent de l’Ansa (Agence nationale presse associée : ndt)
et qui parlent de sifflements et de contestations à Fassino.

Cher Piero (prénom de Fassino, secrétaire des Ds : ndt), même en désapprouvant
les méthodes avec lesquelles tu as été contesté, tu ne peux pas penser qu’un
peuple si conscient croie encore à des alchimies politiques imaginées pour ne
pas trop déranger qui n’a pas encore fait de la paix une valeur à préserver et à nourrir
prioritairement. Ces deux millions - qui pourraient déjà être le nombre d’électeurs
d’un parti - pensent et veulent bien autre chose de la Gauche : qu’elle fasse
enfin de ce lien terminologique alternatif son programme. Et ce n’est pas un
hasard s’ils sont nombreux ceux qui, au contraire, ont applaudi qui, dans les
différents partis, a sérieusement essayé de repartir de l’opposition à la guerre
en Irak, maintenue avec cohérence à chaque passage parlementaire.

Allons-y donc avec la paix, tous, vieux et nouveaux partisans, sérieusement disposés à donner
des réponses concrètes, jour par jour, avec ceux qui ont si consciemment manifesté.

traduit de l’italien par karl et rosa

27.03.2004
Collectif Bellaciao