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Marina Petrella : Monsieur le président de la République...

Publie le mardi 4 mars 2008 par Open-Publishing
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Ayant écrit à M. Sarkozy pour plaider la cause de la réfugiée Marina Petrella, Erri de Luca a reçu une réponse négative de l’Elysée. Nous publions sa lettre.

de Erri De Luca

Je me permets de m’adresser à vous au nom de l’amour que j’ai pour votre pays. J’écris cette lettre en français. Je me fais seulement corriger l’orthographe. Parce que c’est une lettre effrontément personnelle de la part d’un écrivain étranger au président de la République française.

Je dois à votre pays un accueil depuis 1982. Quand je suis venu ici chercher un peu de vie et de fortune, loin de l’Italie intoxiquée par les lois spéciales, par les arrestations en masse. En ce temps-là, on entrait en prison non par un crime commis mais par appartenance collective à une formation politique. En ce temps-là était suspendue la responsabilité individuelle. On était poursuivis en bloc, enfermés comme dans des wagons plombés.

La France m’a accueilli. J’ai trouvé un travail comme ouvrier de chantier. En été 1982, je battais les coups du marteau-piqueur sur les gradins du vieux stade de Colombes. J’apprenais le français parmi les ouvriers de pays différents, aucun d’eux n’était italien. J’étais le dernier de nos immigrations. J’ai appris le français sur le chantier et dans les livres. La France a été pour moi la sueur et la paie, le premier argent gagné dans une autre monnaie plus robuste et plus juste que nos lires.

Après, je dois à la France un accueil majeur, envers mes pages. Pour quelqu’un qui mâche une langue latine, être traduit en français c’est monter sur la scène du monde. Mes livres ont été traduits dans plus de vingt langues parce qu’ils ont d’abord été agrandis en français. J’éprouve de l’amour pour la France.

Sur les montagnes du Népal, parmi les massifs grandioses de l’Annapurna et du Dhaulagiri, il y a un pas au-dessus des 5 000 mètres : il s’appelle le pas des Français. Je suis passé par là, avant qu’un infarctus m’enlève pour toujours de ces hauteurs, où le sang épaissit ses globules. Je me demande aujourd’hui quel est le pas des Français en Europe et dans le monde. Terre d’asile ? Plus que ça, la France aux yeux du monde est le seul pays qui puisse prétendre à un droit international indépendant.

Que la Grande-Bretagne fasse bien valoir son droit à une monnaie séparée du reste de l’Europe. C’est un pays mercantile qui met son honneur dans le billet imprimé par la Banque d’Angleterre. La France a son honneur ailleurs. Elle l’a dans La Trinité laïque, liberté, égalité, fraternité, avec laquelle elle a contaminé les Constitutions des pays du monde.

Vous avez pris le mot latin honor et vous l’avez renforcé au centre : honneur. Comme nous, Napolitains, redoublons au centre le mot amour : "ammor". Le pas des Français est l’honneur. Et je ressens avec souffrance que cet honneur est mis de côté en relation à un petit cas humain, non plus politique, celui de Marina Petrella. Elle est enfermée dans la prison de Fresnes, à un pas de l’extradition. Je comprends très bien que vous en avez marre de vous occuper d’une poignée d’Italiens réfugiés en France. C’est la faute à l’Italie qui, à trente ans de distance, n’arrive pas à solder les comptes avec une amnistie et souffle encore sur la rancune envers les derniers des vaincus.

A l’heure de Schengen, la France a établi des limites à la poursuite - je dis à la persécution - rétroactive. Ce fut un geste de civilité juridique, digne de son rang. Seule la France en Europe pouvait se le permettre. Monsieur le président, ne les extradez pas, ne les consignez pas dans les mains de ceux qui prétendent être juges sans cesser d’être des ennemis. Parce que c’est contraire à l’honneur d’un pays où ils ont trouvé une deuxième mi-temps de leur vie, où ils ont un travail et une famille. La première fille de Marina Petrella est née en prison en Italie, la deuxième a 10 ans, elle est née libre en France : c’est un bon exemple des deux mi-temps d’une vie. N’extradez pas cette deuxième mi-temps. Ne vous faites pas exécuteur automatique de dispositifs judiciaires.

Je n’ose pas vous demander de me donner une audience, de me consacrer quelques minutes de votre temps compté. C’est déjà du réconfort pour moi que vous ayez lu ces lignes.

http://www.lemonde.fr/opinions/arti...

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