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europe : un seul mot peut tout faire déraper (le temps quotidien suisse)

Publie le vendredi 14 décembre 2007 par Open-Publishing

Les Vingt-Sept signent leur nouveau traité

Les chefs d´Etats des pays de membres ont signé le nouveau traité européen. Aux parlementaires nationaux de l´entériner.

UNION EUROPEENNE. Le texte a été paraphé. Place aux ratifications par voie parlementaire. Les eurosceptiques en embuscade.

Richard Werly, Bruxelles
Vendredi 14 décembre 2007

Un seul mot pour tout faire déraper. Jeudi, à Strasbourg, les parlementaires européens eurosceptiques ont de nouveau exigé que le futur traité de l’Union européenne, signé au même moment à Lisbonne, soit soumis au référendum. Pas question, pour ces derniers, de baisser les armes en 2008, lorsque les parlements nationaux seront tous conviés à approuver ce texte qui amende les deux traités fondateurs : celui de Rome, en 1957, sur les communautés européennes, et celui de Maastricht, en 1992, sur l’Union européenne. Qu’importe si l’Irlande est le seul pays contraint par sa Constitution de convoquer ses électeurs, sans doute en mai. « 2008 sera à nouveau une année d’explication franche autour de l’Europe, reconnaît Sara Hagemann, du Centre pour la politique européenne (EPC) de Bruxelles. Pour que ce traité soit vraiment accepté, ses défenseurs vont devoir le défendre auprès de leurs opinions. Le débat n’est pas clos. Loin s’en faut. »

L’iconographie officielle laisse pourtant penser le contraire. Hier, à Lisbonne, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE - Gordon Brown excepté (lire ci-contre) - arboraient une mine radieuse devant la somptueuse façade du couvent des Jéronimos, où ils venaient, avec un stylo d’argent, de parapher le document destiné à remplacer la défunte Constitution. A l’image du président de la Commission, José Manuel Barroso, pour qui le texte, censé entrer en vigueur après les élections européennes de la mi-2009, accouche d’« une Europe élargie à 27Etats membres, réunifiée autour de la liberté et de la démocratie » et qui « sera mieux placée qu’un quelconque autre pays ou groupe de pays, non pour imposer, mais pour proposer les solutions dont le monde a besoin ».

Problème toutefois : les douze prochains mois ne seront pas de tout repos. « Les leaders européens n’auront peut-être pas besoin de convaincre leurs parlements pour obtenir la ratification du traité de Lisbonne, poursuit Sara Hagemann. Mais ils devront s’engager et montrer que ce texte relance l’Europe dans l’intérêt de tous. »

Le calendrier, de fait, s’annonce plus miné qu’il n’y paraît. Le début de l’année 2008 sera ainsi dominé, sous présidence de la Slovénie, par la question de l’indépendance du Kosovo, sur laquelle l’UE n’a pas encore de position commune. La présidence française, qui suivra de juillet à décembre, sera sans doute utilisée par les ex-partisans du non pour monter au créneau. Conscient de ce risque, Nicolas Sarkozy, qui avait fait de ce traité simplifié l’une de ses principales promesses de campagne, a d’ailleurs décidé de le faire ratifier dès février.

L’autre obstacle annoncé est celui de la pédagogie. S’ils ont raison sur la forme - puisque ce traité modifié n’a rien d’une constitution et qu’il n’entérine pas les symboles supranationaux de l’Union (drapeau, hymne...) -, les défenseurs de la ratification parlementaire ne peuvent pas nier que le document contient des dispositions de nature à influer sur les politiques nationales.

Point symbolique, le Conseil représentant les pays membres se dotera ainsi d’un président, élu pour deux ans et demi, « chargé de représenter l’Union sur la scène mondiale ». Autres changements de taille : le fait qu’un million de citoyens européens puissent, à l’avenir, soumettre une proposition législative et le fait que le Parlement européen disposera de la codécision, avec les Etats membres, sur les questions de justice, de sécurité et d’immigration légale. Sans parler de la possibilité, pour un pays qui le désire, de quitter l’Union après négociation avec ses partenaires.

« L’atout de ce traité est de sortir l’Europe du piège constitutionnel, analyse un diplomate. Il faut maintenant s’attaquer au fossé révélé par les référendums français et néerlandais de 2005 : celui entre l’UE et l’opinion. » Début des travaux dès aujourd’hui, lors du sommet européen de Bruxelles.

L’avenir de l’Union dans les mains de « sages »
Les Vingt-Sept ont accepté la proposition de Sarkozy. Confirmation ce vendredi.
Richard Werly
Ce « Comité des sages », approuvé lundi par les ministres des Affaires étrangères, n’abordera toutefois pas, comme le souhaitait Nicolas Sarkozy, la question des futures frontières de l’UE, sous-entendu ses relations avec la Turquie, dont le président français rejette l’entrée dans l’Union. Son mandat concernera plutôt « le renforcement et la modernisation du modèle européen qui concilie réussite économique et solidarité sociale, l’Etat de droit, le développement durable... » Autant d’objectifs très larges sur lesquels les personnalités - une dizaine, politiques et académiques - devront rendre un rapport en juin 2010, un an après les élections européennes. Seront exclues des discussions les questions portant sur les institutions, ou sur le budget futur de l’Union.

La bataille des noms a en tout cas commencé. Parmi les candidats pressentis pour la présidence du « Comité des sages » figure l’ancien premier ministre espagnol Felipe Gonzales, l’ex-présidente lettone Vaja Vike Freiberga ou l’ancien patron du géant finlandais des télécoms Nokia, Jorna Ollila. Parmi les membres pourraient figurer l’ancien commissaire européen portugais Antonio Vitorino ou l’ancien président irlandais du Parlement européen Pat Cox. Certains pays, comme la Belgique, ont déjà accepté de ne pas avoir de représentant.

Gordon Brown très décrié
Le premier ministre a esquivé la cérémonie.
Angélique Mounier-Kuhn
En choisissant de ne pas apparaître à la cérémonie officielle de signature du traité de Lisbonne, sous prétexte qu’il avait rendez-vous avec la Chambre des communes, pour le parapher plus tard et en dehors du champ des photographes, Gordon Brown s’est livré à un exercice d’équilibrisme unanimement décrié. Pour William Hague, le ministre des Affaires étrangères du cabinet fantôme, cette gesticulation a causé « un embarras national. [...] Au lieu de leadership, nous avons de l’indécision, du manque de cran et des promesses électorales déçues. La Grande-Bretagne mérite mieux », fustige le représentant de l’opposition conservatrice.

Le caractère factice de ces incompatibilités d’emploi du temps de Gordon Brown n’a pas échappé à The Independant, qui évoque « une débâcle » et « un geste sans objet qui déplaît à tout le monde ». En agissant ainsi, le premier ministre a tenu « à garder ses distances avec la majorité des pays de l’UE » et tenté de « rassurer les électeurs et les journaux eurosceptiques quant à son opposition à un approfondissement de l’intégration », ajoute le quotidien de centre gauche.

Rassuré, le très conservateur The Sun, qui se targue d’avoir récolté 28000 signatures d’opposants au nouveau traité, ne l’est pourtant pas. Car le traité, qui est « pratiquement le même que la Constitution néfaste qui a mordu la poussière il y a deux ans », a bel et bien été signé. Ce qui, entre autres conséquences déplorées par le tabloïd, se traduira par « un abandon du contrôle de la politique d’immigration ». Gordon Brown doit s’attendre « à une âpre révolte à la Chambre des communes lorsqu’il tentera de faire passer en force le traité au parlement », avertit le quotidien, qui milite en faveur d’un référendum, option rejetée par le premier ministre.

Observateur mystérieux

Plus tempéré, dans un éditorial intitulé « l’ami absent », le Financial Times juge que « la semi-apparition du premier ministre dans la capitale portugaise est une bonne métaphore de l’attitude du gouvernement à l’égard de l’UE. C’est l’attitude d’un observateur, non d’un acteur à la table européenne. Un observateur [...] de plus en plus mystérieux aux yeux des amis de la Grande-Bretagne. »