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Platon, penseur de la mondialisation (zaz)

Publie le jeudi 31 janvier 2008 par Open-Publishing
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1. Introduction : Le Monde de la philosophie dans le Monde, désormais le vendredi

Il n’aura en aucun cas échappé aux plus attentifs d’entre vous que Le Monde ouvrait depuis la semaine dernière une nouvelle "rubrique" intitulée "Le Monde de la philosophie" : Chaque vendredi donc, en collaboration avec Flammarion, le Monde vous fournira pour 9,90 euro le texte d’un "grand philosophe". Vingt auteurs sont déjà programmés, ce qui n’est pas rien puisque le lecteur devra se boulotter son penseur ultra-supérieur en 7 jours pour passer ensuite aussi sec à un autre très gros "meuble". Ledit lecteur sera chaque fois aidé par une préface introductrice de Roger-Pol Droit (la première nous a paru très honorable) et un ou deux papiers incitateurs-provocateurs-soulignateurs-stimulateurs d’un moyen-grand philosophe contemporain. Il y a de l’admirable, il y a également de la gageure intellectuelle et commerciale dans cette initiative du Monde. Le Monde nous avait habitué à nous vendre de la grande musique, du DVD, que sais-je ? un jour il nous vendra probablement des spécialités de bières au titre légitime de la culture universelle, on va donc pas ici lui reprocher pour le moment sa vente présente de philosophie. La justification plus qu’honorable avancée d’ailleurs pour cette étonnante entreprise est que la philosophie pourrait nous aider tous à mieux comprendre le monde perturbé où nous vivons. Cet optimisme aussi nous paraît trognon. Bref, on se dit qu’il faudrait, nous, contribuer à animer, participer un peu. Quand on est de l’Ocséna, il semble bien qu’on ne puisse pas moins faire.

2. "Platon, penseur de la mondialisation", version Glucksmann (et aussi version Michaud si vous cherchez un peu)

Là cette fois pour commencer avec Platon, c’était André Glucksmann qui était de service, avec un titre qui en a d’abord surpris plus d’un : "Platon penseur de la mondialisation". En vérité, ça a énormément fait rire, mais gentiment, Yves Michaud dans Libé qui nous a donné à son tour un " Platon, la mondialisation et les 4X4" (On vous laisse le soin de retrouver ces textes, parce que nous on veut plus faire les brelles à afficher des trucs qui disparaissent ensuite, réservés aux abonnés ou à je ne sais qui, à telle ou telle condition laborieuse et très coquette.)

Glucksmann explique son titre par d’intenses similitudes selon lui entre l’ampleur merdique et cafouilleuse de la situation sociopolitique prévalant à l’époque de Platon (Guerre du Péloponnèse, déliquescence d’Athènes), et celle non moins exaltante prévalant à la nôtre. Ok, ok ! mais y a-il une leçon platonicienne à tranférer par dessus 25 siècles et qui pourrait être utile au 21ème ?

Si vous l’avez trouvée tout seul, bien grosse et claire, dans les 3 textes lisibles offerts gratos à votre sagacité première, à savoir Le banquet, Phédre et l’Apologie de Socrate, ben alors les amis, c’est qu’on vous avait sous-estimés ! Le texte de Platon, sans mots techniques et compliqués ne parle pas aussi facile que ça. Il y a pour cheminer proprement des interprétations historiques de Platon, sans doute discutables mais peu contournables pour vous aider à le lire. On supposera donc que préalablement vous aviez visité Wikipedia pour vous aider à le précomprendre, à défaut de Wiki vous vous étiez offert "La philosophie pour les nuls", lequel bouquin vous resservira plus de vingt fois. Donc vous aviez trouvé dans les commentateurs la théorie des Idées de Platon (qu’est déjà pas de la galette), vous aviez trouvé la dialectique ascendante et descendante, vous aviez trouvé enfin la politique de Platon.

Théorie de la connaissance de Platon, théorie politique du même costaud, les deux gros morceaux. Concernant le savoir à rechercher et dire, les textes de Platon font une porte large à la diversité des opinions. La plupart du temps (sinon toujours) ses dialogues ne concluent pas, et on ne sait trop parmi les interlocuteurs en affrontement qui est le véritable porte-parole du maître et s’il y en a un. Ceci a donné sans doute vie à la descendance sceptique du courant platonicien. Cela dit, aucun relativisme chez Platon, le Vrai n’est pas flottant, il n’est pas multiple, il est forcément univoque, le maître est mathématicien, raisonner se fait selon des voies imparables, "géométriques" : Il n’est ni possible de dire tout et son contraire, ni de dire n’importe quoi selon l’humeur. Cela a donné sans doute la descendance dogmatique du platonicisme (ou platonisme si vous voulez dire plus simple).

On est sûr en tout cas des ennemis que Platon se désignent à lui-même : ils sont de deux types, les sophistes et les poètes. les sophistes sont savants et très doués, les poètes (il s’agit des poètes à l’ancienne) sont conservateurs, récitatifs, et en ce sens, dans la partie à jouer, ce sont les cuistres nobles qui ont les valeurs pour eux.

Sur le plan politique les choses paraissent carrées et sans balancement possible, Platon est un aristo-aristo (sans doute un réac dirait-on aujourd’hui), qui tient la démocratie en mépris comme le gouvernement des rats crevés et des zéros sans éducation. Dans le truc de Platon, on ne peut donner la responsabilité des décisions qu’à ceux qui sont au plus haut de l’esprit, les meilleurs des meilleurs. Chez lui ce sont les philosophes, pas les énarques ni les HEC, mais c’est sans doute parce qu’il n’y avait pas eu à l’époque un Debré pour inventer l’ENA. Il va de soi que cette image droitière de Platon doit pas mal à la vision spécifique de Leo Strauss.

On pourra dire que la France républicaine est depuis plus de 200 ans complètement platonicienne, le grand recul de Platon en France c’est la suppression du concours d’entrée en sixième, sa permanence exotérique le maintien des classes préparatoires et des grandes écoles. La France veut être dirigée par Normale sup au minimum, un abrégé de lapin-grec vaudra toujours chez nous plus que le plus savant et talentueux des hommes, et d’abord parce qu’il n’y a pas de talent concevable en dehors de nos fameux grands concours. Voyez les réactions de ces derniers jours, la France ne pourra jamais admettre que Macdo puisse délivrer dans la carotte et la mayo un diplome équivalant au baccalauréat, seul un maudit anglais pouvait imaginer cela, pas Darcos inspecteur général de l’éducation nationale, accessoirement ministre UMP.

Cela étant exprimé, comment Platon peut-il être de près ou de loin tenu pour un penseur valide de la mondialisation ? Eh bien nous voyons deux cas où il faut peut-être l’appeler pour s’aider, même a contrario, à penser.

 Le premier cas c’est le développement du web, de l’open publishing, de la pensée nouvelle apparemment brownienne.
 Le deuxième, c’est derrière la profession de foi démocratique (il n’est de régime que le régime démocratique, et de légitimité démocratique que celle des parlements élus), c’est disions-nous derrière ce verbe tout le travail occulte pour s’en écarter, c’est toute la mission de la bonne gouvernance.

3. L’approche de l’Ocséna : Quid de Platon face à l’opinion s’agitant apparemment sur le web et face à la bonne gouvernance anti-démocratique de nos institutions.

Nous, ocsénistes, allons être courts sur cette partie qui reflète certes nos positions mais cherche à ouvrir un espace de discussion et ne se soucie guère d’asséner Sa vérité.

Le phénomène web,

le phénomène du e-publishing, constitue un phénomène récent, énorme, dont nous croyons qu’il deviendra à terme décisif sans toutefois qu’on puisse en voir aujourd’hui les figures possibles de demain. Si Platon ouvrait avec nous son ordinateur c’est sûr qu’il piquerait d’abord rapidement sa crise. Sans doute dirait-il comme tout le monde l’a fait, en tout cas les journaux récemment, mais qu’est-ce que ce merdier qui défie toutes les règles du journalisme ! (bavures, bobards, non vérification des sources, insultes, insultes, approximations miteuses, jeux de manche pré-ado, etc.) Tout tout tout ce qui est mauvais...

En même temps il faut bien le dire, il y a du bon, pas seulement parce que certains d’entre nous font de bons articles comme dans les journaux, mais parce que certains font des articles comme on ne fait pas du tout dans les journaux, et comme on n’apprend heureusement pas dans les écoles de journalistes et notamment à Sciences-po.

Pourquoi voit-on de plus en plus de gens, conscients du gros merdier web, qui disent ne plus lire pourtant que le web. Eh bien pour une raison simple, c’est que la référence journalistique (ils savent faire un article évidemment ceux-là) s’est déjà mille fois déhonorée en peu de temps. Nous leur disions aux grands journaux (que nous n’allons pas nommer par charité) qu’ils jouaient un jeu dangereux malgré leurs qualités en pondant d’atroces articles fayots, litigieux, pas réglos. Ah les articles sur Martine Aubry, dans le temps, Elisabeth Guigou, Jospin, ou récemment sur le beau Villepin, il a fallu se le faire dans la presse le beau harpiste Villepin. Tiens ça a recommencé, le procédé la semaine dernière, c’était pas pour Moscovici ?

La presse, y a plus rien à en dire, on le sait c’est fini. Et le web ? ben le web vit. On le lit même en s’énervant, le web n’est pas de la communication journalistique c’est de l’expression. De l’expression. S’étaient-ils exprimé les 4000 ans auparavant ? Pas tellement. Ils le font maintenant.

Trois hypothèses viennent à l’esprit : ca peut s’améliorer au niveau individuel des posteurs (why not !), ca peut s’améliorer au niveau des mécanismes de traitement de l’info qui semblent en douce se cogiter dans les "labos" (on en reparlera), ca peut signifier un changement de sens, de paradigme de la chose, totalement imprévisible (vous savez quand la masse y est qu’elle se dépasse, le changement quantitaif procure bien souvent un bond qualitatif).

Tenus enfermés dans la critique si longtemps, les hommes normaux c’est à dire les citoyens de rien ont beaucoup à rattraper, le pouvoir rend assurément très con, l’absence de pouvoir aussi.

Donc si nous étions platoniciens, voilà comment on se poserait sans doute les questions.

Ok, et sur le plan politique qu’est-ce qu’il faudrait dire avec Platon ?

Ben, forcément avec Platon, toute cette démocratie de l’individu, de la liberté égocentrique, solipsiste, égoiste de chacun, cette liberté de l’opinion statistique non qualifiée, doublée, renforcée de la nullité médiatique des chaînes et des radios, ca inquiéterait. Platon hausserait les épaules avec un deuxième mépris. Mais bon ! Platon serait rassuré en même temps, la gouvernance est le remède de la démocratie. On gouverne, on gouverne. Les sophistes députés ont le privilège de la loi sans discussion réel et le privilège d’un pognon éhonté. Vous avez pigé le coup du traité européen qui sera voté par le parlement. L’Europe qui fait tout pour vous et décide pour vous. Pourquoi se faire suer quand on peut faire soft sans se la compliquer.

La démocratie moderne, sa plaie, c’est le citoyen. Le remède on le connaît. La vraie démocratie, la libre, l’artisanale, la populaire, il n’y en a plus sans doute pour très longtemps.

Vous voyez que Platon nous a aidé à penser de près le monde moderne, les yeux ouverts.

PS : ah, j’oubliais de vous le dire, la semaine à venir, je crains bien qu’il nous faille se payer Aristote. Mais bon, ce n’est pas non plus de nature à nous faire peur

Cela dit, Alain Serge Clary vous salue bien

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Les Pensées zaz de l’Ocséna

Ocsena, Organisation contre le système-ENA... (et pour la démocratie avancée)
 http://ocsena.ouvaton.org

Messages

  • En France, nous avions, selon le mot de Serge Halimi, une remarquable presse de révérence

    En fait, vous avez pleinement compris la mentalité hexagonale quand vous avez compris que la question fondamentale n’y est pas qu’est-ce penser ? Mais qu’est-ce que poncer ? Pour poncer, chez nous, ça ponce énormément.