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IRAK : LE PAYS DES DEUX FLEUVES EST SANS EAU par Domenico Guglielmi

Publie le dimanche 2 décembre 2007 par Open-Publishing

Depuis l’invasion américaine, le système d’approvisionnement en eau en Irak, le pays le plus riche en eau du Moyen Orient, a été complètement dévasté. L’absence de projet de reconstruction par le gouvernement et la difficulté des organisations humanitaires à intervenir de manière efficace sont à l’origine d’une situation d’urgence hydraulique et humanitaire presque impossible à gérer. A cette situation s’ajoute les problèmes liés au risque d’une éventuelle rupture du plus grand barrage du pays.

Le barrage de Mossoul : entre risque et alarmisme infondé

Actuellement le barrage de Mossoul fournit en eau potable et d’irrigation toute la région environnante et la vallée jusqu’à Bagdad, produisant 300MW d’énergie électrique pour la région. Selon des experts américains du corps d’ingénieurs de l’armée US, le barrage pourrait être sur le point de céder, créant un désastre aux proportions gigantesques, que ce soit en terme de vies humaines (on parle de 500 000 victimes possible avec l’inondation totale de Mossoul qui compte 1,7 millions d’habitants). Ou en terme d’agriculture du pays. La pression provoquée par les eaux en amont pourrait créer en aval une vague de 20 mètres de hauteur dont l’impact toucherait Bagdad (située 400 Km au sud). Les inquiétudes se sont amplifiées depuis mai, quand, suite à une inspection par l’Inspecteur Général Spécial US pour la Reconstruction Irakienne (SIGIR), une lettre a été envoyée par l’ambassadeur américain en Irak, Ryan Crocker, et le général David Pétraeus, au président Nuri-al-Maliki. Selon des experts, les dommages seraient principalement dus à une forte érosion du sol calcaire sur lequel a été construit le barrage en 1984. Depuis le début de sa construction, les autorités irakiennes ont fait des travaux de maintenance, injectant du ciment liquide pour éliminer les infiltrations en sous sol (plus de 200 tonnes de ciment par an ont été utilisées depuis 1990).

Suite au rapport américain, il y a eu une réaction du gouvernement irakien et de l’inspecteur spécial pour la reconstruction en Irak, Stuart Bowen, ayant déclaré que le danger de rupture n’était pas imminent. Même le porte parole du ministère des ressources hydrauliques, Ali al-Dabbagh, a confirmé avec fermeté que le rapport américain était frauduleux et que les installations sont constamment contrôlées, soulignant que les problèmes principaux ont toujours existé et qu’ils étaient sous contrôle, avec une structure générale en bon état. Le ministre des ressources hydrauliques Latif Rashid a déjà déclaré qu’à partir de 2008, ils vont mener des travaux pour encastrer le tout afin d’empêcher toute possibilité d’infiltration.

L’Association des Diplômés Irakiens Musulmans (AMS) attribue la responsabilité à la fois aux américains et au gouvernement pour la mauvaise gestion du barrage, et à l’insuffisance de fonds alloués pour sa maintenance (27 millions de $). Depuis un certain temps déjà, avant la déclaration faite sur la possible catastrophe imminente, de nombreuses associations irakiennes et internationales avaient dénoncé la mauvaise gestion des travaux réalisés sur le barrage par le SIGIR américain, allant même jusqu’à soupçonner que le barrage ait été volontairement endommagé. Ces derniers mois, une information a fait surface comme quoi une société turque qui avait bénéficié d’un contrat de 640 000 $ pour la construction de blocs de ciment pour renforcer le barrage, a techniquement mal construit ceux-ci, de sorte qu’ils n’ont pu être utilisés.

Les trafics en coulisse du gouvernement et les interventions par les organisations humanitaires

La plupart de l’eau en Irak est distribuée par le biais de camions citerne qui partent le matin des réservoirs d’eau et la distribuent pendant le reste de la journée. A Fallujah par exemple, les camions citerne vont remplir les réservoirs d’eau d’Abu Ghraib et d’Al Asakhia, répondant à presque 75% des besoins de la ville. Entre août et septembre, l’UNICEF a étendu les opérations de distributions d’eau, établissant de nouveaux points d’eau surtout pour Bagdad. On estime à 38,5 millions de litres la quantité d’eau distribuée dans différents endroits de la capitale, couvrant les hôpitaux, les écoles et les centres de réfugiés, soit au total 120 000 personnes. 17 systèmes d’installation d’eau et de tout à l’égout ont été réparés par les organisations gouvernementales à Wasit, Kirkuk, Basra et Kerbala, tandis qu’à Thiqar, 30 000 personnes ont bénéficié de la réparation de 3 systèmes de tout à l’égout, toutes ces interventions nécessitant de nombreux mois avant d’être achevées, à cause de problèmes de sécurité.

Des organisations humanitaires forment actuellement de nombreux experts en ingénierie dans le domaine des infrastructures hydrauliques, et elles sont impliquées dans la réparation des centrales électriques, qui dans bien des cas permettent l’accès à l’eau potable (tel est le cas dans la zone d’Al Shua’iba dans la ville de Basra). Parmi les projets menés par l’UNICEF et l’UNOPS, il y a celui de la construction d’une centrale électrique nécessaire pour le fonctionnement des systèmes de purification d’eau à Sharq Dijala, qui fournirait en eau potable les 2,7 millions d’habitants de la partie ouest de Bagdad.

On prévoit un investissement de 5,6 millions de $ mais les financements sont rares. La même UNICEF a été incapable de répondre à la demande du gouvernement pour l’approvisionnement en produits chimiques nécessaires au traitement de l’eau, toujours à cause du manque de financement. L’Organisation Humanitaire Polonaise (PHO) a lancé un projet pour aider à améliorer la qualité de l’eau dans la région de Babele. Les installations pour la purification de l’eau sont les seules sources d’approvisionnement en eau potable de la ville. En 2006, 7 purificateurs ont été réparés et en juillet 2007, grâce au financement du ministère des affaires étrangères polonais, le PHO a commencé la construction de systèmes de purification qui produiront 50 M3 d’eau potable. Le projet prévoit la construction d’un réseau de tuyauterie d’eau qui transportera l’eau potable aux familles du village de Saied Esmail dans la région d’Ablu Garak.

D’un côté les organisations humanitaires sont très actives, de l’autre le manque d’intervention par les autorités gouvernementales à l’intérieur du territoire est évident. Tout dépend des projets sporadiques menés par des organisations humanitaires, qui, entre le manque de financement, l’absence de sécurité dans les zones d’intervention et l’immensité de la crise, ne réussissent pas à faire face efficacement aux problèmes. La réalité c’est que, malgré les assurances du ministère des ressources hydrauliques, le système d’approvisionnement en eau du pays est loin d’avoir été rétabli. Les canaux, barrages, stations d’épuration et de désalinisation, les stations de pompage et les installations pour le traitement des eaux usées sont presque complètement inutilisables.

L’eau, entre le pétrole et le gaz

La reconstruction du système d’approvisionnement en eau en Irak dépend de choix géopolitiques des Etats-Unis et de leurs alliés, avant tout concernant la partie nord de l’Irak (provinces de Ninive et Dahuk) une zone d’où le gaz et le pétrole devraient couler en direction de la Turquie et de l’Europe, avec comme but l’émancipation de la dépendance des hydrocarbures vis-à-vis de la Russie. Ce projet devrait mener à long terme à la substitution des hydrocarbures irakiens à ceux russes. Cette stratégie est définie par de nombreux analystes comme « la balkanisation de l’Irak », mettant en place le partage des ressources du nord entre les grandes multinationales occidentales.

Dans ce but, les autorités de la région autonome kurde continuent de signer de nouveaux contrats pour l’exploitation du gaz et du pétrole avec d’autres pays. Les 7 derniers contrats concernent les zones d’Akre-Bijil et Shaikan près du barrage de Mossoul (dont ces mêmes autorités ont la maintenance). D’autres (environ 24) concernent la province de Dahuk sans que soient spécifiées les localités (cela pourrait inclure des zones éventuellement inondées par la vague en amont et en aval du lac artificiel). Eventuellement, si le barrage cédait, cela forcerait presque 1 million de personnes à partir de ces territoires (actuellement mis de côté pour l’exploitation agricole) créant une grande vague de réfugiés en direction de la Syrie.

Une fois que l’Irak aura perdu ses ressources en eau provenant du barrage, la Turquie aura le contrôle total de la fourniture en eau de l’Irak par le biais de la construction d’un nouveau barrage de 1,7 milliards de $ sur le Tigre, là où la rivière coule en direction de l’Irak (le vieux projet « Ilisu » financé par la Société Générale SA, des sociétés de crédit allemande, suisse et autrichienne, qui une fois terminé produira 3800 Gigawatts d’électricité par heure, c’est-à-dire 2,4 % de la production actuelle de la Turquie). De cette façon l’Irak perdrait une grande partie de son approvisionnement en eau potable et on assisterait à l’assèchement définitif des terres marécageuses de Shatt el Arab. Les résultats seront l’éventuelle disparition de toutes les formes d’agriculture : au nord à cause de l’inondation du barrage, et dans le sud à cause de l’assèchement des marécages. Tout ceci malgré la convention de l’ONU de 1997 portant sur « la juste distribution de l’eau des rivières exploitables ». Cependant, malgré cela, en mars 2007, l’Irak la Syrie et la Turquie ont signé un protocole d’accord concernant la gestion commune des eaux du Tigre et de l’Euphrate.

Le comportement des autorités américaines ces derniers mois semble confirmer leur stratégie mondiale. Les US ont investi seulement 2,1 milliards de dollars dans la reconstruction du système d’approvisionnement en eau (à la fois pour l’eau potable et le traitement des eaux usées) pour répondre aux besoins évalués à 14 milliards de dollars. Selon des sources irakiennes, 530 millions de $ auraient été dépensés pour les infrastructures d’approvisionnement. Ils ont également proposé comme solution la construction d’un barrage à Badush, qui ne serait cependant pas suffisant pour fonctionner en remplacement en cas de rupture du barrage de Mossoul et sa construction coûterait 300 millions de $, et le gouvernement irakien ne veut pas entreprendre celle-ci. Ceci sans considérer le fait que pour éviter que le barrage soit construit sur un terrain inapproprié, comme c’est le cas pour le barrage de Mossoul, des inspections géologiques nécessitant plusieurs années seraient nécessaires.

Conclusion

Au-delà d’interventions sporadiques, la reconstruction du système d’approvisionnement en eau de l’Irak est lièe de près à des stratégies géopolitiques des grandes puissances présentes dans la région. La gestion des travaux concernant le barrage à Mossoul, dans une zone instable du Moyen Orient, représentera un appât important pour les futurs atouts de la région. Ce qui semble évident, c’est que l’Irak est dévastée, appauvrie non seulement en ressources énergétiques mais aussi en ressources en eau. C’est la bataille pour le contrôle de l’eau qui garantira le statut de puissance au Moyen Orient, et comme Israël contrôle l’eau destinée à l’Autorité Palestinienne et la Jordanie, la Turquie pourrait contrôler l’eau destinée à la Syrie et à l’Irak.

Domenico Guglielmi 30/11/07 Source :
http://www.equilibri.net/indices
Traduit de l’italien vers l’anglais par Megan Ball pour
http://www.uruknet.info/?p=38774

 uk.equilibri.net/article/8350/Iraq_...

Traduction en français Mireille Delamarre pour
www.planetenonviolence.org

http://internationalnews.over-blog.com/article-14312540.html