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Les créateurs de virus informatiques deviennent des mercenaires

Publie le dimanche 2 mai 2004 par Open-Publishing

Le nombre de codes malicieux mis en circulation sur Internet augmente
considérablement. Les spécialistes de sécurité des systèmes
d’information suspectent, notamment, des collusions entre émetteurs
de courriels non sollicités et auteurs de programmes malins.

Internet est touché, depuis le début de l’année 2004, par une
recrudescence d’une intensité encore jamais atteinte de la production
de virus informatiques. Ce phénomène se conjugue avec de profonds
changements, notent les spécialistes de la sécurité des systèmes
d’information. Traditionnellement motivés par l’exploit technique et
la médiatisation de leurs créatures, nombre d’auteurs de virus sont
désormais suspectés d’agir pour le compte de commanditaires peu
scrupuleux.

L’année 2003 avait déjà connu une forte intensité de l’activité
virale. Cette dernière avait culminé pendant l’été avec, notamment,
la diffusion des virus Blaster, Sobig et Welchia (Le Monde du 3
septembre 2003). Selon les estimations de l’éditeur de logiciels
antivirus TrendMicro - partagées par la majorité des professionnels
du secteur -, une moyenne d’environ 400 souches de codes malicieux
sont ainsi apparues chaque mois en 2003. Au cours des premiers mois
de 2004, cette statistique connaît, selon les mêmes sources, une très
forte augmentation. Au mois de janvier, environ 600 programmes malins
ont été détectés. En quatre mois, la tendance ne s’est pas démentie
et avril a été marqué par l’identification de près de 1 400 nouveaux
codes malicieux.

Plus nombreux, ces derniers sont également plus virulents. Selon
François Paget, responsable du centre de recherche de l’éditeur
Network Associates, 21 alertes "majeures ou moyennes" ont été
déclenchées au cours des quatre premiers mois de l’année. Cet
indicateur n’avait pas dépassé 22 pour toute l’année 2003, 11 pour
2002, 17 pour 2001 et 12 pour l’an 2000.

Ce regain d’intensité et de virulence s’accompagne de nouvelles
pratiques. Les spécialistes de sécurité des systèmes d’information
estiment ainsi que les dernières familles de virus apparues sur le
Réseau - Mydoom et, plus récemment, Netsky et Bagle - sont le fruit
d’une forme de "professionnalisation" de leurs créateurs. "Nous
parlons de professionnalisation, car nous assistons, de la part des
auteurs de virus, à une plus grande recherche d’efficacité, au
détriment de l’originalité, explique Frédéric Martinez, ingénieur
sécurité au CERT-IST, un centre de réaction aux attaques
informatiques, créé en 1999 par un consortium industriel français. Il
y a un à deux ans, les auteurs de virus étaient souvent des jeunes
programmeurs ou des étudiants voulant se faire remarquer en écrivant
un programme original. Depuis janvier, on observe une répétition des
techniques utilisées : on retrouve dans Bagle ou dans Netsky des
techniques bien connues." A partir d’une souche virale existante, les
créateurs de virus jouent ainsi sur la combinaison de fonctions pour
en accroître la virulence.

PROJETS INFORMATIQUES

Diffusées par courrier électronique, les premières versions de Bagle
et Netsky, apparues au début de l’année, ne pouvaient, par exemple,
infecter un ordinateur qu’après l’ouverture d’un fichier joint à un
courriel. Les nouvelles souches de ces programmes, apparues fin mars,
utilisent des failles de sécurité et peuvent déclencher l’infection
en dehors de toute action de l’utilisateur.

Pour David Kopp, directeur du laboratoire de TrendMicro, ces
perfectionnements successifs proviennent du fait qu’un nombre
croissant d’auteurs de virus travaillent sur leurs créatures "comme
sur de véritables projets informatiques".

Ces "projets" sont généralement liés à des activités délictueuses,
principalement l’envoi massif de publipostages électroniques non
sollicités, ou spams. Aux Etats-Unis, cette activité est réglementée
depuis le 1er janvier 2004 et la promulgation du Can-spam Act (Le
Monde du 14 janvier). En France et en Europe, elle est considérée
comme illicite. Elle repose, en effet, sur la collecte déloyale
d’adresses de courriel, données considérées comme "personnelles" et
dont le traitement est strictement encadré. Menacées d’importantes
amendes, certaines sociétés spécialisées dans l’envoi de spams sont
donc entrées en clandestinité.

"Les virus actuels sont presque tous créés pour installer des portes
dérobées, mais aussi pour que ces portes dérobées puissent être
utilisées par les spammeurs, explique Pierre Forget, ingénieur
sécurité au CERT-IST. Il est vraisemblable qu’un certain nombre
d’auteurs de virus jouent désormais un rôle de -mercenaires’’ : une
fois qu’ils ont réussi à infecter un grand nombre de machines, ils en
laissent l’utilisation à un tiers - un spammeur, par exemple - qui
les rémunère."

Cette collusion organisée ne peut toutefois, selon M. Paget, "être
démontrée avec certitude". "Mais c’est quelque chose que tous les
professionnels de la sécurité informatique ressentent fortement",
ajoute-t-il. D’autant que, pour atteindre leurs objectifs, ces
nouveaux virus savent se faire discrets en provoquant moins d’effets
perturbateurs - voire destructeurs - que par le passé.

En février et mars 2004, les centres d’analyse de l’activité virale
sur Internet ont ainsi remarqué que les auteurs de Netsky et Bagle
s’injuriaient mutuellement dans le texte caché des messages infectés.
"Il est vraisemblable qu’il s’agissait de deux groupes qui
cherchaient à se valoriser aux yeux d’un commanditaire potentiel",
explique M. Martinez.

La création des possibilités d’envoi de spams de manière frauduleuse
et anonyme n’est pas la seule motivation de ces commanditaires
supposés. François Paget relève ainsi qu’une large palette d’outils
est parfois installée par le virus. "Ces outils peuvent être activés
à distance et permettent, par exemple, de collecter des fichiers
d’adresses de courrier électronique, des mots de passe et même des
informations de nature bancaire", avertit M. Paget.

Stéphane Foucart

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La dernière version, polyglotte, de Netsky

Une nouvelle variante du virus Netsky est apparue, mardi 20 avril,
sur Internet. La particularité de cette souche est sa capacité à
s’adapter à la langue de l’ordinateur qu’elle infecte. Le courriel
vecteur de l’infection se présente ainsi en français si, sur
l’ordinateur qui le reçoit, la version des logiciels installés est
française. Les auteurs de cette variante de Netsky ont ainsi intégré
une dizaine de langues à leur création (suédois, polonais, portugais,
français, allemand, italien, finnois, etc.). Cette astuce rend plus
vulnérables les utilisateurs les moins avertis qui, généralement, se
prémunissent contre les virus en supprimant systématiquement les
messages rédigés en langue étrangère.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-362695,0.html