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Entreprise Italie : 400 000 enfants au travail

Publie le mercredi 21 avril 2004 par Open-Publishing

Ils sont 250 millions dans le monde, un enfant sur six. Mais dans notre pays aussi le travail des mineurs ne recule pas : c’est la faute à la misère, à l’interruption de l’école, à la dégradation sociale.
Une enquête de la CGIL étudie le phénomène sur le terrain et révèle la responsabilité du gouvernement

BEPPE MARCHETTI
ROMA

Ils ont les mains petites et rapides, les muscles ténus, les yeux vifs et un peu voilés par la fatigue. Ils sont dans les champs ou dans l’obscurité d’un sous-sol, en usine ou au fond d’une mine. Ils sont sales, parfois blessés, parlent avec difficulté. Beaucoup ne savent même pas ce qu’est une école. Ils travaillent : par nécessité ou contraints. Par les parents, dans le pire des cas. Ils sont 250 millions, dit l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ; mais l’estimation est très prudente, à revoir sûrement à la hausse. Tous les six enfants, dans le monde il y en a un qui travaille. En Afrique subsaharienne ils sont un sur trois. En Asie au moins 127 millions. Enfants comme Iqbal, qui était du Pakistan et à quatre ans a été vendu a un fabriquant de tapis. Enchaîné à un métier à tisser, à côté de lui le maigre confort de quelques enfants du même âge. Un jour Iqbal a connu un syndicaliste, il a découvert qu’il avait des droits. Il en a eu assez des chaînes et des métiers : il a commencé à étudier, il rêvait de devenir un avocat. Il était en train de courir en vélo, insouciant comme un enfant de 12 ans, quand on lui a tiré dessus. C’était le 16 avril 1995 : il y a neuf ans. Iqbal est devenu un symbole mais il a perdu la vie.

Ainsi à Iqbal, on a dédié des écoles, des associations, des mouvements. En Italie aussi, où le travail des mineurs existe et comment !. La CGIL l’a rappelé hier, en présentant une recherche réalisée par l’IRES (son centre de recherche). Les données syndicales ont été comparées avec celles de l’ISTAT (qui n’a commencé à s’occuper de travail des mineurs qu’en 2001) et dessinent une situation grave et peu connue : en Italie travaillent 400 000 enfants, entre 8% et 9% du total. Dans la moitié des cas, ils le font à plein temps (8 heures et plus) et gagnent de 200 à 500 euros par mois. L’anomalie de notre pays s’explique tout d’abord avec d’autres chiffres : en Italie 17% des enfants sont pauvres, 43% des jeunes n’ont pas le bac. Dans les deux cas c’est un record négatif en Europe.

Mais la recherche de la CGIL considère surtout les trois réalités métropolitaines de Milan, Rome et Naples. Villes extrêmement différentes, comme le note Anna Teselli, chercheuse de l’IRES. A Rome, par exemple, les mineurs au travail ont les traits d’enfants immigrés des pays de l’Est (souvent seuls, sans famille) : ils vivent dans la rue, ils lavent les vitres des voitures ou ils font la manche. Ou ceux des petits chinois, employés dans les micro-entreprises de famille. A Naples les mineurs sont italiens, occupés majoritairement à la maison. Ou pris dans l’étau des clans criminels du territoire, enlisés dans la micro-criminalité. A Milan, enfin, le risque qui prévaut est l’exclusion sociale des mineurs "fainéants" : c’est-à-dire ceux qui grandissent sans travailler ni étudier et se retrouvent à la marge. Ici aussi l’interruption de l’école est élevée : 28%. Souvent, en somme, on retrouve parmi les mineurs les dynamiques du monde des adultes. Mais en réalité chacune des histoires racontées par les chercheurs est individuelle. Et beaucoup d’entre elles méritent d’être racontées.

Veronica a 15 ans, depuis 8 ans elle a perdu son père. Elle vit à Naples, dans une maison bondée de gens : 15 personnes, entre frères, mère et parents. De cette maison, Veronica (le nom est faux) n’est jamais sortie jusqu’à 13 ans. Contrainte par les obligations familiales - elle est l’aînée, elle devait s’occuper de ses 11 frères, s’occuper de la maison - elle n’a pas pu aller à l’école. Elle a appris à lire et écrire toute seule, dans ses rares moments perdus.

Claudio a 12 ans, et lui y va, à l’école. Il vit à Rome : en cours il ne manque presque jamais, mais il ne fait pas ses devoirs. Un des professeurs comprend qu’il n’est pas un gamin comme tant d’autres. Il remarque ses mains toujours rouges, gercées. Il lui demande pourquoi. Claudio répond : "Je file un coup de mains à mon père, il a un restaurant". Il n’y voit rien de mal : c’est normal, pense-t-il. Même s’il passe des heures à faire la vaisselle, et les mains rouges sont le dernier des problèmes. Il n’arrive pas à étudier, il ne peut pas faire ses devoirs. D’une façon ou d’une autre il termine le collège, mais après il quitte l’école. Il ne peut pas continuer : il a des piles d’assiettes à laver.

Umberto n’aime pas du tout étudier. Il a 14 ans et à l’école il préfère l’usine de plastique où il travaille. "Je travaille beaucoup et je suis appliqué, fiable", explique-t-il avec une pointe d’orgueil. Il ne le fait pas par nécessité : sa famille n’est pas riche, mais elle n’aurait pas besoin de sa contribution. C’est un choix que le sien : il veut gagner de l’argent pour être autonome, avoir le portable et le scooter. Un jour, s’acheter une voiture, son vrai rêve. Il vit à Milan, et ce n’est peut-être pas un hasard.

Travail de mineurs et école, le lien est évident et étroit. C’est pourquoi hier les critiques de la CGIL ont surtout visé la réforme de l’éducation. "C’est incroyable - d’après le président de l’IRES, Agostino Megale - que la première chose faite par ce gouvernement ait été la diminution de la durée de l’école obligatoire". Et le secrétaire Guglielmo Epifani ajoute d’autres responsabilités à la charge du gouvernement : avoir répandu une situation de pauvreté et ne pas avoir combattu le travail au noir. "Ils nous ont expliqué -dit Epifani - que ce qui avait été fait jusque-là contre l’économie souterraine n’était pas bien, qu’il fallait tout changer. Et bien, on attend encore les premiers résultats". Contre le travail des mineurs la CGIL a préparé 15 propositions : "Nous les présenterons au gouvernement, s’il veut bien nous écouter. Sinon, nous parlerons à l’Union Européenne".

il manifesto - 15 avril 2004