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CHOMDU 12

Publie le dimanche 17 février 2008 par Open-Publishing

de P’tit Nico

C’est sûr qu’avec tout’ cette lumière dans la figure, j’dis, c’est pas pourquoi "l’peuple" y s’révolte la question, c’est
comment y’en a qui ont encore l’courage d’s’révolter. Parce qu’avec tout’s ces trempes, « nulle époque du passé ne fut
aussi cruelle, aussi implacable, aussi cynique que la nôtre » qu’y dit l’camarade Trotski, qu’lui y l’a mêm’ pas connu "la"
bombe qu’a montré à tous les "l’peuple" d’la terre c’qu’y prendraient sur la gueule s’y buvaient pas l’Coca des américains
défenseurs d’la liberté des américains, la guerre "froide" et les belles images des missiles tellement intelligents qu’on
dirait l’feu d’artifice à la télévision d’not’ président comm’ pour son anniversaire.

Ouais, y dit Fred, et le XXIème siècle y l’est bien parti pour gagner l’concours maintenant qu’y a la lumière d’la
Démocratie et du Progrès du commerce et d’l’industrie partout.
Et pourtant y a eu plein d’grèves très dures à la fin du XIXe siècle et à la première moitié du vingtième y raconte mon
ancien délégué syndical CGT.

Avec des morts d’pauvres qu’la police qu’c’est des prolos aussi d’après l’Con-Bendit ell’
avait pas appris à pas trop tuer les gens comm’ aujourd’hui qu’ça fait pas plaisir au p’tit bourgeois nouveau qu’aime pas
la violence et le sang sauf avec Nitendo. Sauf quand y z’en tuent quand mêm’, y dit Djamel, mais là c’est’ un’ bavure, ça
compte pas parce qu’c’est qu’ « la trace que les joints d’un moule laissent sur l’objet moulé » qu’y dit l’dictionnaire qui
sait qu’on peut pas faire d’moule sans casser un oeuf.

Et l’bourgeois y l’en casse des oeufs sur la gueule d’l’ouvrier, tellement y l’a peur d’voir qu’malgré les massacres d’la
commune, les déportations au bagne, les gaz dans la gueule d’la "grande" guerre, l’prolo y continue toujours à s’battre
pour un monde meilleur pour lui vu qu’l’avenir radieux pour lui c’est d’savoir si pourra bouffer l’demain. Alors
l’bourgeois y l’a aussi appris la magie pour faire disparaître la classe ouvrière tout en gardant les ouvriers vu qu’y l’en a
besoin pour s’faire élever plus haut qu’son cul. Qu’mêm’ y l’a appris ça du Roi Soleil qu’a inventé la lumière absolue qui
cache la dictature.

« Ainsi, c’est par la volonté du prince qu’une collectivité existe, et le corps de ce souverain contient le peuple », y
raconte m’sieur Blanquart qu’est sociopathe qu’ell’dit la soeur à Polo qui s’dépêche d’faire d’la philosophie amour d’la
sagesse avant qu’not’ président y la supprime d’l’école d’l’peuple vu qu’l’peuple y l’a pas besoin d’s’poser d’questions pour
écouter chanter Carla.

« La guerre joue en conséquence un rôle primordial dans l’affirmation de ce nouveau pouvoir royal, y continue m’sieur
Blanquart, elle est l’acte par lequel le corps du souverain s’établit et s’étend. (...)

On comprend que se soient effondrées (les anciennes) façons de penser lorsque, dans l’expérience liée aux
transformations de la guerre, la technique se découvre fabricatrice du monde en même temps que savoir théorique sur
celui-ci. (...). Dans les arts mécaniques, tout comme sur les champs de bataille, l’artisan passe alors la main à
l’ingénieur, en même temps que, de « naturelle », la philosophie devient « mécanique ». Car l’ingénieur est un fabricant,
un producteur, et pourtant il connaît, d’un savoir théorique. (...) Le mot physique en change de sens, de contenu : il ne
recouvre plus la connaissance contemplative » d’une nature déjà là, mais une science efficace qui découvre les lois
d’une nature-machine par le recours à l’artifice. (...). Les inventeurs sont des savants, et les savants sont les nouveaux
philosophes. (…) en détrônant la vieille physique, la mécanique réordonne autour d’elle la philosophie. Et cette
substitution en entraîne une autre : le remplacement de l’ancien organon de la philosophie, c’est-à-dire la logique, par un
nouveau, la science des mesures, c’est-à-dire les mathématiques. (...) ;

Cet espace des militaires est également celui des peintres et architectes du Quattrocento italien. En même temps que le
télescope et le microscope améliorent la vision, la perception se modifie, se double de calculs, de projections : l’oeil voit
géométriquement. (…) Avec Brunelleschi, on passe d’une représentation morcelée de l’espace à une représentation
unitaire et ouverte sur l’infini. (…) C’est le règne de la perspective, avec la loi du point de vue unique et celle du
rassemblement des parallèles à l’infini. (…). Alberti, autre architecte florentin, formulera la théorie systématique de ces
recherches : la forme plastique est une représentation séparée de toute matière. Contrairement à l’art ancien qui reposait
sur la sensation empirique de la nature, celui du Quattrocento est une construction mathématique de la nature (et ce
n’est plus la même), la création d’un espace qui n’est pas une chose, consistante en elle-même, mais une réalité
artificielle, comme une grande mise en scène qui fait du monde un théâtre : le théâtre d’une puissance humaine qui le
construit et l’organise. Les peintres de l’époque classique représentent souvent le prince, puissance politique et
militaire, au sommet d’une butte : son oeil équipé d’une lunette, il regarde ses troupes avancer dans la plaine, et ainsi
faire le territoire.

Au début du XVIIIe siècle, la monarchie française demandera à Cassini de dresser une carte de
l’ensemble du royaume, qui permettrait de le tenir d’un coup sous le regard d’un seul. En procédant par triangulation,
Cassini inaugure les cartes que l’on appellera plus tard, significativement, d’ « état-major ». Roi, géométrie, force
militaire, ces termes forment système, accouchant d’un nouvel espace.
La puissance se donnant en spectacle, comme au théâtre : telle est bien la ville royale issue de cette matrice. (…)
C’est dans un tel contexte que Descartes pense : il va prendre acte de la nouvelle image du monde qui le sous-tend. Il va
surtout construire la théorie de l’homme correspondant à cet espace. (...). En biologie, les vivants sont traités comme les
automates. L’animal est machine. Le corps de l’homme l’est aussi : une machine hydraulique, comme celle qu’on peut
voir dans les jardins du roi, parcourue de tuyaux où circulent en permanence des fluides. Le système sanguin, les nerfs
au long desquels se déplacent les « esprits animaux » (petits corps agités qui, en allant du cerveau à la périphérie,
provoquent les mouvements des membres) font que tout, dans le corps humain, s’explique par des actions mécaniques
de traction, de pression, de gonflement. Explication d’un ingénieur.

C’est que l’homme fait partie de cette nouvelle nature. (...). Et de manière éminente, puisqu’il connaît les lois de la
grande mécanique. En position d’ingénieur, justement, c’est-à-dire de « maître et possesseur » de cette nature. Comme
Vauban nivelant le sol pour le refaçonner suivant sa volonté et sa raison géométrique abstraite. La nouvelle science est
inséparablement une pratique de conquête de l’environnement, pour laquelle la nature est un capital à exploiter : la voie
est ouverte à une économie conçue comme étant cette exploitation elle-même sans fin, la technosphère se substitue à la
biosphère.

Dualisme : d’un côté l’homme-sujet, de l’autre l’homme-objet. Comment dès lors concevoir un lien en l’homme entre
ces deux substances, demande à notre philosophe la princesse Elisabeth de Bohême ? Ce qui revient à cette question : y
a-t-il une morale possible, et laquelle ? Les réponses apportées sont bien peu convaincantes et pourtant significatives.
Car s’en dégage le sentiment que Descartes ne peut aller plus loin que sa « morale par provision », telle qu’il l’avait
décrite dès le Discours de la méthode : obéir aux lois et coutumes du pays où l’on se trouve, se gouverner suivant les
opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès, se vaincre soi-même plutôt que la fortune, changer ses
désirs plutôt que l’ordre du monde.

Quel bel idéologue le roi a trouvé là !
Se soumettre aux coutumes et à l’ordre du monde, alors qu’on a détruit l’univers traditionnel et hiérarchisé ? (...) Quel
mystère se cache donc sous cette contradiction ? C’est qu’il y a des hommes-corps qui sont de l’étendue, et des hommessujets
qui pensent. Ou encore, ambivalence du mot sujet, des sujets assujettis et des sujets sources d’action. Dualisme
philosophique, dualité sociale. Retournons à Paris, ce 26 août 1660, où le jeune roi et l’infante font leur entrée : il y a
d’un côté ceux qui défilent et que l’on met en scène, de l’autre ceux dont on ne dit rien et qui regardent. D’une part, les
sujets du pouvoir, qui l’exercent ; de l’autre, ceux qui en sont l’objet, sur lesquels il s’applique. (...).

Aplatissement aussi de l’humain, comme il en est du territoire, sous le regard uniformisant de cette raison et sous la
volonté machiniste et artificialisante qu’elle équipe : l’élite dominante n’est faite que de techno-ingénieurs, exerçant leur
talent sur un peuple qui n’est qu’objet voué à être façonné, lui aussi géométriquement, comme un jardin « à la française
 ». (…) Agressive à l’égard de la nature, coupant la subjectivité du corps-machine, la nouvelle science (donc la politique
qui s’en sert) se réduit à l’exploration exclusive (donc à la réalisation exclusive) des moyens de la vitesse, de la
domination et de la quantité. (...).

La Révolution a pu couper la tête du roi, la République jacobine s’est logée dans ses bâtiments matériels et intellectuels.
« Libres comme les sujets du Roi en France », disait-on alors, en une expression qui jouait admirablement de
l’ambivalence du mot « sujet » : n’y est-on pas aujourd’hui citoyens par l’État, comme on était à cette époque individus
grâce au roi et sous lui ? Il en résulte que l’organisation de la société y est de type techno-administratif. Méthode de
pouvoir qui aplatit, découpe, quadrille les populations, comme Vauban le faisait avec « le pré carré » homogénéisé. Les
préfets n’ont fait que succéder aux intendants dans une même tâche, celle d’appliquer en quelque lieu que ce soit les
mêmes règles, définies par le centre. Le sujet moderne n’intériorise plus, comme le faisait son aïeul de la Grèce
ancienne, l’ordre cosmique pour y adapter sa conduite : il fait sienne la norme qu’est le pouvoir. (...) Il s’agit bien d’une
identité, au sens de « mêmeté ». Tous libres et égaux, dira la Révolution française. Mais si être égaux signifie être
identiques, la liberté risque fort de n’être que celle d’un pouvoir ingénieur, imposant ses dessins et desseins, au nom
d’une science qu’il détient, à ceux qui sont en dessous : on retrouve le clivage, ô combien actuel, entre élite et peuple. »

Voilà, y dit Fred, l’Roi-Soleil y s’faisait mettre la lumière d’ses journalistes-larbins sur ses guerres, ses costumes et ses
maîtresses pendant qu’dans l’ombre m’sieur Colbert y "modernisait" la France, y commençait l’élevage industriel des
savants-ingénieurs dans l’Académie royale des Sciences et l’exploitation scientifique des pauvres dans les manufactures
et les grands travaux.

C’est qu’m’sieur « Jean-Baptiste Colbert se situe dans la tradition de Charlemagne, ell’ dit m’dame Bierre qu’aime bien
Colbert et "mon général", qu’y dit mon ancien délégué syndical CGT. Charlemagne, l’homme qui, inspiré par La Cité de
Dieu de Saint Augustin, a donné naissance à l’Europe civilisée. Transformation de la nature à travers les sciences et les
arts, édification de villes, éducation pour l’ensemble de la population, voici les grandes lignes de ce grand dessein de
Charlemagne qui, à travers les siècles, animera tout particulièrement l’Etat-nation France, dont le général Charles de
Gaulle fut le dernier colbertiste en date. (...) Cette pensée affirme que l’homme est fait à l’image de Dieu car sa capacité
de créer des idées nouvelles est le reflet de la capacité de création divine. Cette capacité de créer est un magnifique
cadeau à l’homme mais la Genèse lui rappelle qu’il a aussi l’obligation morale d’utiliser ses dons pour peupler et
maîtriser la terre. L’homme doit donc utiliser ses pouvoirs créateurs, que lui seul possède, pour garder et embellir
l’oeuvre de la création : il doit être le jardinier du monde. De ce point de vue, rien dans la création ne doit rester stérile
et aride ; nous devons tout soigner, rendre productif, améliorer. C’est là le véritable secret de cette conception de
l’économie. »

« Multipliez-vous, peuplez et dominez la terre »
« L’Académie, avec son orientation vers l’ingénierie et la résolution de problèmes concrets de la nation, se situe dans le
droit fil du développement de toute une classe de gens pendant la Renaissance, baptisés les Ingénieurs du Roi. Ce sont
en effet des ingénieurs qui, au service du Roi, étaient le plus souvent affectés à la construction de fortifications et autres
ouvrages militaires. De cette tradition se développera le concept de « génie civil », le corps d’ingénieurs de l’armée. »
« Soucieux de créer la « société du travail » à laquelle il rêvait de mobiliser par tous les moyens les oisifs, Colbert
procéda d’un même mouvement au grand « renfermement » des pauvres et des vagabonds, condamnés au travail forcé
dans tous les hôpitaux généraux de France, et à la rédaction pour les « manufactures royales » de réglements d’ateliers
draconiens, qui se perpétueront jusqu’à la Révolution. » y rajoute m’sieur Léon.

Et nous, y dit Djamel, on, a "les écoles d’la deuxième chance" avec les militaires comm’ dans les colonies pénitencières
pour les enfants où c’étaient l’éducation du coup d’pied au cul qui tue qu’y t’faisaient les soldats d’Napoléon, qu’est l’frère
d’not’ président, ça doit être pour ça qu’y copie, on est toujours jaloux d’son frère.

La magie d’la lumière, c’est l’mêm’ principe qu’m’sieur Leclerc y l’utilise dans son hangar à marchandises ou dans les
villes qu’y brillent, y dit Polo. Parce que la lumière ell’ éclaire un endroit et fait l’noir autour. En plus ell’ t’éblouit et tu
vois pus l’pauvre qu’y meurt d’froid au coin d’l’immeuble. L’problème c’est qu’c’est jamais toi qui tient l’projecteur pour
décider c’qu’la lumière elle’ doit montrer, qu’y dit Polo. C’est pour ça qu’m’sieur Voltaire y disait que « sur le continent,
des despotes éclairés, décident pour le mieux du bonheur de leurs sujets ; le commerce se développe et les échanges se
multiplient ; la justice se fait moins barbare », mais qu’ « on n’a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes
 ».

Et quand les philosophages y z’ont allumé à fond les Lumières d’la Liberté du Progrès d’leurs idées d’"l’peuple", c’est sûr
qu’y z’ont oublié d’éclairer les ouvriers, y dit Fred. Faut dire, y dit mon ancien délégué syndical CGT, qu’on les a bien
cachés dans les fabriques, les mines et les pénitenciers, l’ouvrier, l’ouvrière et l’n’enfant ouvrier. Qu’on leur a pas donné
l’choix avec « la discipline de la faim » comm’ y disait m’sieur Adam Smith, qu’c’est une fonction "fixatrice" d’la misère
comm’ l’écrit m’sieur Buchez en parlant d’l’existence des hommes nés « nus de tout héritage », qu’y racontent m’sieur
Murard et m’sieur Zylberman qui connaissent bien l’petit travailleur infatigable d’la mine : « ...presque dès leur premier
jour, il faut qu’ils travaillent ; ils sont destinés à exister dans une seule pensée, celle d’éviter la faim : attachés au sol
comme des polypes, là où ils viennent au monde, ils travaillent et meurent... Lorsqu’ils manquent un jour de travail, c’est
un jour de jêune qu’il leur faut subir. Ils se donnent donc à quelque prix que ce soit, de sorte que ces malheureux luttent
entre eux à qui sera employé, et leur moyen, c’est de s’offrir au plus bas prix possible ».

Les cons ! qu’y dit Djamel en débouchant un’ bière. C’est comm’ avec l’travailler plus pour gagner plus qu’y nous donne
not’ président, sauf qu’nous c’est pour not’ pouvoir d’acheter l’téléphone portable pour qu’on ait pas l’air idiot dans la rue
à parler tout seul aux étoiles.
C’est qu’l’pauvre y l’avait pas trop l’choix entre aller mourir à la mine plutôt qu’à la guerre qu’c’est un bon moyen aussi
d’l’cacher sous la terre, y dit mon ancien délégué syndical CGT.
« Un voyageur anglais, y raconte l’abbé Prévot, étant en Suède, occupé à la recherche de tout ce qui appartient aux
fossiles, voulut connaître par ses propres yeux ces demeures souterraines... il descendit dans la mine la plus célèbre à
l’aide d’une machine. Il trouva comme il s’y attendait des assemblées nombreuses de l’un et l’autre sexe mais dans un
état moins florissant qu’il se l’était figuré. L’image de la plus affreuse misère s’y offrait de toute parts. Les habits, les
trous auxquels ilentendait donner le nom de maison, les aliments, tout y ressentait l’horreur d’une profonde prison. Aussi
la tristesse et la pâleur étaient-elles peintes sur tous les visages. »
Mêm’ les paysans, y dit l’pote Marx y vivait sous la terre. « La propriété parcellaire à laquelle son développement
impose inévitablement un état d’esclavage à l’égard du capital a transformé la masse de la nation française en
troglodytes. Seize millions de paysans habitent dans des cavernes dont un grand nombre ne possèdent qu’une seuloe
ouverture. »

Pourtant, y continue mon ancien délégué syndical CGT, ça pas été facile quand même d’obliger l’pauvre d’aller vivre
sous la terre.

« D’abord on s’adressa aux provinces les plus pauvres de France comme à la Bretagne. Les colonies de Bretons sont
multiples dans notre pays minier, mais ce recrutement fut insuffisant. La belgique, ce formidable réservoir d’hommes
pour nos entreprises agricoles et industrielles apporta son formidable contingent. Ce n’était pas encore assez. Alors les
Compagnies s’adressèrent par-delà les monts, par -delà les mers, à toutes les races pauvres et malheureuses qui, à l’instar
des lapins ont multiplié leurs rejetons, sans souci de la possibilité de les nourrir. Et les Allemands et les Italiens, les
Espagnols, arrivèrent de leurs contrées sans fortune vers nos plaines noires du nord et du Pas-de-Calais, où la mine les
dévora. Le métier de marchand d’homme prit un développement inattendu. Ces marchands d’hommes se tinrent à l’affût
de tous les déracinés... » qu’y l’écrivait Le réveil du Nord, un journal du coin.

C’est qu’y voulait pas trop y aller dans les manufatures ou à la mine, l’ouvrier qu’est feignant et qu’aime bien la
guinguette au bord de l’eau. Parce que, comm’y raconte l’pote Marx : « Bien loin que ce soit l’entretien normal de la force
de travail qui serve de règle pour la limitation de la journée de travail, c’est au contraire la plus grande dépense possible
par jour, si violente et si pénible qu’elle soit, qui règle la mesure du temps de répit pour l’ouvrier. Le capital ne s’inquiète
point de la durée de la force de travail. Ce qui l’intéresse, c’est le maximum qui peut être dépensé en une journée. (...)
Les travailleurs soumis à un travail excessif meurent avec une rapidité surprenante ; mais les places de ceux qui
périssent sont aussitôt remplies de nouveau, et un changement fréquent des personnes ne produit aucune modification
sur la scène ».

Moi, j’dis qu’l’ouvrier ça doit être une p’tite nature parce qu’not’ président et ses amis du commerce et de l’industrie et
d’la philosophie y disent que eux y travaillent plus de trente cinq heures et pourtant y meurent toujours très vieux.
« "Languissant et énervé" dans les filatures vosgiennes, "usé... déformé" dans la métallurgie parisienne, "chétif,
malingre, énervé" encore à Castres, l’ouvrier des manufactures porte les stigmates de la dégénérescence. Les canuts
lyonnais ? "Des petits bonshommes rabougris, les jambes cagneuses". Les ouvriers lillois ? "Des individus pâles,
maigres, à la chair molle et flasque, estropiés de toutes les manières". Quant aux enfants croisés dans les rues ouvrières,
ce sont de petits vieillards "ridés, mous, flasques, édentés, au ventre proéminent et dur, à la poitrine en carène de
vaisseau, dont l’ossature fait saillie, les jambes grêles, le rictus douloureux". Non, vraiment cette population n’est pas
belle » y racontent m’sieur Murard et m’sieur Zylberman, qu’on dirait qu’y parlent des bidonvilles du monde
d’aujourd’hui. Heureusement qu’en plus, les psycholopathes y z’avaient pas encore inventé la dépression, y dit Afid qu’à
toujours le mot pour rire d’la misère du monde. On les avait pas encore inventé eux non plus, ell’ dit la soeur à Polo qui
suit ces choses.

En fait, y répond mon ancien délégué syndical CGT, m’sieur Pierrard y raconte que « dans les manufactures s’étale un
"véritable dédain de l’espèce humaine" au point qu’à Lille, en 1858, une note de police convient que les ouvriers sont
traité en "chair à mécanique" ».
Ouais, qu’y dit Fred, avant, l’inquisition ell’ torturait l’corps pour sauver l’âme, après les Lumières, l’capitaliste y t’fait
l’tripalium sans rien sauver du tout. C’est ça l’progrès d’la torture.
En plus, « le XIXème siècle, y disent m’sieur Murard et m’sieur Zylberman, c’est l’âge de la mise au travail ponctuée
d’une hésitation entre l’enfermement et la surveillance, le cloître industriel et la cité disciplinaire... Voici en effet que la
fixation sur le lieu de travail, entreprise majeure de ce temps, prend l’allure d’une séquestration. » « L’usine
explicitement s’apparente au couvent, à la forteresse, à une ville close » y rajoute m’sieur Foucault. « C’est comme un
système nouveau d’organisation du travail qui a grandi, s’est fortifié, s’est propagé... » qu’y dit m’sieur Leroy-Baulieu
tout content. « Ainsi, c’est par centaines que l’on compte aujourd’hui (1872) dans le midi de la France des
manufactures-internats... ». « C’est toute la vie de travail – les règlements d’usine comme ceux des cités – qui est
imprégnée d’un caractère claustral : "conserver nos ouvriers près de nous", "avoir notre monde sous la main"... ces
thèmes, dans leur récurrence, filent la trame d’un délire de l’internement. »

Et not’ président qui met tout l’monde en prison, tu crois qu’y délire aussi ? y s’inquiète Afid. P’têt’ qu’y l’a pris trop
d’lumières dans la gueule avec tous les photographes larbins qu’y font qu’l’embêter. Comm’ ell’ dit ma grand-mère qu’a
bon pied bon oeil, au royaume d’l’aveugle l’borgne y l’est roi.
Mon ancien délégué syndical CGT, y dit qu’si l’bourgeois y l’a fait enfermer l’ouvrier, c’est pour fabriquer l’homme
nouveau prolétaire pour qu’y puisse mieux faire son élevage d’riches .
Comm’ y z’expliquent m’sieur Murard et m’sieur Zylberman : « Mesure-t-on l’extrême jeunesse des houilleurs ? Sur les
10 000 ouvriers que compte en 1848 le bassin du nord, près de la moitié (plus de la moitié à Anzin) sont des enfants de
10 à 15 ans ou des adolescents de 15 à 20 ans – en 1872, le chiffre des moins de 20 ans sera encore supérieur au tiers
des effectifs. (...) Partout au XIX éme siècle, des mines au textile, la préférence est donné au travail féminin et à celui
des jeunes ; "en 1839, moins du quart des ouvriers d’usine britannique sont des hommes, près de la moitié étaient âgés de
moins de dix-huit ans". (...). L’usine moderne est née de la mise au travail forcé des enfants, et la discipline d’entreprise
de leur mise au pas. Est-ce là le fruit d’une logique économique ? D’un choix ? Ou bien plutôt d’une absence de choix ?
Car quel autre groupe pouvait alors faire l’objet d’un dressage ? (...).

Car ce dressage est une pédagogie. Dirigé vers l’enfant, il entend par l’inculcation de gestes et de postures mille fois
répétés, briser les caractéristiques anciennes de la force de travail et former une espèce nouvelle d’ouvriers.
"Incomparable apparaît encore ici l’action formatrice de l’éducation, lorsque surtout elle repose sur des habitudes
héréditaires". Imprimer de telles habitudes, c’est là la tâche dévolue à l’ingénieur... que l’on décrit comme "le
commissaire de police et le juge de paix de la mine" (qui) occupe une place similaire à celle du chef d’atelier dans
l’usine moderne, (en même temps) que disparaît ce personnage central de Germinal, le piqueur, dorénavant morcellé en
une pléïade de nouveaux ouvriers. »
« Ville-stock, ville-réservoir, la cité minière dans sa forme achevée entend assurer l’autoreproduction indéfiniment
élargie d’une main-d’oeuvre héréditaire, fixée à la mine depuis plusieurs générations... "Littéralement la Compagnie
prend l’ouvrier au berceau et le conduit jusqu’à la tombe... C’est par l’enfant qu’elle commence" ».

« À l’heure où les cités minières mettent au travail enfants, jeunes filles et femmes pour les en retirer bientôt sitôt
forgée l’hérédité du stock humain, à l’heure encore où elles prennent d’autorité le gouvernement des familles aux fins
d’une politique nataliste et, dans le même temps, érigent le célibataire au statut d’indésirable, d’ennemi numéro un, les
écrits de ce temps font preuve d’une curieuse myopie. Ne voit-on pas que ces mesures éparses forment un puzzle,
qu’elles s’assemblent comme les mille fils d’un unique écheveau, et s’ordonnent dans une commune exigence, celle de
l’émergence de la cité ouvrière comme espace fécond ? Ne discerne-t-on pas l’unité de ce cheminement souterrain qui, à
travers un certain usage des corps, des classes d’âge et des sexes, sépare le bon grain de l’ivraie, sélectionne le bon
ouvrier, c’est-à-dire "l’ouvrier rangé, laborieux, père de famille", et rejette le célibataire, cette "anomalie sociale" ?
Mais ici attention au concept de sélection et à ce qu’il laisse supposer de choix ! On sait en effet que Darwin, très proche
des éleveurs au sein de la Société anglaise de Zoologie, use précisément de ce terme par analogie avec la domestication
animale. Canguilhem, croyons-nous, remet les choses à leur place en nous donnant cette clé : "La sélection n’est qu’un
criblage, mais le crible n’est pas ici un instrument et ce qu’il laisse passer n’était pas, à l’avance, jugé plus précieux que
la criblure."

Qu’est-ce à dire ? À nos yeux, ceci : qui dit sélection dit guerre à l’intentionnalité. La sélection n’est pas une
normalisation, au sens où celle-ci postule l’antériorité de la norme, mais un procès d’adaptation, sans sujet et sans
intentionnalité, une "histoire sans dénouement anticipé", comme le dit encore Canguilhem. La ville minière - pour
reprendre une expression de F. Jacob évoquant une sélection "inconsciente" – "conserve à chaque génération ceux des
individus qui lui sont le plus utiles ou qui lui plaisent le mieux" ; à la façon d’un Jugement dernier, elle opère un tri, une
séparation presque manichéenne des "bons" et des "mauvais" ouvriers... mais ce que laisse passer le crible n’est pas
connu d’avance et ne se définit que dans et par le criblage. Le bon ouvrier n’est pas un élu, au sens sacré, janséniste, du
mot, revêtu de drap d’or et reconnaissable à ses saintes stigmates ; il est le produit d’un procès que l’on qualifiera
indifféremment de dressage ou d’éducation. »

« Passer un tiers de son existence dans la noirceur des galeries à 500m sous terre, dans les poussières, etc., paraît devoir
imprimer à la constitution physique de l’homme des caractères particuliers qui répétés de génération en génération,
peuvent devenir permanents et créer une race spéciale d’individus. Existe-t-il donc une race de mineurs ? » y
réfléchissait un Dr. Laroche en 1920.

« On ne conteste pas la part du milieu de travail dans les caractères acquis, y continuent m’sieur Murard et m’sieur
Zylberman, mais on attend désormais de la race qu’elle se forme dans un continuum, une linéarité temporelle, le "destin
mineur". Découverte décisive, parce qu’elle unifie des pratiques et des savoirs – ceux de l’ingénieur, du médecin du
travail, etc. - dans une perspective d’ensemble : façonner la cité comme espace fécond, forger ce qu’une littérature rose
nomme un "esprit de tradition". "Si le Français descend volontiers dans les houillères du nord ou du centre de la
France, c’est parce que son père y travaille, qu’il a été élevé dans la pensée de l’y rejoindre un jour ; en un mot, il, est né,
il a grandi mineur. Dans cette mentalité, il y a quelque chose du "mystère de la race" ou de "la tradition agissant sur la
race" dont parle à juste titre une partie de la littérature moderne, influences auxquelles doit penser tout bon psychologue
dans la conduite des efforts tentés pour stabiliser la main-d’oeuvre" (Comte de Canisy). Regardons attentivement les
dernières lignes.

Elles indiquent clairement comment un savoir – celui du psychologue en l’occurence – renvoit
désormais à une stratégie, et guide notamment l’intérêt bien compris de l’industriel : pour stabiliser votre main-d’oeuvre,
veillez à perpétuer un "destin mineur". H. Lafitte-Laplace, après avoir rappelé, air connu – "On ne s’improvise pas
mineur. C’est une vie à part, avec ses risques, ses joies, ses traditions. Il faut y être formé jeune, on s’y succède de père
en fils" – en tire un enseignement immédiat pour l’industrie houillère ; avant toutes choses, elle doit assurer son
recrutement par "une pépinière de jeunes mineurs". »
Dans cette circulation bien réglée des savoirs et des pouvoirs, le médecin vient occuper une place singulière. Comment
imprimer à la constitution physique du mineur des caractères particuliers ?

Comment amorcer cette expérimentation
morphologique, et tenter quelque chose comme une mutation ? On sait maintenant qu’il convient d’abord de faire de
l’ouvrier un père de famille, ou plus exactement d’assurer l’hérédité d’un stock humain ; bref, nous l’avons dit, de
constituer un « milieu » biologique — c’est-à-dire tout autre chose qu’un milieu de travail. On n’a pas perdu l’espoir de
modifications morphologiques (on attend précisément de l’hérédité qu’elle les conserve), car on a percé le secret de leur
obtention : l’habitude individuelle. L’habitude, chaînon manquant de tout le dispositif : irréductible à la profession,
débordant sur l’ensemble du champ social, elle offre prise à une pédagogie microscopique, infiniment démultipliée dans
l’espace du coron.

Dans ce dressage, le médecin du travail prend désormais une maîtresse place. Surveillance sanitaire,
contrôle de l’absentéisme, et plus encore "orientation biologique convenable de la main-d’oeuvre" participent des
technologies de sélection qui s’inaugurent alors. »
« Ce qui, après Auguste Comte, s’appelle le "milieu", est cette variété d’espace fécond, fécondable et fécondé. Ici
encore, le schéma de la germination. Espace fécond, qu’est-ce à dire ? Eh bien, fécond parce que les cités, en tant
qu’appareil de pouvoir, sont traversées par une stratégie unique mais à double face : sélection-génération. Produire une
espèce viable et profitable : l’ouvrier d’industrie.
De cette stratégie bifrons découle la moralisation. Donc, si l’espace des cités apparaît dans la catégorie singulière du
milieu, c’est qu’il est l’espace de la sélection et de la génération, en aucun cas l’espace homogène, continu et infini de la
communication (dans tous les sens que ce terme prend dans la ville - déplacement mais aussi urbanité) : la ville minière,
c’est l’espace de la contagion, l’espace de l’hygiénisme. »
C’est pour ça, y dit polo, qu’l’pote Blanqui y voulait en 1848 « que la lumière se fasse jusque dans les moindres
hameaux, (parce qu’) il faut que les travailleurs redressent leurs fronts courbés par la servitude et se relèvent de cet état
de prostration et de stupeur où les castes dominantes les tiennent, le pied sur la tête. »

Et ça c’était pas gagné, y dit mon ancien délégué syndical CGT, parce qu’l’patron y voulait qu’l’mineur y s’occupe aussi
d’son jardin après l’boulot, comm’y racontent m’sieur Murard et m’sieur Zylberman : « Quant à l’usine, elle tient là un
excellent instrument de stabilisation de son personnel ; avantage subsidiaire, "l’oeuvre des jardins est une occasion de
multiplier les contacts entre l’ouvrier et ses Chefs et de créer dans les cités un noyau qui a une admiration profonde pour
ses Chefs et leur est entièrement dévoué". Et puis le jardin "occupe", ce qui n’est pas un mince argument dans une cité
dont les variables ont été réduites à celle, unique, du temps. Journée d’usine, aussi longue que possible – "diminuer les
heures de travail, c’est diminuer la production et augmenter la fréquentation des cabarets, ce qui est on ne peut plus
nuisible" -, puis, sans lacune ni interruption, jardinage. La brèche, l’intervalle, la déchirure entre le travail et le hors
travail - la sortie d’atelier notamment ô combien pernicieuse -voilà ce qu’il faut combler.

C’est cet entre-deux, ce temps
mort entre la fosse et le sommeil que le potager s’emploie à occulter : " L’expérience montre que l’ouvrier, s’il n’est
stimulé, ne s’intéresse pas au jardinage. Il ne suffit donc pas de procurer à l’ouvrier un jardin, ce qui est relativement
facile, il faut encore lui apprendre à jardiner et surtout, obtenir de lui qu’il s’adonne avec joie au jardinage et que petit à
petit le jardin finisse par occuper tous ses loisirs."
Apprendre à jardiner... Pour qui voudrait mesurer la pesanteur de ce didactisme, voici ce qui se faisait à Lens à la fin du
siècle dernier : "Une brochure, le « Petit manuel du mineur jardinier », éditée par la Compagnie et distribuée
gratuitement aux ouvriers à leur entrée dans une maison des cités, donne sous une forme accessible à tous des
indications pratiques qui les influenceront malgré leurs préventions contre tout ce qui n’est pas leur routine. À toutes
les époques de l’année, des affiches illustrées apposées dans chaque siège rappellent aux mineurs, sous une forme
amusante, le moment auquel doivent être entrepris les différents travaux de jardinage, la manière de disposer et de
composer leur jardin pour en tirer le plus de profits, etc. Surtout c’est grâce à l’action personnelle et directe du Chef des
jardins et plantations que l’oeuvre vit. Ce dernier connaît un grand nombre d’ouvriers dans toutes les cités, il vit très près
d’eux, il est en relation constante avec eux. (...) Une comparaison s’impose : il a sur les mineurs des Cités la même
influence que le vieux maître d’école de village sur la population paysanne.

Comment stimuler les mineurs jardiniers ? (...) L’intérêt est évidemment un excellent stimulant mais il ne suffit pas et il
est permis de penser que l’oeuvre ne se serait jamais développée et aurait tout au plus végété si l’on n’avait eu recours à
des ressorts plus puissants : l’émulation et l’amour-propre. (...) S’il sait que son jardin sera visité, il voudra qu’on
l’admire et sera fier s’il y parvient. S’il sait qu’il sera comparé à celui du voisin il mettra toute son ardeur à le surpasser.
Ce qu’il n’aurait pas fait par intérêt, il le fait pour l’honneur. (...) L’institution qui met en oeuvre les remarques exposées
ci-dessus est le concours annuel des jardins. Tous les jardins sont visités et notés. Le jury se compose d’ouvriers et
d’employés retraités ayant de réelles connaissances en jardinage, choisis en général parmi les anciens ouvriers premiers
prix de jardinage. C’est la suprême distinction pour les vieux mineurs jardiniers de passer ainsi de l’autre côté de la
barricade et ils s’y montrent très sensibles. (...) De plus, les membres du jury sont connus des ouvriers.

Ceux-ci vont
volontiers leur demander des conseils dans le courant de l’année, autant pour s’attirer la sympathie que pour connaître
leurs préférences au point de vue de la position et du choix de la culture. (...) Ils forment dans chaque cités des noyaux
d’apôtres du jardinage, dévoués à l’oeuvre des jardins mais aussi très loyalement attachés à la Société, et dont l’action
sur leurs camarades servira la paix sociale. (...) Une publicité flatteuse est faite autour des vainqueurs. Leur nom et
même leur photographie sont communiqués à la presse locale. (...) Enfin un système de prix bien étudié établit toute une
hiérarchie parmi les jardiniers et permet de multiplier et de graduer les encouragements. (...) Enfin, de même qu’une
distinction quelconque, une décoration par exemple, attache, sans qu’il s’en rende bien compte, l’électeur à l’élu,
l’administré à l’administrateur, les concours de jardins, le banquet surtout, attachent l’ouvrier à la Compagnie. Il sera
désormais « bon esprit » non seulement par devoir mais par conviction" ».

C’est c’quy z’ont fait dans la cité dans un précédent plan Marshall des banlieues, les jardins ouvriers, ell’ dit la mère à
Afid. Mais c’est surtout les asiatiques qui y vont. Y z’ont pas encore compris qu’c’est du faillotage d’colonisés.
Pendant qu’l’pauvre y l’était enfermé pour pas trop prendre la lumière sauf l’soir dans l’jardin, vu qu’y l’était pas en
bonne santé, l’p’tit bourgeois d’l’époque y l’aimait bien avoir sa p’tite maison aussi, ell’ dit la soeur à Polo, qu’aime bien
les histoires des romans d’bourgeois. « Sous Louis-Philippe, ell’ dit qu’y raconte m’sieur Benjamin, l’homme privé
accède à la tribune de l’histoire. ...Pour la première fois le domaine vital de l’homme privé s’oppose aux lieux de son
travail. II se situe dans son intérieur, et le comptoir en est le complément.. Pour donner figure à son ambiance privée, il
refoule société et affaires. Ainsi naissent les fantasmagories de l’intérieur. Pour l’homme privé cet intérieur représente
l’univers. II y rassemble le lointain et le passé. Son salon est une loge au théâtre du monde. L’intérieur n’est pas
seulement l’univers, mais aussi l’étui de l’homme privé. Habiter signifie laisser des traces... De là naît le roman policier
qui est à l’affût de ces traces. La « philosophie du mobilier » autant que ses nouvelles policières révèlent en Poe le
premier physionomiste de l’intérieur. Les criminels des premiers romans policiers ne sont ni des gentlemen ni des
apaches, mais des hommes privés appartenant à la bourgeoisie ».
Le foyer ça va devenir la fabrique de la première femme nouvelle, ell’ explique la soeur à Polo.

« D’où nous vient donc cette image de la femme au foyer tant contestée par le mouvement d’émancipation de la femme
présent à la fin du 20e siècle ? ell’ demande m’dame Gauvreau. Au début de ce siècle, l’image de la femme est
particulièrement idéalisée. Les demoiselles de l’ère victorienne sont victimes d’une éducation qui vise uniquement à
leur inculquer leur rôle de future épouse. (...). Le bourgeois est un citadin guidé par le puritanisme qui désire la
prospérité financière, un droit sacré. L’argent est son unique intérêt et il affiche avec fierté son succès matériel. Il n’a
guère bonne réputation ; reconnu pour son hypocrisie, il est austère et ne laisse place à aucun sentiment. Homme
d’affaires important, il a besoin d’un soutien moral qui lui sert de moyen d’évasion. C’est dans sa demeure qu’il trouve
le calme ; c’est pourquoi la notion de « privacy » devient si importante. Le foyer est un refuge où siège la famille, le
respect et la purification de l’âme. Mentionnons que c’est à ce moment que voit le jour l’unité familiale constituée par le
père, la mère et les enfants. Jamais auparavant on a accordé autant d’importance au milieu familial. La famille devient
alors le lieu privilégié où se transforment les valeurs accordées à l’éducation. On passe de l’éducation aristocratique
froide et garante de l’autorité à des manières éducatives basées sur l’affection.

L’enfant dont, auparavant, le seul contact
avec sa mère était le baiser qu’il lui donnait sur la main, se retrouve dans un univers où l’amour déborde. Ainsi, c’est au
nom de la tendresse que la mère préfère élever sa fille à la maison. En effet, on ne peut rêver mieux que le milieu
familial pour élever la jeune demoiselle qui, grâce à l’affection de sa mère, pourra développer les qualités de douceur et
d’humilité tant recherchées. L’éducation de la jeune fille découle des intentions immuables de Dieu lorsqu’il créa Ève
différemment d’Adam. Ainsi, l’essence féminine doit se définir par des qualités propres à sa nature. Tandis que l’on
attribue au sexe masculin la vigueur, l’intelligence et l’autorité, on s’attend à ce que la femme soit passive, soumise et
dévouée. Spécifions qu’à cette époque, le rôle de la femme est totalement idéalisé. On répand l’image de la femme
parfaite dont la vocation est d’apaiser les gens qui l’entourent. Pour parfaire sa personne, on se soucie davantage de son
instruction. (...). La jeune demoiselle se doit de contrôler toute sa personne. Ainsi, le maintien et le savoir-vivre sont
indispensables à sa civilité. Une règle s’applique à chaque partie de son corps. Son visage doit refléter la bonté, la
douceur et la sérénité. Puisque les visites occupent les trois quarts de sa vie, la femme doit maîtriser très jeune l’art de
bien se conduire. Elle se doit donc d’être modeste et timide. On attend également d’elle qu’elle remette constamment en
doute sa propre opinion.

D’autre part, il est indispensable qu’elle soit une véritable virtuose dans les travaux d’ordre
domestique, puisque seule une maison bien tenue gardera son mari à la maison. Ce dernier qui passe la majorité de son
temps à l’extérieur, sera insatisfait d’une demeure mal conduite. D’ailleurs, à cette époque, « l’amour naît de l’estime
 » ; la femme se doit donc d’être exemplaire. Autrement dit, à l’époque victorienne la femme n’existe que par la famille
et pour celle-ci. Les époux se doivent assistance et secours mutuels. Tandis que le mari s’occupe du nécessaire tels que
les revenus, la nourriture et le logement, la femme contribue à ses devoirs par le maintien impeccable de sa demeure.
Son mérite n’est plus simplement d’élever les enfants, mais de bien administrer sa maison et de rendre son époux
heureux en le consolant et en l’encourageant. Elle se doit également de soutenir les gens qui l’entourent en
accomplissant de bonnes oeuvres et en participant à des comités de charité. On érige ainsi le portrait d’une femme
parfaite, d’un être dévoué dont la mission est sacrée. La notion « d’ange au foyer » voit alors le jour. C’est ainsi que, de
génération en génération, nous avons conservé en nos mémoires l’image de la femme aimante et dévouée, née pour
soigner, apaiser les siens et soulager l’humanité souffrante. » C’est m’sieur Jules Ferry qu’y devait être content, y
riogole Fred.

Et aussi apprendre à consommer son pouvoir d’ach’ter, y dit Polo. « À la ville minière s’oppose le grand magasin. Voyez
le Bonheur des dames ! Là, nous dit Michel Serres, "tout fonctionne à la vapeur". Le magasin est un moteur, une
machine qui luit, chauffe, flambe, consomme et détruit fournisseurs et concurrents, absorbe et rejette vendeuses et
clientes. Colossale machine à fabriquer de l’or, chaufferie ardente, la "cathédrale du commerce moderne" – cette
"tentation immense" – est une "mécanique à manger les femmes". En ce "temple élevé au culte du corps de la femme"
s’expérimente une physique du pouvoir appliquée à la maîtrise des masses denses, ouvertes, croissants à l’infini » y
disent m’sieur Murard et m’sieur Zylberman.
Ouais, qu’y dit Djamel, l’monde d’lépoque c’était une grande fabrique d’hommes et d’femmes nouveaux, sauf qu’yen a
qu’étaient éclairés par la lumière et d’autres non. Pourtant y z’ont inventé l’électricité.

Ça doit être pour ça qu’l’jardinier municipal qu’y z’ont interviouvé à la télé d’not’ président sur la Saint-Valentin, qu’y l’a
vu Fred, y l’a répondu qu’d’la Saint-Valentin y s’en foutait, d’Pâques et d’Noël aussi, et qu’d’ses fleurs y s’en foutait aussi.
Y devait pas être assez stimulé. Y l’a pas eu avoir d’merdaille. Faudrait qu’y d’mande à not’ président.

(... à suivre)

Chomdu 11

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