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Fraude médiatique au Costa Rica

Publie le mercredi 6 février 2008 par Open-Publishing

Seuls trois points d’écart entre le « non » et le « oui » ont permis au Costa Rica de ratifier, lors du référendum du 7 octobre dernier, le traité de libre commerce (TLC) entre les Etats-Unis, l’Amérique centrale et la République dominicaine, connu sous le sigle anglais Cafta (Central American Free Trade Agreement). Il s’agit du dernier en date des accords commerciaux déjà approuvés entre les Etats-Unis et leurs voisins : en janvier 1994 avait été signé avec le Canada et le Mexique l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena). Ce fut ensuite le tour du Chili, du Panamá, d’autres pays d’Amérique centrale, de la République dominicaine (2004), du Pérou (2006) et de la Colombie (2007) (1).

Au début de 2007, tous les pays d’Amérique centrale avaient ratifié le Cafta par voie parlementaire, à l’exception du Costa Rica. Elu en février 2006, le président Oscar Arias (2), qui avait hérité du dossier de l’administration précédente, en fit l’un des axes de sa politique et envoya le traité à l’Assemblée législative pour ratification.

L’année commença par des arrangements entre les pouvoirs législatif et exécutif, brouillant la séparation censée exister entre eux. Le règlement de l’Assemblée fut réformé par une procédure spéciale afin d’accélérer l’approbation du TLC. Plusieurs groupes, associations, organisations non gouvernementales (ONG) et syndicats firent alors valoir que ce traité revenait à imposer un modèle de société. En janvier, un collectif de citoyens, la Convergence patriotique, saisit le Tribunal suprême électoral (TSE) pour qu’il convoque une consultation populaire après qu’eurent été collectées les signatures de 5 % des électeurs inscrits. Le 12 avril, le TSE fit droit à cette requête. Le jour suivant, le président Arias décida d’organiser lui-même un référendum par un décret que ratifia l’Assemblée ; ce qui lui permettait de faire l’économie de l’initiative populaire et de l’aval du TSE.

Le pays se retrouva coupé en deux. Dans l’Alliance pour le « oui » étaient réunis les milieux patronaux et les élites politiques, avec des députés de cinq partis : Parti de libération nationale, Parti de l’unité sociale-chrétienne, Mouvement libertarien (ultralibéraux) et deux autres petites formations. Le camp du « non » regroupait une multiplicité d’acteurs de la société civile, des députés du Parti d’action citoyenne et d’autres moins importants.

C’est par l’utilisation des moyens de l’Etat que le gouvernement plaça le « oui » dans une situation privilégiée. Le président et les députés firent campagne dans les communautés et les usines pour préconiser un vote favorable au traité. Dans le même temps, au mépris du droit constitutionnel garantissant la liberté de parole en chaire, un magistrat du TSE et une députée interpellèrent les responsables de l’université du Costa Rica au motif qu’ils auraient utilisé des fonds publics en faveur du « non ». De quoi dissiper toute illusion sur l’autonomie des universités vis-à-vis de l’Etat au Costa Rica...

Politique étrangère et politique intérieure se rejoignirent : cette fois, le président Arias joua la carte des républicains aux Etats-Unis. Pourtant, le mouvement pour le « non » ne fut jamais antiaméricain, et les sénateurs démocrates furent ses interlocuteurs du début à la fin. Sa campagne se fit sur les thèmes de la défense de l’environnement, de la souveraineté nationale et des institutions. Sa stratégie reposa sur la mise en place de comités patriotiques, sur des méthodes de communication innovantes grâce à l’utilisation des médias alternatifs, et sur le respect de la légalité.

La stratégie des partisans du « oui » était essentiellement basée sur l’instrumentalisation de la peur. Intitulé « Quelques actions urgentes pour dynamiser la campagne du “oui” au TLC », un mémorandum cosigné par le vice-président Kevin Casas et le député Fernando Sanchez, adressé au président de la République, dressa une liste de recommandations pour « stimuler la peur » : menaces de licenciement, assimilation du « non » à la personne du président vénézuélien Hugo Chávez, exclusivité de l’attribution de subventions publiques aux municipalités où le « oui » l’emporterait...

L’inégalité d’accès de chacun des deux camps aux médias fut énorme. Aussi bien la ligne éditoriale de la quasi-totalité des moyens d’information que la publicité encourageaient massivement le « oui ». Entre juin et septembre 2007, selon une étude universitaire, 94 % des messages de la presse écrite étaient en sa faveur, de même que 91 % des messages publicitaires à la télévision.

Le TSE fixa un plafond aux contributions personnelles des citoyens à la campagne, mais il n’en fixa aucun au budget de chacun des camps en présence. Il ne fit rien pour rétablir un minimum d’égalité entre eux, argumentant qu’il ne pouvait pas s’immiscer dans la vie des médias ni dans leur ligne éditoriale, au nom de la liberté de la presse. Il s’agissait là de la liberté des entreprises de presse, et non pas du droit à l’information des citoyens.

Le pire restait cependant à venir. Le TSE avait interdit toute propagande électorale le jour du scrutin et les quarante-huit heures le précédant. C’est le moment que choisirent les médias pour diffuser des déclarations de la représentante des Etats-Unis pour le commerce, Mme Susan Schwab, indiquant que, en cas de refus du TLC, le gouvernement américain n’accepterait pas d’en négocier une nouvelle mouture. La chaîne CNN en espagnol diffusa pratiquement en boucle un entretien en faveur du « oui ». Les partisans du « non », en raison de la trêve de soixante-douze heures décrétée par le TSE, ne purent dénoncer cette fraude médiatique devant les électeurs.

Avec une avance de 3 % seulement, la victoire du « oui » doit être relativisée par la disproportion des moyens mis en œuvre dans chacun des camps. Le mouvement en faveur du « non » reste organisé en comités patriotiques dotés d’une coordination nationale. A court terme, il va s’opposer aux projets de loi transposant les dispositions du TLC qui doivent impérativement être adoptés pour que Washington certifie que le Costa Rica remplit bien toutes ses obligations. A moyen terme, le défi à relever est l’élaboration d’un projet politique national en vue des élections de 2010.

Nora Garita.

(1) Concernant le Panamá, le Pérou et la Colombie, le traité n’a pas encore été ratifié par le Congrès américain.

(2) M. Arias a déjà été président du Costa Rica de 1986 à 1990. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 1987, pour son action en faveur d’une solution négociée aux conflits d’Amérique centrale (Guatemala, Nicaragua, Salvador).

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