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Le gouvernement prépare une vague de privatisations

Publie le vendredi 9 avril 2004 par Open-Publishing

Face à la dégradation continue de la situation des finances publiques,
Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy veulent utiliser la cession des
participations de l’Etat dans les grandes entreprises pour rembourser la dette.
Après la Snecma, France Télécom pourrait figurer au programme.

Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy, son nouveau ministre de l’économie, le
savent : en période de croissance molle, il n’existe pas de recette miracle pour
redresser les finances publiques. Ils veulent pourtant montrer qu’ils ne restent
pas immobiles au moment où les déficits et la dette se creusent. Le premier
ministre a donc décidé de trouver rapidement de l’argent en cédant des
participations de l’Etat dans certaines entreprises.

M. Raffarin a annoncé, lundi 5 avril, dans son discours de politique générale,
qu’il allait "accélérer" la politique de privatisation "dans le secteur
concurrentiel" pour renforcer l’attrait de la France. Le lendemain, à
l’Assemblée, M. Sarkozy se montrait plus direct. "Il n’est pas question de
laisser filer les déficits. Des ventes d’actifs permettront de diminuer la
dette", mais aussi de "recapitaliser l’industrie", a-t-il précisé. Le
porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, indiquait le matin même, sur
Europe 1, que "les conditions du marché" étaient désormais plus favorables à de
telles opérations.

A 3 746,11 points, l’indice CAC 40 est en hausse de 5,89 % depuis le 1er janvier
et de 29,47 % sur douze mois. Depuis plus d’un mois, la hausse de l’euro face au
dollar, qui pèse sur la compétitivité des entreprises européennes, s’est un peu
ralentie. Lundi, la monnaie européenne est même brièvement passée sous le seuil
symbolique de 1,20 dollar.

Pour M. Sarkozy, il est urgent de contenir la dette de l’Etat, qui atteignait,
fin 2003, 980 milliards d’euros. Si l’on y ajoute le déficit de l’Etat prévu
pour 2004 (55 milliards), elle atteindrait 1 045 milliards (hors déficit de la
Sécurité sociale). Des estimations internes au ministère de l’économie (Le Monde
du 6 avril) indiquent que sans mesures correctrices, la dette pourrait atteindre
67 % du produit intérieur brut en 2005 (contre 63 % en 2003), soit sept points
de plus que la limite fixée par le traité de Maastricht (60 %). La charge de la
dette représente le deuxième budget civil de l’Etat et "absorbe 80 % de l’impôt
sur le revenu", note l’entourage de M. Sarkozy, même avec des taux d’intérêts
historiquement bas. Or, ceux-ci ne resteront pas toujours à ce niveau.

Les privatisations ne régleront toutefois que partiellement le problème. Une
partie du produit de ces cessions d’actifs servira, en effet, à consolider le
capital d’entreprises publiques, notamment Giat Industries et DCN (ex-direction
des constructions navales). Entre 1985 et 2003, l’Etat n’a tiré que 66 milliards
d’euros de ces ventes, soit une année de déficit cumulé de l’Etat et de la
Sécurité sociale. A Bercy, on estime qu’une accélération du programme peut
permettre de mobiliser assez rapidement environ 20 milliards d’euros, dont 4
sont déjà inscrits dans la loi de finances 2004.

Plusieurs opérations peuvent être menées rapidement. Déjà annoncée,
l’introduction en Bourse d’une partie du capital (environ 30 %) de la Snecma,
l’équipementier aéronautique, pourrait intervenir dès juin et rapporterait de
l’ordre de 2 milliards. Même si rien n’est encore arrêté, une partie des actions
pourrait être réservée aux particuliers, M. Sarkozy renouant ainsi avec le
"capitalisme populaire" cher à Edouard Balladur, dont il a été le ministre du
budget entre 1993 et 1995.

Les particuliers pourraient être également appelés à participer à une nouvelle
cession de titres de France Télécom, dont l’Etat détient encore 50,15 %. Cette
entreprise vaut 55 milliards d’euros en Bourse. Les banquiers d’affaires
estiment que, après la Snecma, c’est l’opération la plus probable. A leurs yeux,
il est tout-à-fait envisageable de céder 5 à 7 milliards d’euros de titres sur
le marché. "C’était attendu même avec le précédent gouvernement", souligne l’un
d’eux. Mais, pour l’instant, aucun contact n’a toutefois été pris avec la
direction de l’entreprise.

URGENCE BUDGÉTAIRE

Lorsque le rapprochement boursier entre Air France et la compagnie aérienne
néerlandaise KLM sera terminé, l’Etat pourrait aussi se délester d’une partie de
ses titres de la compagnie française. Restent aussi toutes les entreprises dans
lesquelles il n’a plus qu’une petite participation. Dans son discours de
politique générale, M. Raffarin semble toutefois avoir exclu celles qui ne
peuvent pas être vendues sans renforcer leur logique industrielle. Il a en effet
précisé : "Nous devons conforter notre base industrielle en favorisant les
alliances, notamment là où la France est dynamique, comme dans l’industrie
ferroviaire, l’automobile, l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique,
l’agroalimentaire, les télécommunications ou l’espace". Derrière l’urgence
budgétaire, il resterait donc encore une trace de la logique industrielle qu’a
pu insuffler Francis Mer, l’ancien patron d’Arcelor, lors de son passage à
Bercy, mais aussi Lionel Jospin à Matignon.

Le premier ministre a aussi rappelé que ces privatisations resteraient "dans le
secteur concurrentiel". Il s’agit donc de presser le pas, mais sans agiter un
chiffon rouge en remettant en cause la propriété publique d’entreprise comme La
Poste, la SNCF ou la RATP. En revanche, le calendrier va s’accélérer pour EDF.
Examiné en Conseil d’Etat le 22 avril, le projet de changement de statut de
l’entreprise - et pas celui des salariés, comme l’a confirmé M. Sarkozy devant
les députés - pourrait passer dans la foulée en conseil des ministres. Si cette
opération était réalisée avant la fin de l’année, EDF verserait une soulte, qui
bénéficierait aux régimes de retraite de base et complémentaires (Agirc, Arrco)
et qui allégerait le déficit public.Ni le montant ni les modalités ne sont
toutefois arrêtés.

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