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Cesare Battisti : Déconstruction d’un faiseur d’opinion, de la pression à l’ingérence

Publie le vendredi 16 avril 2004 par Open-Publishing
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Réponse à l’article "Battisti fait l’unanimité contre lui en Italie",
de Eric Jozsef, envoyé spécial du journal Libération, à Rome ; 10/4/04

Déconstruction d’un faiseur d’opinion
De la pression à l’ingérence

Il est à dire avant toute chose que l’ingérence de la France en
Italie
eut été d’agir l’opinion des medias, de leurs journalistes et des
représentants de l’Etat Italiens, en vue d’influencer des changements de la
loi, par exemple l’amnistie générale des adversaires pour en finir avec la
violence des années de plomb. Ce n’est pas le cas, bien au contraire, le
Président Mitterrand selon une tradition locale du droit d’asile politique a
accueilli les réfugiés Italiens en France, pour qu’ils rompent avec la
violence, dont après coup Cesare Battisti et lequel, au terme d’un procès
mené
et conclu ici-même, suite à une première demande d’extradition, a obtenu des
mains de monsieur Juppé, chef de gouvernement de la cohabitation sous le
second mandat présidentiel de Mitterrand, une carte de séjour pour dix ans
(citation de la déclaration du maire de Paris Delanoë).

Qu’en Italie Battisti fut ensuite condamné par contumace ne change rien : il
se trouvait déjà en France. Que l’Italie depuis chez elle n’accepte pas la
diversité européenne en l’état de la loi française est son propre droit.
Qu’au modèle de son droit elle exerce une pression pour forcer le nôtre ne
l’est pas. Si l’Italie fait extrader de notre citoyenneté des italiens
accueillis dans le cadre de nos lois d’accueil, fussent-ils des criminels,
au prix de devoir modifier nos lois serait-ce par jurisprudence, alors nous
sommes face à une ingérence caractérisée. Si résister à cette pression
supppose une telle mobilisation, c’est que le droit est devenu un devoir.

En effet, l’Europe qui destructure les républiques et les démocraties
locales à effectuer ses lois communautaires, normes, taxes, contrôles,
demeure néanmoins en attente de constitution ; précisément, la mise en place
de la constitution fut déjugée sous la présidence italienne de la commission
européenne - ; existerait-il des lois communautaires, il ne demeure en terme
certain à ce jour, concernant les libertés civiles et civiques, penser,
s’exprimer, s’insoumettre, asiler, amnistier, que selon l’ultime autonomie
critique (celle au-delà de laquelle ne règne plus que la servilité) des
localités européennes entre elles et face à leur communauté ; en ce sens
qu’on ne pourrait les déjuger de s’autodéterminer dans le cadre commun selon
leur traditions, leur culture et leur droit respectifs, y compris leur
reconnaître que la démocratie
communautaire à défaut de constitution ou de gouvernement élu n’existe pas
de façon souveraine, sauf autoritairement - ce qui n’a pas été requis par
les peuples qui en ont consacré le projet.

Personne ne pourrait reprocher à Libé de publier un article depuis
Rome sur le climat italien à propos de l’affaire Battisti, et moins encore
de n’en avoir pas transformé la tonalité subjective, fut-elle partisane
contradictoirement de la plupart articles publiés auparavant sur le même
support. On connaît, " Le monde " a joué le même coup, une sorte de
trahison de son sujet contre le fait d’avoir commencé par le défendre : il
ne faut pas descendre dans le "lectoramat" des amateurs de Presse - ni les
financiers ni ceux qui ont le goût du pouvoir n’aiment cela.

Il reste que le brillant rédacteur Eric Jozsef s’affiche sous la bannière de
l’information et de l’objectivité quoiqu’il joue - à moins qu’il ne s’agisse
d’une maladresse ignorant la montée aléatoire du sens - de l’art des
contractions synoptiques, chères à la version courte des idées sous
forme d’abstract (aspect idéal de la communication intransitive) - ici plus
long qu’à l’accoutumée ; à la vision large qu’il embrasse prétendant
photographier la société correspondant à l’opinion annoncée, on peut
imaginer la profusion de la matière qui sous-tend son article, et qu’il
réduit plutôt qu’il ne la contracte. Passant d’une diachronie à l’autre,
(deux époques par deux époques à la louche - les faits et la répression, la
répression et la fuite, l’asile et la répression, les faits et l’asile,
etc.) il contracte des mots clés devenant ainsi émergents et au bout du
compte ils tiennent plus de la métaphore de l’information pour opinion, que
de l’actualisation de vision rapportée ou même de concept - ce qui
supposerait la réflexion en amont.

Apparaît soudain la révélation sensible, incontestable sous l’oeil du témoin
direct, l’envoyé spécial - ou plutôt le "résident", si l’on sait que peu de
journaux s’offrent le luxe de véritables "envoyés spéciaux", aujourd’hui -,
de l’événement suivant : la gauche est intégralement solidaire de la droite
et de l’extrême droite digérées et blanchies, dans le front démocratique
parlementaire et gouvernemental de l’Italie de Berlusconi. Car la
droitisation légitime de la gauche sur la question de Battisti et des PAC
est l’objet global de l’article, s’agissant d’une publication dans un
journal de gauche ici, si j’ai bien compris.

Cette opinion étrangement fusionnelle avec la tendance du reportage
sur place, relation adoptant le point de vue sans distance éthique de ses
sujets, autant de personnalités charismatiques historiques et actuelles de
l’Etat honorées, que de criminels marginaux dénoncés qu’ils combattent,
paraît davantage correspondre à l’environnement du journaliste lui-même, en
Italie.

S’agit-il d’une conviction sensible en empathie avec le voisinnage,
agences de Presse ou journalistes "envoyés spéciaux" dans les sphères de la
décision italienne, ou d’un opportunisme local - flattant ses hôtes il se
maintient bienvenu dans les plaisantes romanités ? Car s’il va recueillir
d’autres témoignages, par exemple du repenti délateur ou de l’idéologue des
PAC
(est-ce un repenti ? est-il libéré ? est-il emprisonné de ceux qui, chaque
soir, doivent revenir se faire interner ?) là encore, on n’est pas informé
sur les conditions des interviewes, ni même s’il ne s’agit pas mieux de
citations de la Presse, ou des actes des procès... bref, ce monsieur parle
comme s’il savait tout, jamais indirectement mais sans topologie des
rencontres.
Nous devons le croire puisqu’il fait parler chacun à la fois témoin et
accusateur, tel Dieu, quand ils s’agit de justifier le désir peine
 de l’expliquer pour désigner sa légitimité - pour enfermer à perpétuité
d’anciens militants révolutionnaires ; alors qu’à l’évidence ceux-ci
présentent pour seule différence avec leurs délateurs libres, de n’avoir pas
commis de délation. D’autre part même s’ils n’avaient pas tué, ils le
pouvaient puisqu’ils étaient armés - et bêtes.

Il est pourtant des Italiennes et des Italiens critiques, furent-ils
minoritaires, qui demeurent représentatifs, électeurs italiens non
déchus de leurs droits civiques, mais qui ne pensent pas de la même façon ;
il en est même qui ne pensent pas de la même façon sans avoir participé à
l’univers des accusés. Nous le voyons tous les jours dans les listes et dans
les sites interactifs Italiens sur Internet. Evidemment, monsieur Jozsef
aurait pu en rencontrer quelques uns à Rome, or il n’est pas si bien informé
que cela puisqu’il les ignore dans le cas général, qu’il édifie d’un
soi-disant consensus. Monsieur Jozsef écrit mais ne pratique l’enquête qu’en
relation. S’il nous parle depuis la façade médiatique italienne qui l’aurait
informé - ou désinformé -, lui-même faisant tapage des imprécations et des
oracles au lieu de la vox populi (certes, sachant qui détient les médias et
les paye pour la plupart, on veut bien le croire. Pour le reste, il n’a pas
du lui arriver de changer de trottoir)... Monsieur Jozsef serait par trop
routinier ou sédentaire.

Mais il y a plus grave que d’être sédentaire, quand en plus de la France
l’Europe elle-même est en danger d’ingérence ; ainsi, il ne manque pas dans
son papier que l’évocation de cette voix critique de la minorité italienne
qui se bat dans les médias alternatifs et débat en rencontres sur place ;
contre le manque de loyauté et de justice des dignitaires d’un Etat capable
d’amnistier sans honte, le lendemain même des attentats espagnols, le 12
mars, les
responsables de l’attentat putschiste de la Banque de l’Agriculture de Milan
en 1969, loin de le rappeler il se contente de les montrer criant d’autant
plus fort vengeance des exactions de la lutte armée par l’extrême gauche
(qui au fond et entre autre y répliqua).

C’est le prix de l’amnistie unilatérale, faire oublier l’horreur des
antécédents de la condamnation amnistiée, après que certains actuellement au
pouvoir dont héritiers ou témoins, sinon partenaires direct de ces
exactions, furent affichés en évolution légitime pour être installés à la
tête de la démocratie italienne... Preuve que la démocratie n’est pas
incompatible avec le
fascisme, voir pouvant y conduire comme au contraire en démettre - une sorte
de "pute" -, ou sous d’autres formes maintenir ses avantages, par exemple
élue et cautionnée sous injection de populisme (je ne dis pas "popularité" ;
si la popularité caractérisait les attributs du pouvoir en place, le recours
à l’argumentaire sécuritaire et à la vengeance populiste ne lui serait pas
nécessaire pour confirmer, à grands flonflons médiatiques, sa crédibilité
majoritaire - pour pallier à son impopularité potentielle).

Il manque en plus - et principalement dès que la minorité est mise en
ellipse - des indications sur les raisons historiques passées qui animent
les
références présentes de messieurs Violante - fut-il un ancien
communiste, pourtant farouche acteur des lois d’urgence à propos de la
mafia, et quoique n’infirmant pas l’ellipse récente de l’attentat de Milan,
par exemple -, Spataro, non seulement " procureur adjoint à Milan " et
s’occupant " alors de terrorisme ", mais de surcroît accusateur comme
substitut du procureur au procès de Battisti par contumace -. Spataro, qui
ne pourrait donc ignorer les attentats et actions d’extrême droite
intriquant ensemble ou alternativement les responsabilités de la mafia, la
loge P2 (l’Opus dei) et du Vatican, de la démocratie chrétienne, et des
fractions de l’armée et de la police factieuses, adjoints à une puissance
étrangère, quand ce n’est pas directement le chef des services secrets,
lui-même sur place - lors de l’enlèvement de Aldo Moro, attribué aux seuls
Brigadistes -, et qui ensanglantèrent l’Italie jusqu’à 1980 ; je cite Carlo
Roccella ["Pour toi Cesare, que je ne connais pas et que j’ai peu lu
(désolé, le polar c’est pas mon truc (...)"] :

" ces dates, ces chiffres, ces bombes : 12 décembre ’69 Piazza Fontana 16
morts, 88 blessés ; 2 juillet ’70 train Freccia del Sud 9 morts 139 blessés
 ; 25 septembre ’70 assassinat de cinq anarchistes calabrais ; 28 mai ’74
Piazza della Loggia Brescia 8 morts 94 blessés ; 4 août ’74 train Italicus 12
morts 105 blessés ; 2 août ’80 gare de Bologna 85 morts 200 blessés, bombes
explosées toujours pendant des périodes de forte mobilisations populaire.
Sans compter les dizaines de jeunes militants tués par les fascistes et la
police pendant les manifestations, du Nord au Sud. " Je n’accepte pas que
Cesare Battisti soit remis aux autorités italiennes ; Lettre au comité de
soutien de Cesare Battisti, avril 2004.

J’ajoute Gianfranco Fini, actuel vice président du conseil des ministres,
moins prestigieusement secrétaire national du parti néo-fasciste MSI-DN de
1987 à 1990 et qui se trouvait spécialement dans les bureaux de la police à
Gênes, lors de la violente répression des altermondialistes. Son revirement
public sur la Shoah le sépare de la descendante de Mussolini (cadrée par
l’union de trois formations fascistes elle se présente aux prochaines
élections européennes), mais pas de la politique de monsieur Sharon ni de
celle de monsieur Bush, ce qui ne prouve rien de plus que sa désaffection
récente de l’antisémitisme.

Concernant les enjeux du thème " Battisti fait l’unanimité contre lui en
Italie ", sous-titre " Droite berlusconienne et opposition de gauche
accablent l’ex-membre des Prolétaires armés pour le communisme ", dans un
pays incapable d’envisager un concept politique de l’amnistie, mais
seulement pénal ou partisan tel que l’Italie le manifeste, il paraît peu
responsable pour un journaliste de citer les convictions aux belles
références d’anciens ou d’actuels membres de la justice, de la magistrature,
ou du gouvernement italiens, sans en référer à leur rôle passé dans la
guerre civile larvaire, puis dans la répression et les lois d’urgence ; car
leur point de vue contre Battisti ne pourrait en être indifférent.

Sachant les situations locales respectives européennes et la situation
communautaire elle-même, vues depuis la pression Etat-Unienne en demande de
contrôle de l’Europe, via les pays de l’OTAN les plus engagés dans le
conflit en Irak, et la poussant à légiférer en amont de la fondation
constitutionnelle, on peut envisager une tentative d’ingérence dans les
affaires françaises resituées par l’Europe, et notamment visible à travers
le comportement public de l’Etat Italien et solidaire du gouvernement
français, dans le cas de Cesare Battisti, pion sémiotique d’une stratégie de
la communication armée par les pouvoirs, tandis que les bombes en
Espagne explosèrent.

On décèle donc, sous le flux unitaire italien présenté par cet article, à
quel endroit se situeraient les déclarations publiques contre Battisti, en
pleine instruction de la demande d’extradition, donc sans respect des juges
français ce qui fut relayé par le ministre de la justice Perben lui-même à
la
télévision, avant les élections régionales ; celui-ci, en dépit du
déferlement électoral de la gauche, fut reconduit comme sa loi clonant la
loi italienne sur les repentis, au déni de notre tradition éthique et sans
que nous soyons l’objet d’un état d’exception déclaré, (comme au contraire
l’exigerait la convention de la 5e république) ; sa persistance, quoique
devenue silencieuse, laisse encore imaginer l’allégeance présidentielle
possible selon des accords secrets, qui seuls pourraient expliquer
l’acharnement du pouvoir à l’acte.

Pour conclure, l’article de monsieur Jozsef n’est pas davantage
éclairant sur les protagonistes des témoignages accablants contre Battisti.
Il est à remarquer, parmi le tout, un repenti et un idéologue des PACS. Où
se trouvent-ils : libres, sous condition de dissociation devant rentrer à la
prison chaque soir, toujours incarcérés ? D’ailleurs on ne sait pas si le
journaliste relate ses rencontres directes, ou celles qu’il a faites à la
Une de ses confrères... ou encore s’agit-il d’extraits des actes des procès
 ? De plus, il est à remarquer un mélange des protagonistes et des groupes
qui concourre au bûcher des PAC et de Battisti.

Le pire (Armando Spataro, le procureur - d’où sort-il ? est-il au téléphone
 ?) :
« Ils disposaient de beaucoup d’armes mais d’un bagage culturel assez faible
 ;
leur puissance de feu et leur capacité opérationnelle dépassaient
largement leur épaisseur idéologique. » Voilà : c’étaient moins que les
prolos,
le lumpen de la lutte armée, des anarcho-maos spontex de base (ça colle avec
George Habbache moins prescriptible que le Hamas) des "chtarbés", des ions
libres assez cons et d’ailleurs ils ont commencé par les prisons, repaires
de racaille, justement celle d’où il sortait et celle d’où il s’échappera
encore aidé par ses "potes" et sans se briser "L’astragale", une chance...
L’autre Albertine ce fut bref, Genet ce fut davantage.

Je ne sais pas ce que vont en penser les lecteurs de Libération, mais les
livres de Battisti me paraissent plus édifiants que ses témoins transalpins
et le journaliste qui, à force de vouloir traîner les PAC en abjection ou de
les révéler en folie finit par en faire des personnages fascinants : c’est
bien pourquoi il faudrait les enfermer - en un monde si résigné ou si
compromis qu’aujourd’hui - leur révolte "sans bagage" appliquée aux idéaux
politiques fut-ce en cavale pourrait donner envie de les imiter ?!...

Le repenti : chacun sait le peu de crédibilité possible à lui prêter et rien
qu’à lire ce qu’il est censé dire, on se le répète ; est-ce pour autant
qu’il soit si prolixe ? l’idéologue des PAC : comme un père initiatique
accablant son initié il définit les comportements de celui que sans doute il
commandait. On sait bien que les mains sales reviennent aux "hommes de main"
plutôt qu’aux hommes d’idées qui portent toute leur laideur dans la tête, on
l’imagine bien, là, d’où qu’ils aient laissé la loi des repentis leur laver
les cheveux, d’aveux en délation ; ici, disons plutôt les hommes "de poing"
et les hommes "de tête". Encore peut-on être homme de poing virant à l’homme
de pied courant vite sans avoir tué quiconque ou homme de tête ayant tué -
même pas par procuration, voyez Burroughs et plus tard Althusser. On n’a pas
enfermé l’assassin d’Evariste Gallois.

L’Italie est le pays du déni, le déni de la responsabilité criminelle de
membres liés à l’Etat dans la détérioration des années de plomb en dit long
sur celui de concéder de la pensée à ceux qui se levèrent contre le
déferlement putschiste et furent-ils organisés ou égarés ; c’est précisément
ce pays où Mussolini a pu enfermer Gramsci bien avant la guerre pendant une
vingtaine d’années de réclusion, mort en prison en 1937. Lui qui n’avait tué
personne, le conseilliste visionnaire et imprégné de la vision
pré-scientifique matérialiste de Vico, devait rester enfermé "jusqu’à ce
qu’il ne puisse plus penser". Autant dire jamais ou la mort... N’était-ce
pas là un épouvantable crime ? Monsieur Eric Jozsef, quel vil bourgeois vous
faites !

Combien de brigadistes déjà morts en prison, s’entretuant à cause des
repentis ? et les autres, tués par la police dans leurs lits ?

Monsieur Eric Jozsef, quel vil bourgeois vous faites !

Remerciements à Jean-Paul Sartre, Pierre Mandouze, Francis Jeanson, Germaine
Tillon, (etc...)

Aliette Guibert

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