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Chavez, le référendum et l’intelligence des ânes

Publie le dimanche 25 novembre 2007 par Open-Publishing

Pour la quatrième fois, Bush va essayer de renverser Chavez.
Sur France 3, je participerai au débat "Faut-il brûler Chavez ?"
Mercredi 28 novembre à Ce soir ou jamais, 22h55
Michel Collon


Chavez, le référendum et l’intelligence des ânes

de Thierry Deronne

Au Venezuela, le 2 décembre 2007, un référendum populaire permettra á 16 millions d’électeurs de rejeter ou d’approuver la réforme de 69 articles constitutionnels. 30 sont proposés par le président Chavez, dans la foulée du programme qui lui a valu d’être réélu á 63 % en décembre 2006. 39 autres ont été ajoutés par l’assemblée nationale au terme de discussions avec des collectifs citoyens issus de la majorité comme de l’opposition. La réforme porte essentiellement sur la généralisation de la démocratie participative, devenant le pilier de l’État, et la protection sociale pour tous les travailleurs. Après huit ans de révolution, il s’agit d’adapter les institutions politiques aux besoins sociaux.

De l’intelligence des ânes

Des confluents humains déboulent de villages proches. D’autres ont voyagé des heures en bus, du fin fond des campagnes. Des zones populaires de Barquisimeto aux rues mouillées de Monagas, des multitudes invisibles dans les médias occidentaux font campagne pour le “oui”. La première assemblée constituante, en 1999, n’avait pas bénéficié d’une telle mobilisation. On critiqua les députés qui préféraient discuter á huis-clos plutôt que sur la place publique. Huit ans plus tard, le ressort de la participation populaire ne fait que bondir. Des millions de copies de la réforme circulent de main en main. Ici, un joueur de saxophone ponctue la lecture publique des articles, là un cercueil enterre la vieille constitution pendant que des femmes indigènes appellent á voter “oui” en wayuu ou en warao. L’article 100 rétablit le rôle central des communautés indigènes et afro-américaines dans la culture nationale. Sur les kiosques á journaux ou sur les vitres des autobus, les manifestants peignent le numéro des articles les plus importants et le visage de Simón Bolívar. “Nous devons chercher notre constitution et nos lois non pas á Washington mais dans notre réalité” disait en 1819 le libérateur de l’Amérique Latine, créateur historique du concept de “sécurité sociale”.

Fiché dans un caddy rempli de pommes de terres, un drapeau rouge salue une marche en faveur de la réforme á Caracas. “Nous ne sommes pas des pierres qui vivons de rien !” explique Margarita Garcia, qui pousse l’étal roulant. La réforme, pour elle, c’est d’abord l’article 87 qui donne á 4,9 millions de travailleurs “informels” les mêmes droits qu’á tous les autres. Sa mère qui vend des empanadas cent mètres plus loin aura droit á une retraite. L’État étend l’ensemble de la protection sociale - pensions, soins, allocations, vacances - aux domestiques, chauffeurs de taxi, artistes, coiffeurs, pêcheurs, artisans, prostituées, chauffeurs de bus, femmes au foyer.

Ces femmes qui toute leur vie lavent et repassent le linge de la classe moyenne et font briller les lavabos du patron, ont réélu Chavez en décembre 2006 sur la base d’un programme clair : accélérer le socialisme. “Tous les articles sont en faveur du peuple, c’est la preuve que ce gouvernement dépend de nous” explique la vendeuse de légumes. Alors qu’ailleurs la gauche renonce á arracher le temps humain au temps du travail, la révolution bolivarienne libère du temps pour vivre. L’article 90 réduit la journée de travail á 6 heures. Du temps pour se retrouver en famille, avec les amis, pour se former, pour accéder á l’offre culturelle croissante. En 2007, la moitié de la population étudie. 35 millions de livres sortent de la nouvelle imprimerie du Ministère de la Culture. “Donne des années a ma maman” dit Yermilin la fillette á qui manque une dent et qui se tord les bras, “je veux partir en vacances des années”. Des dizaines de milliers d’emplois nouveaux seront créés, s’ajoutant á la baisse de 10,1 % du chômage grâce a quatorze mois successifs de forte croissance. (1)

“Sans donner le pouvoir aux pauvres, comment résoudre la pauvreté ?” a répété le président Hugo Chavez. Le territoire de la république, formée aux trois quarts de secteurs populaires, est refondu en fonction des intérêts sociaux. Autour d’une figure-clef : la commune (art. 184). Les articles 70 et 136 font du pouvoir populaire le pilier du nouvel État. Sont validés comme mécanismes de participation et de décision les conseils de travailleurs, d’étudiants, de paysans, d’artisans, de pêcheurs, de femmes, etc.. Leurs décisions auront un “caracter vinculante” - force de loi.

L’opposition proteste : “Le peuple n’est pas suffisamment instruit, n’est pas prêt, il n’est pas capable d’exercer le pouvoir”. “C’est le peuple qui connait les déficiences de chaque communauté et avec ce pouvoir supplémentaire, nous les pauvres nous pourrons résoudre directement nos problèmes” répond Arsenio, chauffeur de taxi de l’État de Trujillo. “Avant la femme restait a la maison avec les enfants, aujourd’hui elle peut aussi représenter le conseil communal, être ministre, gouverneur, maire, nous en avons la capacité ! Le principal c’est de continuer a nous former politiquement, socialement” se réjouit Florencia Pacheco, de l’État d’Aragua.

Lucides, les partisans du “oui” dénoncent les obstacles posés par les maires ou les gouverneurs “chavistes d’occasion” á cette démocratie participative qui menace leurs intérêts. Ces opportunistes freinent l’information sur ces nouveaux pouvoirs et voudraient limiter les conseils communaux au rôle de l’Asociación de Vecinos, courroie de transmission sur laquelle s’était édifié le clientélisme des gouvernements antérieurs. Pour éviter l’enlisement, le président Chavez annonce qu’en cas d’approbation de la réforme il accélérera le transfert des ressources aux communautés organisées. En 2008 9 milliards de bolivars iront directement au 80.000 conseils communaux, qui atteignent déjà le nombre de 35000 en 2007. Le budget participatif de Porto Alegre (Brésil) fut un brouillon timide de ce qui se réalise ici á l’échelle d’un pays. Des centaines de milliers d’habitants de quartiers gèrent déjà collectivement les fonds publics, rasant eux-mêmes les bidonvilles pour y construire des logements humains, réparer les rues, installer l’éclairage public ou les égouts, construire des écoles ou des centres culturels, créer des coopératives et des activités socio-productives de toute sorte.

La réforme s’attache aussi á démocratiser la propriété privée, en étendant son accès aux secteurs populaires (art. 229, 115). Ce qui inspire á la chaîne Globovision des remakes dignes de la Guerre froide. Un fonctionnaire entre dans une boucherie, demande á voir le propriétaire. “C’est moi” dit le boucher. “Á partir d’aujourd’hui ce commerce n’est plus á vous mais au gouvernement” lui répond l’employé... La campagne indigne le président Chavez : “C’est le capitalisme qui a attaqué la propriété privée, qui l’a limitée á une élite ! Combien de paysans ont dû vendre leur terre ou se la sont fait voler ? Combien de pauvres expulsés de leurs maisons, combien de millions de sans-toit aux États-Unis, en Amérique Latine ? Combien de mères qui ne peuvent même pas s’acheter un biberon, un cahier pour leurs enfants ? Avec l’État, qui stimule la construction de bâtiments ou la production d’automobiles bon marché, nous démocratisons l’accès a la propriété privée“. Autre article appuyé par les milieux populaires, le 82. “Avant en cas de problème de paiement on pouvait vous prendre votre maison, la banque pouvait mettre la main dessus, plus maintenant. Le droit au foyer sera inviolable” explique Jair González. Pour Rowan Jimenez d’INVEPAL une usine á papier sauvée de la faillite par les travailleurs, depuis nationalisée et cogérée avec l’État, le plus important est le contrôle de la banque centrale en faveur du développement, la rupture des grands monopoles et la prohibition des latifundios (articles 318, 236, 321, 113 , 307). Les cinéastes, dont la liberté de créer était freinée par la concentration de la distribution cinématographique au service de l’industrie nord-américaine, se voient favorisés par l’article 98 qui établit les droits culturels et les droits d’auteur. “Pouvoir créer librement, c’est nous ouvrir au monde” approuve Carlos Azpúrua.

La réforme intensifie la démocratie dans de nombreux domaines. L’article 64 donne le droit de vote aux citoyen(ne)s dès 16 ans, une révolution en soi. L’article 21 rejette toute forme de discrimination ethnique, de genre, d’âge, de santé, sexuelle, sociale, politique ou religieuse. L’article 109 consacre l’autonomie de l’université et l’élection des autorités par l’ensemble de la communauté universitaire, employés, étudiants, ouvriers. “C’est la récompense de nombreuses années de luttes” pour Alejandra Torres, étudiante de l’UCV : “beaucoup d’étudiants sont morts pour cet idéal sous les gouvernements antérieurs. Avec des autorités légitimes, on aura enfin un vrai débat d’idées sur la politique universitaire”.

Le “non” á la réforme, perdant dans les sondages, est martelé par les télés privées comme Globovision, ou RCTV dont on croit encore, hors du Venezuela, qu’elle a été “fermée par Chavez” (2). Au Venezuela l’opposition possède la majorité des médias - radio, presse écrite, télévisions. La liberté d’expression est totale. La haine de classe et le racisme sont intacts à Globovision, Venevision, Televen ou RCTV et leurs filiales qui occupent 80 % du spectre radioélectrique.

Plus la démocratie s’approfondit au Venezuela, plus les transnationales médiatiques, actrices á part entière de la globalisation néo-libérale, attaquent “la dictature de Chavez”. Avec le même mépris social pour le peuple vénézuélien que pour ceux qui, en Europe, font grève contre les privatisations ou disent non aux traités néo-libéraux. Pour convaincre l’opinion mondiale que le Venezuela est au bord de l’insurrection contre un “futur Castro”, la technique consiste á cadrer serré des groupuscules d’opposition (par exemple des étudiants d’universités privées qui refusent l’intégration des secteurs populaires dans l’enseignement supérieur) lorsqu’ils provoquent les forces de l’ordre. A Paris ou á Tokyo, la télé montre la "violence" comme si elle était le fait de la population en général. Le spectateur ne verra jamais le hors-champ réel : une foule indifférente ou agacée par ces mises en scènes sur commande.

Le Monde, Libération, l’AFP, El País, France-Inter ou le Washington Post résument la réforme au “pouvoir á vie pour Chávez”. L’article 230 donne á la population le droit de réélire qui elle veut autant de fois qu’elle le voudra, un droit démocratique dont jouissent déjà les populations du Royaume-Uni, de France, d’Espagne, d’Allemagne, d’Autriche, d’Irlande, d’Italie ou du Portugal. En supposant que la population l’approuve lors du référendum de décembre, celle-ci restera libre de trancher ultérieurement entre les candidats des différents partis, comme dans n’importe quelle démocratie. Tous les scrutins organisés au Venezuela sous les mandats successifs de Hugo Chavez, une dizaine déjà, ont été jugés transparents par les observateurs internationaux, Union Européenne et Organisation des États Américains y compris.

Toute ces campagnes médiatiques n’entament pas le moral d’Héctor Láres, ouvrier du bâtiment, qui croit dans la victoire éclatante du “oui” : “Ils veulent nous faire marcher á coups de carottes mais ils oublient que l’âne est un animal extrêmement intelligent”.

Caracas, 20 novembre 2007.

(1) voir “l’économie venezuelienne sous Chávez”, Mark Weisbrodt et Luis Sandoval,
www.cepr.net
juillet 2007.

(2) RCTV continue á diffuser sa programmation habituelle et transmet aussi sur internet :
www.rctv.net

Thierry Deronne Licencié en Communications Sociales (IHECS, Bruxelles). Vice-président de la télévision publique Vive TV, Caracas
http://www.vive-fr.org/blog

 http://www.michelcollon.info/articl...