Accueil > L’Italie critique le soutien dont bénéficie, en France, Cesare Battisti

L’Italie critique le soutien dont bénéficie, en France, Cesare Battisti

Publie le lundi 29 mars 2004 par Open-Publishing

La justice française se prononcera, le 7 avril, sur la demande d’extradition vers l’Italie de Cesare Battisti, ancien terroriste du groupe Prolétaires armés pour le communisme (PAC). Devenu écrivain, M. Battisti a reçu le soutien de nombreux intellectuels français et dirigeants socialistes, dont François Hollande. En Italie, cette mobilisation est très vivement critiquée, en particulier par la gauche. Plus généralement, les intellectuels italiens estiment qu’une partie de la gauche française fait une lecture "à contresens" des "années de plomb". Cesare Battisti, au terme d’un long parcours judiciaire, a été condamné en appel à la réclusion à perpétuité pour quatre "homicides aggravés".

Dans l’attente de la décision de la justice française sur l’extradition de Cesare Battisti, qui doit être connue le 7 avril, le gouvernement italien joue la discrétion. Interrogé sur le malentendu franco-italien causé par l’affaire, Paolo Bonaiuti, porte-parole de Silvio Berlusconi, renvoie aux déclarations des responsables de la gauche italienne. "La mobilisation de la gauche française en faveur de Battisti est une erreur grave", a notamment lancé Massimo D’Alema, président des Démocrates de gauche (DS), au lendemain de la remise en liberté de l’ex-terroriste du groupe Prolétaires armés pour le communisme (PAC), le 3 mars.

D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, le consensus est quasi total pour approuver la demande d’extradition et s’étonner du soutien d’intellectuels et de socialistes français. "Quelqu’un qui a été reconnu coupable de crimes doit effectuer sa peine : c’est l’un des fondements de l’Etat de droit", lit-on dans les éditoriaux, peu enclins à accepter "une rédemption par l’écriture" de M. Battisti, devenu auteur à succès.

Seul le quotidien de gauche Il Manifesto fait chorus à la position des exilés italiens de Paris en ouvrant ses colonnes à des partisans de M. Battisti. Mais la tonalité générale, y compris dans L’Unita, qui adopte une position circonspecte, est critique vis-à-vis de la "lecture erronée" faite par les Français sur le cas Battisti en particulier et sur les "années de plomb" en général. Concernant la "doctrine Mitterrand", sur laquelle se fonde - en partie - la défense de Cesare Battisti pour refuser l’extradition, Luciano Violante, chef du groupe DS à la Chambre des députés, estime qu’il s’agit d’une question franco-française : "Je comprends que François Hollande conteste à un gouvernement de droite le fait de revenir sur la parole donnée, mais, bien qu’étant opposé au gouvernement Berlusconi, je l’approuve d’avoir demandé l’extradition."

"COMPLEXE DE SUPÉRIORITÉ"

Selon lui, l’une des raisons du malentendu est l’ignorance de ce qu’a fait réellement Cesare Battisti - condamné pour quatre homicides -, mais aussi des circonstances politiques de l’époque. "Les "années de plomb", nous les avons vécues, pas eux", rappelle l’universitaire Alberto Asor Rosa, l’une des figures de la gauche italienne, en fustigeant "le complexe de supériorité des intellectuels français par rapport à un pays qu’ils considèrent comme sous-développé, en particulier dans le domaine des libertés". L’universitaire se souvient de ses discussions avec son ami Toni Negri, dans les années 1970. "Existait-il une "situation prérévolutionnaire" ou au contraire une "situation prétotalitaire" pour justifier le recours aux armes ? En fait, il n’y avait ni l’une ni l’autre ; les deux lectures étaient fausses, dit-il. Mais les Français ont conservé une vision idéologique de ces événements, dont la manifestation ultime apparaît dans la défense de Battisti." Il ajoute : "Ce qui me frappe le plus, c’est le manque de sensibilité dans la compréhension du mal que le terrorisme a fait à l’Italie."

Pour Mario Pirani, éditorialiste de La Repubblica, dont les commentaires sur le soutien à Battisti ont été parmi les plus sévères, "il y a chez les intellectuels français quelque chose qui pousse à une vision romanesque de l’Italie ; ils nous demandent d’être plus à gauche et plus révolutionnaires qu’ils ne le sont eux-mêmes". Comme la plupart des Italiens, il refuse de considérer les assassinats de deux commerçants comme des actes d’une justice prolétarienne. "A ce compte-là, on peut aussi défendre la bande à Bonnot", dit-il, considérant la comparaison avec la Commune et l’exil de Victor Hugo comme "une stupidité".

RÉDUCTIONS DE PEINES

L’idée que l’Italie de ces années-là était plongée dans "une guerre civile latente", selon l’expression de l’écrivain Erri De Luca, trouve peu d’échos. "Il n’y avait pas deux camps opposés, mais des groupuscules isolés que la démocratie italienne a combattus en respectant sa Constitution, en résistant à la droite qui réclamait précisément des juridictions d’exception", estime Mario Pirani. La loi Reale de 1975 a considérablement renforcé les pouvoirs de la police. Alberto Asor Rosa reconnaît que, "dans le processus de lutte contre le terrorisme, il y a eu des erreurs et des injustices, mais la magistrature n’a jamais été l’instrument aveugle de la répression".

Ancien magistrat, Luciano Violante est formel. "C’était une justice dure. N’oubliez pas que nous avions un mort ou un blessé par jour à cette époque, rappelle-t-il. Mais les activistes comme Cesare Battisti ont eu plus de garanties dans leurs procès que n’en ont eu ceux d’Action directe en France." Depuis, la plupart des terroristes ont bénéficié d’aménagements et de réductions de leurs peines, soit au titre de la loi sur les repentis, soit avec celle sur la dissociation en 1987. Selon les statistiques de l’administration pénitentiaire, il ne resterait qu’une trentaine de prisonniers de cette époque-là ne bénéficiant d’aucune mesure d’allégement.

"Est-il nécessaire d’invoquer une amnistie pour si peu de monde ?", se demande-t-on. Un traitement au cas par cas suffira, aux yeux de M. Violante, plutôt réticent à utiliser cet instrument politique pour clore le chapitre des "années de plomb". "On risque de nous la demander aussi pour les délits de corruption de l’enquête "Mains propres"", objecte-t-il. Et comment tourner la page du terrorisme alors que les Brigades rouges ont encore perpétré deux assassinats politiques, en 1999 et en 2001, contre des conseillers du gouvernement ?

La gauche italienne n’ignore pas la part de calcul dans la démarche du gouvernement Berlusconi. Mais la résurgence d’un terrorisme national et le climat créé par la menace islamiste n’incitent pas les Italiens à la clémence. "Il est négatif de donner en ce moment un signe de faiblesse face à ceux qui ont commis des actes terroristes", a par exemple déclaré l’ancien procureur de la République de Milan, Gerardo D’Ambrosio, après la remise en liberté de Cesare Battisti.

Jean-Jacques Bozonnet

LE MONDE