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Merci Patrick Devedjian.

Publie le mercredi 14 avril 2004 par Open-Publishing

Oui vraiment, ça fait plaisir. Grâce à votre intervention auprès du Conseil Constitutionnel, la qualité de votre argumentation et votre engagement en faveur d’une égalité de tous devant la loi, vous avez sauvé l’internet français de la catastrophe qui s’annonçait : les sages ont censuré une disposition cruciale du texte que le Parlement avait voté, quelques phrases qui déléguaient aux intermédiaires techniques de l’internet, en particulier les hébergeurs de contenus, la mission régalienne de dire le droit. Pour être juste, je devrais également remercier vos collègues du gouvernement, messieurs Fillon, Douste-Blazy, d’Aubert, de Robien, et Donnedieu de Vabres, ainsi qu’une soixantaine de parlementaires de votre camp dont Jean-Louis Debré et Alain Madelin qui se sont associés à votre demande. Tous les défenseurs de la liberté d’expression avaient hurlé devant cette loi écrite par le Parti Socialiste, merci d’avoir relayé leur attente en soulevant l’inconstitutionnalité du texte voté.

C’était en juillet 2000, vous étiez alors dans l’opposition parlementaire. Je ne retire rien de mes remerciements, c’est bien grâce à la censure de l’amendement Bloche que la coopérative d’hébergement numérique que j’ai l’honneur de présider a pu voir le jour, mais c’est surtout grâce à vous qu’il appartient à la justice de se prononcer sur les infractions commises en ligne. Cela satisfait mon attachement aux principes élémentaires de notre démocratie. En revanche, ce que j’avais compris comme une préoccupation partagée sur ces principes ne semblait être qu’une manœuvre partisane. Quelle déception. Maintenant que vous êtes ministre délégué à l’industrie en charge du projet de loi sur la confiance en l’économie numérique (LEN), vous défendez un article dont l’esprit est exactement identique au texte que vous avez fait censurer. Avouez qu’il y a de quoi douter de votre sincérité et que tout ça ne fait pas très nous-avons-entendu-le-21-avril.

Comme votre prédécesseur Nicole Fontaine, comme les rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée National, vous avez usé des arguments les plus éculés pour justifier l’injustifiable : la délégation à des entités privées de la détermination de ce qui, en ligne, est hors la loi. En rendant responsables les hébergeurs de sites web des contenus qu’ils abritent dès lors « [qu’ils ont] effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère », vous ne pouvez ignorer que ces entreprises qui n’ont pas vocation à prendre le risque de se faire condamner pour des délits dont ils ne sont en rien responsables, procéderont à une censure préventive dès qu’ils recevront une plainte. Jusqu’à maintenant l’hébergeur est coupable s’il ne répond pas à une demande officielle, maintenant il suffit d’une dénonciation dans les formes.

Entendons-nous bien, nous ne parlons pas là des délits dont l’importance est telle que le système judiciaire actuel prévoit des procédures d’urgence qui fonctionnent parfaitement et auxquelles les hébergeurs collaborent sans aucune difficulté. Votre loi a pour objectif de faire taire des sites dont les infractions se situent sur le terrain de la diffamation, du droit des marques ou de la propriété intellectuelle. Des sujets véritablement important qui méritent mieux qu’un simulacre de justice expéditive. Il ne vous a pas échappé que sur ces thèmes en particulier, des jugements de première instance étaient contredis en appel et que celui qui hurle le plus fort n’est pas toujours celui a qui la justice donne raison. Et vous voudriez que des intermédiaires techniques sur internet arbitrent ces conflits, prennent des risques financiers qui les dépassent ? Comment pouvez-vous nier que bien entendu, au premier grain, les hébergeurs couperont l’accès… à des contenus que les tribunaux aurait très bien pu absoudre si on leur avait posé la question. Est-ce bien là votre conception de la justice ?

Les professionnels d’internet associés à ceux qui défendent l’état de droit demandent une chose simple : qu’il revienne à ceux dont c’est la fonction de déterminer ce qui n’est pas dans le cadre de la loi, que pour sauver leur peau, on ne contraigne pas les hébergeurs à remplacer les juges.

Vous parlez encombrement des tribunaux alors que la loi actuelle montre qu’elle limite les conflits. Vous parlez pédophilie et révisionnisme alors que ces sites sont le plus souvent hébergés à l’étranger et que votre loi ne changera pas grand chose à ces fléaux... tout en mettant en danger des milliers de sites légaux et de très nombreuses entreprises françaises qui se battent sur un marché de concurrence mondiale. Vous mettez en avant le fait que votre loi prévoit de sanctionner les dénonciations abusives alors que la lecture attentive du texte et l’étude de la jurisprudence récente autorisent les plus grandes craintes : ce garde-fou est un cache sexe. Vous prétendez avoir fidèlement transcrit une directive européenne, mais vous savez parfaitement que certains de nos voisins ont pourtant fait d’autres choix.

L’article 2 bis de votre loi est contraire à l’idée de justice qui a cours dans notre pays, il est inutile et dangereux. Puisque vous étiez de cet avis en 2000, modifiez votre texte aujourd’hui. Des milliers de personnes vous le demandent, la dignité vous le commande.

Alexis Braud
 http://www.ouvaton.coop/