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Entretien avec Alina Reyes, Propos recueillis par Marc Alpozzo

Publie le samedi 5 janvier 2008 par Open-Publishing
3 commentaires

de Marc Alpozzo

Depuis la parution en 1988, aux éditions du Seuil, d’un premier roman intitulé Le boucher, Alina Reyes est devenue l’un des plus importants auteurs contemporains de littérature érotique. Très médiatique, elle a publié à ce jour, plus d’une vingtaine d’ouvrages, collectionné les succès et les traductions en de nombreuses langues.

Reste qu’Alina Reyes est un écrivain qui s’élève bien au-delà de l’étiquette qu’on lui colle. Auteur de romans érotiques, elle sait tout autant surprendre là où on ne l’attend pas : sexe et politique, avec Poupée anale nationale , histoire et littérature avec Nus devant les fantômes , culture et société avec La vérité nue … entre autres. Alina Reyes, bien plus que la papesse de la littérature érotique, s’inscrit durablement comme un écrivain à part entière, capable de penser son temps, et d’interroger son époque, tout en proposant une œuvre qui remet le sexe déculpabilisé, le plaisir du corps, et la joie d’être au centre du débat contemporain.

Retour donc, sur un écrivain qui colle parfaitement à son temps :

Marc Alpozzo : Le boucher est votre premier roman. Comme son titre l’indique, c’est un roman sur la chair. Le boucher, métaphoriquement, homme cruel et sanguinaire, est en fait ce professionnel de la « viande » qui sait reconnaître les bons et les mauvais morceaux. Préfiguration d’un retour au corps conçu par la morale comme bas et condamnable. Stéphane Zagdanski parle d’une résurrection métaphorique de la chair . On peut en effet lire dans ce roman, comme finalement dans tous les autres, un hymne au corps et à la pureté de l’amour. Etes-vous d’accord ?

Alina Reyes : Oui, on peut lire le livre dans le sens d’une résurrection de la chair, dans la mesure où l’on fait clairement le trajet de la chair morte, de la viande, à la chair vivante, la chair de l’amour. Or cette résurrection, littéraire et spirituelle, advient par la parole, le verbe. Aussi longtemps que le boucher et la jeune fille sont enfermés dans la boucherie, la mort est combattue par la parole, celle que le boucher « débite » à l’oreille de la narratrice pour faire naître le désir en elle et en lui-même, réveiller leur chair et leur âme mortifiées par le spectacle de la viande. Il faut aussi considérer qu’ils se trouvent là en position de servitude, tous deux employés pour un travail ingrat, au service à la fois du patron et de la clientèle.

D’un point de vue philosophique et politique, on peut noter que c’est aussi grâce à la parole qu’ils contournent leur servitude, créent un espace de solitude à deux où ils sont pleinement souverains, protégés des atteintes du monde par leur secret partagé et l’usage « non-conforme » de leurs sens sur le lieu du travail.

En revanche, dès qu’ils sont dans l’intimité de la chambre, que redouble encore l’espace clos de la douche, la parole devient inutile : c’est le corps qui la prend, en faisant l’amour. L’amour en acte, l’amour réel (ce qui ne signifie pas nécessairement sentimental) est la poésie en acte du corps. Et la chair est alors aussi innocente qu’aux premiers temps de l’Eden. C’est leur entente qui a permis ce retour à la pureté originelle : par sa parole lui s’est extirpé de la mort, son métier ; par son écoute elle a rendu à sa chair la possibilité de la beauté.

M.A. : En tous cas, il est clair que, dès ce premier roman publié à 32 ans, vous vous imposez d’emblée comme un écrivain de livres érotiques. Cette étiquette, vous ne l’avez jamais franchement revendiquée, mais pas non plus refusée. En fait, vous semblez jouer avec ce genre pour construire une réflexion rigoureuse sur une époque où la consommation et la normalisation des corps tuent toute légèreté, toute joie de vivre. Chose plus cruelle, vous semblez dire, au travers de vos multiples romans, que la chair est triste en Occident ; que les corps sont négligés, méprisés, et par conséquent en souffrance. Vous ne faîtes donc pas une apologie du plaisir, de type hédoniste, mais vous appelez à une redécouverte du corps. Est-ce bien cela ?

A.R. : Qu’est-ce que ça veut dire « livre érotique » ? Vous savez, avant d’être écrivain je suis et j’ai été une grande lectrice, et pour moi, tout bon livre est érotique, que ce soit un roman de Balzac ou de Patricia Highsmith. Si je suis une personne tellement concernée par l’érotisme, c’est parce que j’ai beaucoup lu. Les contes de Perrault, lus à sept ans, m’ont beaucoup plus appris sur mon désir que mon premier baiser à un garçon, sept ans plus tard ! A dix-onze ans je savais jouir toute seule et sans me toucher rien qu’en me racontant des histoires.

C’est ce que je continue à faire, en écrivant, et c’est pourquoi il y a en effet beaucoup d’érotisme ou du moins de sensualité dans tous mes livres. Je l’explique dans le petit Carnet de Rose, à paraître au mois de mai : l’écriture est pour moi une activité sexuelle, une part capitale de ma libido. Je dis « pour moi » mais je ne crois pas trop m’avancer en disant que c’est le cas pour tout auteur, même ceux chez qui c’est moins spectaculaire. L’art est une érotique, je ne suis sans doute pas la première à le dire. Admettre pleinement cette approche, c’est aussi reconnaître une transcendance à la chair. Et c’est bien en effet ce qui fait cruellement défaut à notre monde. Notre monde est éminemment pornographique, j’ai écrit assez longuement ailleurs sur cette question, et malheureusement il ne sait pas toujours distinguer la pornographie industrielle de, disons, la littérature.

Mon dessein est le pôle exactement opposé du puritanisme pornographique : je cherche à revaloriser la pureté, l’innocence et la beauté de la chair face à la laideur, la tristesse et la malédiction dont on l’a grevée. C’est pourquoi, dès Le Boucher, j’ai écrit la scène de la douche, scène de pure jouissance, en contrepoint de celle de Psychose, le film d’Hitchcock, où la douleur puritaine maniaque s’exprime par le meurtre, ma main qui manie le couteau pour tuer plutôt que la chair pour jouir et faire jouir. Depuis j’ai continué ce combat (spirituel) sous différentes formes, avec plus ou moins de bonheur sans doute, mais dans la conscience d’une nécessité de plus en plus grande.

M.A. : Si on prend par exemple, la jouissance féminine, – vous en parlez avec Stéphane Zagdanski dans La vérité nue – là encore, il ne s’agit pas de parler d’une apologie de l’hédonisme dans vos romans, mais plus subtilement d’une philosophie de la joie, voire d’une apologie du bonheur. A bien regarder le siècle, il semble que la prétendue liberté sexuelle cache en réalité une peine à jouir, à aimer faire l’amour. La jouissance féminine et le plaisir pour la femme restent un tabou ; l’image d’une femme désirant un homme est encore conçue par beaucoup d’hommes et de femmes comme extrêmement négative. Il n’y a aucune libération. On a l’impression que vos romans militent pour une plus saine représentation de l’amour au féminin. Je parle de l’amour au sens « sexuel ».

A.R. : Beaucoup de tabous encore, il suffit d’être une femme pour le vivre tous les jours, d’autant plus si l’on est un peu exposée. Le désir féminin est pour beaucoup tellement insupportable qu’il leur donne des envies de meurtre, ou du moins d’anathème, de meurtre symbolique. On voit ça clairement avec l’islam bien sûr, mais gardons-nous de ne voir que dans l’œil du voisin, la terreur masculine vis-à-vis du désir féminin est très partagée par des hommes de toutes obédiences et de toutes cultures – j’ai écrit aussi sur cette question et je ne peux développer ici, mais ceux qui seraient intéressés peuvent se reporter à mon blog « A mains nues » où ils trouveront quelques articles, et aussi à mes recueils de textes Corps de femme et Politique de l’amour, au format poche chez Zulma. Il y a trois mille ans déjà les hommes inventèrent pour illustrer cette question la figure de Lilith, la femme trop libre qui voulait elle aussi chevaucher Adam pendant l’amour, et pour cela fut exilée au désert et dite démone… Pourtant on sait bien que nul n’est libre dans les rapports de domination, ni le dominant ni le dominé ! D’autres Anciens ont inventé la figure d’Œdipe, Freud a décrit le complexe éponyme, mais bien entendu cela ne suffit pas non plus à en guérir les virilités fragiles…

M.A. : A ce propos, que pensez-vous de ce courant littéraire exclusivement féminin, incarné par Virginie Despentes, Christine Angot, Catherine Millet, Raphaëla Anderson, Catherine Breillat et d’autres, qui prétendent inaugurer une écriture libératrice, dont les transgressions relèvent à la fois du dégoût d’être un grenier que l’on explore, un récipient dans lequel on se vide, ou une viande que l’on palpe et triture ; elles proposent une écriture de la vérité, de la sensualité frustrée, du refus d’appartenir plus longtemps au désir macho et égoïste des hommes, et en réaction contre l’érotisme, genre essentiellement masculin selon elles, inaugurent le roman « Trash » ou pour être plus précis, le roman pornographique ? Pour elles, il s’agit de revendiquer une pornographie à l’état pure. Etes-vous d’accord avec cette définition du problème ? Peut-on, selon vous, en tant que femme, sortir de la domination masculine, en réinventant une littérature érotico-pornographique ?

A.R. : Je lis assez peu ces auteurs mais ce sont toutes des écrivains à part Raphaëlla Anderson qui est une ex porno star, autant que je sache. Sans doute chacune a-t-elle sa vision personnelle du monde et des rapports homme-femme, je ne m’y retrouve pas en effet mais il est bon que des visions différentes s’expriment. Les femmes ne sont d’ailleurs pas les seules à rendre compte d’une sexualité triste ou trash, voyez Michel Houellebecq par exemple, pour ne pas parler de tous ses épigones. Au fond peu importe la vision, l’important c’est l’art. Vous savez que Lautréamont a dit que l’homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres et je suis entièrement d’accord avec cette formule. Quelles que soient les intentions affichées de l’auteur, pessimisme ou optimisme, ce qui compte c’est sa puissance. Plus une œuvre est puissante, plus elle vous guérit du malheur, même si son propos est à première vue déprimant.

Ainsi des derniers romans de Bret Easton Ellis et de Houellebecq. Ils décrivent des univers profondément nihilistes, mais le sentiment qui domine en les refermant c’est celui d’une joie plus forte que le plus grand malheur, la joie de la puissance de l’art et de la vie qui veut vivre, encore. Que chaque artiste s’empare du domaine où il est le plus à même de développer la puissance de son art, c’est tout ce qui compte. Que le flacon s’appelle pornographie, polar, science-fiction, littérature générale ou autre, aucune importance si l’alcool qu’il nous donne à boire est de qualité.

M.A. : Littérature érotique ou, en ce qui vous concerne, littérature mise à nue. Dans Nus devant les fantômes, vous revenez sur des personnages contemporains hors normes : Franz Kafka, Milena Jesenska. Ça se passe en 1944 dans le camp de Ravensbrück, là où Milena Jesenska est à l’orée de la mort, et se rappelle cet amour platonique qu’elle a eu avec Franz Kafka, notamment par une longue correspondance épistolaire. Elle est l’un des premiers traducteurs de l’écrivain, dont elle admire profondément l’œuvre. Kafka, c’est l’angoisse existentielle, l’absurde, la nocivité des régimes totalitaires. Pourquoi un tel choix ?

A. R. : Pourquoi Kafka ? A l’époque où j’écrivais ce livre, j’ai remarqué qu’il ne se passait pas un seul jour sans que je voie écrit quelque part dans la presse, ou que j’entende prononcé l’adjectif « kafkaïen ». Le monde dans lequel nous vivons répond donc de lui-même à votre question. Nus devant les fantômes nous le sommes plus que jamais avec le développement des technologies de communication. Mais on peut lire et relire Kafka dans tous les sens, il a et il aura toujours raison, quelle que soit l’époque. Kafka écrit hors-temps, et c’est pourquoi il est de tous les temps et aussi de toutes les circonstances. Ce qu’il a décrit je le vis, nous le vivons tous et c’est un immense soutien de pouvoir le lire, profiter de son regard aigu, unique. Deux autres auteurs me sont aussi indispensables : Nietzsche et Rimbaud. Ainsi que, presque autant, Artaud. Ce sont tous des auteurs que j’ai lus et relus très jeune ; sans cesse je reviens à leurs œuvres ; ça ne saute peut-être pas aux yeux, mais ils sont dans mes veines et sans eux je n’écrirais pas ce que j’écris. Oui, vous avez raison, une mise à nu, c’est ce que je recherche et trouve là. C’est mon côté extrémiste !

M.A. : Quand on lit Poupée, anale nationale ou La vérité nue, il semble que vous liez sexe et politique. Vous avez par exemple déploré sur votre blog, – et très certainement à juste titre ! – que le jury du Goncourt se soit dégonflé comme une baudruche devant le dernier Houellebecq. Or, chez Michel Houellebecq, le sexe est étroitement imbriqué à la politique et à la sphère économique. Vous semblez combattre le dictat du discours de la jouissance, un peu comme si le fameux slogan « Just do it » était un appel à la jouissance, mais normée, individuelle, sans plaisir.

A.R. : Ah bien sûr que le sexe est très lié au politique ! Toute association humaine fonctionne d’abord sur des tabous, en particulier sexuels. Le sexe est anti-social, Sade l’a démontré définitivement. A partir de là, il s’agit de savoir comment on accepte de le régir et de le laisser régir, puisqu’on ne peut vivre en société sans le régir. Un artiste ou un auteur qui ne parleraient pas de sexe seraient éminemment suspects, mais on peut aussi faire de l’ « art » officiel en servant l’ordre politique, en distribuant de l’opium au peuple… C’est d’ailleurs ce que le peuple achète en priorité et en masse, dans son besoin inavoué de confort, pour ne pas dire de mort spirituelle.

L’érotisme est une excellente voie de connaissance, l’étude des comportements sexuels et de leurs enjeux un excellent outil d’analyse et de dénonciation des ressorts cachés d’une société et de son pouvoir. Jouir aujourd’hui est bel et bien le mot d’ordre de la publicité, donc du marché – qui bien entendu ment en faisant passer la consommation de biens ou de personnes pour une jouissance. D’où augmentation indéfinie de la frustration, soif de consommer encore plus, déréalisation, enfin le cercle vicieux qui nous mène à la grande dépression des sociétés occidentales ou tentées par le modèle occidental. C’est aussi le thème de mon roman Satisfaction . Quant à Poupée, anale nationale, que vous citez, il décrit par le biais de manifestations physiques l’univers mental régressif du fascisme, et au-delà du fascisme de toute tentation de repli, largement à l’œuvre dans la démocratie comme chez le démocrate ordinaire.

M.A. : Vous êtes l’un des premiers écrivains avec Franca Maï à avoir compris l’esprit de la blogosphère. C’est-à-dire précisément, que vous n’avez pas, comme Virginie Despentes, utilisé le blog comme un simple medium de « promotion » pour votre bouquin, mais contrairement à l’auteur de Baise-moi, vous avez su vous en servir pour vous installer dans une communauté qui vit encore en décalé par rapport à la vie réelle. Qu’est-ce que vous inspire maintenant la blogosphère ? Quel avenir à long terme y voyez-vous, si tant est que vous voyez à cette « joyeuse » euphorie qui est parfois une « joyeuse » pagaille, un avenir ?

A.R. : Je crois savoir que Virginie Despentes a dû fermer ses commentaires suite à des attaques, c’est peut-être ce qui l’a empêchée de s’insérer mieux dans la blogosphère, ce n’est pas facile quand on est connu ! Moi j’ai tiré un riche enseignement de cette expérience. C’est le théâtre, c’est le roman, c’est l’assemblée, c’est aussi le village avec toutes les horreurs de la vie en promiscuité, enfin tout est là. Pas vraiment joyeux, vous faites bien de mettre des guillemets, on y sent même passer une grande douleur, mais enfin pas dénué non plus d’enthousiasme.

Pour ce qui est de l’avenir je ne sais pas, sans doute tout ce qui ressemble à du magazine, de la revue etc. se structurera encore plus, dans un mouvement comparable à celui qui a suivi la naissance des radios libres, mais sans doute aussi, à moins de grands bouleversements, les gens continueront-ils d’employer individuellement ce moyen de communication comme ils ont continué à employer le téléphone. Quant à savoir si c’est bon pour notre santé mentale, c’est une question qu’il faudra bien finir par se poser sérieusement…

M.A. : Vous ne niez pas que vous aimez vous-même vous montrer nue . Cette exposition de votre nudité, que l’on peut observer sur votre site Internet dans la partie « album photo », et parfois sur votre blog ne semble pas être du tout une démarche exhibitionniste. Je dirais que cela semble être bien plus une démarche politique. Contre la norme marchande, la nudité calibrée, vous opposez une nudité libérée, joyeuse, saine et sans complexe. On a l’impression que loin des mouvements féministes, vous militez pour une « vraie » libération de la femme… vous essayez d’exposer dans votre nudité, l’incandescence intéressante du désir du corps, débarrassé de tous clichés consuméristes. C’est donc, oui, un acte profondément politique… Qu’en pensez-vous ?

A.R. : Depuis quelques années j’ai commencé à me montrer nue en effet, la première fois c’était dans le magazine ELLE qui s’est trouvé fort embarrassé de ma demande… et y a accédé à condition de me déguiser en statue ! N’est-ce pas amusant, alors que la nudité s’étale partout dans la publicité et dans la mode ? C’est qu’on veut bien de la nudité, mais calibrée. Plus jeune, à la publication du Boucher, on m’a proposé de poser déshabillée et j’ai alors refusé parce que justement ç’eût été alors entrer parfaitement dans le jeu. A partir du moment où j’ai passé quarante ans et après avoir
eu quatre enfants, il me semble intéressant de montrer mon corps, ne serait-ce que pour dire « oui, autre chose existe et n’est pas forcément désagréable pour autant ». C’était le même raisonnement qui m’avait fait choisir un gros boucher au lieu d’un joli garçon pour initier au désir ma narratrice.

Et c’est ainsi que je le ressens dans la vie : je suis très sensible à la beauté et notamment à la beauté plastique des corps, mais je sais aussi reconnaître la beauté dans n’importe quel corps, j’ai longtemps fréquenté les plages naturistes et je m’y sentais parfaitement bien. Donc voilà, je le montre, avec mon propre corps plutôt que d’aller chercher à exposer des corps de jeunes femmes et de contribuer ainsi à les exploiter et surtout à répandre une vision normalisatrice du corps – je ne parle pas des photos d’art bien entendu mais des ordinaires photos de nus qu’on peut en effet trouver partout. Et je dois dire que ça dérange tellement de gens, surtout de la part d’un écrivain – comme si l’écrivain devait être un pur esprit ! – que ça ne peut que m’encourager à récidiver régulièrement, en effet.

M.A. : Et pour finir, si je devais vous demander votre avis sur la littérature de l’époque… sur la nouvelle configuration éditoriale, je parle de l’autophagie généralisée qui semble emporter l’édition française aujourd’hui, quel est votre avis à ce propos ?

A.R. : J’ai longtemps eu le sentiment que le problème pour un écrivain français aujourd’hui, c’était d’être français. Je veux dire que ce pays devient de plus en plus petit ou épuisé, et qu’on est désespérément marqué par son milieu. Au royaume des aveugles les borgnes sont rois, alors nous nous contentions de plus en plus d’être borgnes, et nous avions de plus en plus de mal à nous servir de nos deux yeux.

Aujourd’hui la réussite artistique de Houellebecq m’a rendu beaucoup d’espoir. Je note qu’il s’est exilé, comme Dantec, et c’est sans doute une clé importante de l’ambition de ces deux auteurs, quelles que soient leur degré de réussite. Moi aussi j’éprouve régulièrement le besoin de m’échapper de France, d’aller vivre et respirer ailleurs, je l’ai fait deux fois au cours de ces dernières années et j’y songerai sans doute de nouveau dès que possible – en attendant j’essaie de me mettre en état d’exil intérieur, et la fréquentation d’Internet m’y a aidée. J’écris un roman, on verra !

M.A. : Que faudrait-il, selon vous, à la littérature du 21ème siècle ?

A.R. : De la poésie.

Messages

  • Et que faudrai-il pour faire exister une "civilisation" du XXIè ?

    ... de l’ a-sarkosie !

  • Merci à Madame Reyes de contribuer à faire sortir la nudité de son "formatage" comme elle le dit justement.

    La société française accepte parfaitement (parfois même, elle nous en abreuve ad nauseam) une nudité qui correspond à des critères précis, une nudité "pour quelque chose", comme la nudité artistique, médicale, pornographique, érotique, excentrique ou canular ou moquerie.
    On peut donc publier, montrer, une nudité "posée" (comme les poses en statue dans Elle), on peut montrer un corps nu quand il s’agit de médecine, on voit du porno partout (les enfants en reçoivent sur leur téléphone portable), les émissions de téléréalité nous montrent les ébats des uns et des autres dans la piscine, mais leur réglement précise "pas de nudité".
    On ne va pas interdire ou même restreindre le porno, ce serait de la censure, intolérable, une véritable atteinte à la liberté d’expression.

    En revanche, une nudité simple, "pas de ça, il y a des enfants !"
    A nos enfants, ne montrons donc qu’une nudité pornographique, ridicule (genre caméra cachée, ou maillot de bain qui tombe à la piscine ha ha ha trop la honte !), excentrique (genre streakers), esthétique (cela dit, même si Courbet est un grand peintre, l’Origine du monde, c’est une représentation très directe, réaliste comme une photo), mais une personne nue chez elle, simplement nue, ou dans la nature, non, surtout pas, c’est vilain, pas beau, ridicule, honteux, provoquant.
    Eh oui, à partir du moment où la nudité n’est admise que lorsqu’elle fait vendre, provoque, est forcée, ridicule, mais est bannie quand elle est naturelle, eh bien la nudité ne peut être que grotesque, provoquante, forcément sexuelle, honteuse, racoleuse.

    Alors, qu’une femme qui a eu 4 enfants publie des photos où on la voit nue, il faut dire bravo, et merci.

    Car si seule la nudité naturelle est bannie (à la télévision, on floute les sexes lors des reportages sur le naturisme, alors que si c’est de la fiction, les sexes ne seront pas floutés, même si la scène est expressément sexuelle), la seule image qu’on donne aux jeunes de la nudité, c’est le porno, la nudité racoleuse, ou ridicule ou honteuse.
    Et après, on s’étonne que tant de gens soient si mal à l’aise avec leur corps, et avec le corps d’autrui, on s’étonne que pour beaucoup être nu leur est impossible, ce serait la honte de leur vie, au point que souvent ça leur pourrit la vie et celle de leur entourage, ça met en l’air leur couple.
    Tout ça au nom du "couvrez ce sein que je ne saurais voir" !

    Alors, Madame Reyes n’a pas honte de son corps : très bien ! Souhaitons que son bien-être soit communicatif.