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Hors statut, point de salut

Publie le samedi 24 avril 2004 par Open-Publishing

Nous sommes identifiés par le milieu académique de la recherche comme
"électrons libres de la recherche", "jeunes chercheurs" (quand bien même
nous avons passé la trentaine, approchons la quarantaine ou la
dépassons), plus communément chercheurs "hors statut" ou "en attente de
titularisation". Autant de qualificatifs pour désigner une espèce de
chercheurs sauvages en voie d’expansion, qui nous situent
systématiquement sur les marges de la recherche.

Aujourd’hui nous sommes des chercheurs en situation de survie dans un
système qui produit de la précarité et se garde sous le coude un vivier
de ressources humaines et de forces vives de recherche scientifiquement
reconnues mais non titularisées. Forces vives, actives et créatives,
nous revendiquons notre droit de cité.

La précarité, on le sait, ne date pas d’hier. Un ample mouvement de
solidarité a permis dans les années 70-80 de la résorber ponctuellement
par une intégration massive des chercheurs hors-statut présents dans les
laboratoires. Mais cette mesure n’a aucunement transformé le système de
production et de reproduction de la précarité qui, faute d’avoir été
remise en cause, ne cesse de s’accentuer.

La diversité de nos parcours crée une diversité des attentes qui toutes
convergent vers une exigence commune : chercheurs nous sommes, et c’est
en tant que tels que nous voulons être clairement reconnus. Jeunes ou
moins jeunes, débutants ou confirmés, de quoi est fait notre quotidien ?
Enseigner à l’université (parfois sous un prête-nom, parfois en demi ou
quart de poste) sans pouvoir bénéficier du chômage, ni de couverture
sociale. Rappelons qu’enseigner à l’université, à titre de vacataire,
impose d’avoir déjà un emploi principal (1000heures). Par conséquent,
l’université ne donne du travail qu’à ceux qui en ont déjà (du moins
officiellement).

Accepter les frais de mission en lieu et place de salaire ce qui nous
prive de couverture sociale et de droits au chômage comme à la retraite,
nous soustrayant ainsi au droit du travail.

Jongler entre les recherches contractuelles variablement rémunérées et
les inscriptions à l’ANPE, Assedic, RMI, et autres aides sociales…

Cumuler un plein-temps de chercheur à titre bénévole et un travail
alimentaire.

Aujourd’hui, les mesures et plans gouvernementaux qui se sont succédé
pour aménager la recherche produisent cette aberration inacceptable au
nom d’une supposée "excellence" qui ne dit pas ce qu’elle est. Alors
même que le nombre de postes ne cesse de diminuer, on observe
l’abaissement constant de la limite d’âge pour se présenter aux concours
de recrutement. Or, comment concilier, en particulier dans les SHS, la
nécessaire accumulation d’expérience et de capital culturel, avec cette
inquiétante norme du jeunisme ? En outre, ces conditions d’âge sont
avant tout l’instrument d’une sélection sociale puisqu’elles écartent
les postulants chercheurs qui ont dû (et doivent) travailler pour
financer leurs études sans pouvoir s’appuyer sur un quota de bourses
d’études universitaires de plus en plus réduit.

A l’issu du diplôme de doctorat, nous sommes confrontés aux restrictions
des conditions d’accès (par l’âge) aux bourses de recherche ainsi que de
leur nombre et à la réduction du nombre de postes.

Il en résulte une dilatation du temps d’attente d’un poste, période
durant laquelle le chercheur diplômé, désireux d’exercer son métier, est
piégé. Il se retrouve face à une double nécessité : assumer à temps
plein une activité de chercheur (recherche, publication, colloque…) sans
en avoir ni les émoluments ni les privilèges tout en devant faire face
au quotidien. Majoritairement docteur dans nos spécialités respectives,
nous sommes ainsi devenus des experts de la "double vie". Certains
d’entre nous parviennent, au coup par coup, à vivre décemment de bourses
généralement étrangères, de recherches contractuelles. Dans ce cas, il
n’en reste pas moins que les chercheurs non titulaires se retrouvent
côte à côte avec les chercheurs titulaires lorsqu’il s’agit de répondre
à des appels d’offres (ce qui nous oblige à réviser à la baisse nos
budgets). Voici le singulier et inquiétant portrait du chercheur précaire.

Aujourd’hui, cette logique que nous dénonçons contamine le dernier pré
carré de la recherche scientifique publique en touchant de plein fouet
les sciences dites exactes. Il n’est pas trop tard pour réaliser que le
problème ne se résoudra pas avec l’obtention de quelque 550 postes, et
avec une simple restitution des budgets. Ce n’est pas en fermant les
yeux sur notre existence ou en nous concoctant un statut de hors-statut
ou en envisageant de nous affecter à des emplois périphériques que le
problème sera résolu mais bien en ayant une vue panoramique du paysage
de la recherche. C’est bien en prenant conscience que la précarisation
de la recherche n’est pas une menace à venir mais une réalité déjà bien
établie.

Quelles sont les perspectives du chercheur hors de la fonction publique
dans l’impossibilité de recruter ceux qu’elle forme ? Faut-il que
celle-ci accepte de se plier aux restrictions budgétaires ou choisisse
le développement "durable" de toutes ses forces créatives ? Que nous
souhaitions exercer nos compétences en dehors ou dans la fonction
publique, nous demandons :

un état des lieux de la recherche précaire en France,
l’intégration dans les organismes de recherche de tous les chercheurs
hors-statut qui en feront la demande.

Et nous exigeons :

la reconnaissance de notre identité professionnelle par la création d’un
statut unifié de chercheur qui assure la garantie pérenne pour tous de
la continuité des droits sociaux et des revenus et le libre accès aux
outils de travail ;
un droit au travail, si et seulement si, il s’agit d’un travail de
chercheur.

Mouvement Chercheurs Précaires,
Antenne parisienne, 23 avril 2004