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Non à l’extradition de Cesare Battisti !

Publie le mardi 4 mai 2004 par Open-Publishing

Face à la mobilisation en faveur de Cesare Battisti, une véritable contre-offensive a été engagée par la presse italienne et la droite française.

Si Blair, Aznar et leur ami Bush méritent incontestablement la palme du mensonge, ils ne sont pas les seuls à pratiquer la désinformation la plus grossière. Ainsi, « notre » Garde des Sceaux Dominique Perben n’a pas hésité à déclarer sur LCI que Cesare Battisti a été appréhendé « par hasard », à la suite d’une plainte de voisins qu’il aurait « menacés de mort » ! Et c’est ainsi qu’une escouade d’une douzaine de policiers d’une brigade hautement spécialisée dans la répression du terrorisme se serait déplacée pour une querelle de voisinage ! Il est apparu très vite que cette arrestation avait été décidée à la suite de tractations entre le ministre italien de la justice, membre de la fascisante Ligue du Nord, et le même Perben. Le mensonge a donc été éventée, mais le Garde des sceaux n’a pas renoncé pour autant à poursuivre sa campagne d’intoxication en inventant divers prétextes juridiques, sinon pour nier que l’extradition de Battisti a déjà été refusée par la justice, pour prétendre que le contexte juridique européen aurait changé, que la loi italienne lui donnait désormais davantage de possibilité de se défendre. Toutes affirmations entièrement fausses : la loi italienne ne permet pas, contrairement à la loi française, d’être rejugé, et elle n’a absolument pas changé sur ce point !
Une émotion considérable

L’arrestation de Battisti a en effet soulevé une émotion considérable dans des milieux qui dépassent très largement son petit cercle d’amis auteurs de romans noirs, d’éditeurs, de libraires et de lecteurs. La raison principale de cette émotion est sans aucun doute l’indignation face à la menace de revenir sur un engagement pris par l’Etat français d’accorder l’asile politique aux militants de groupes armés qui avaient décidé de tourner la page en 1985, et le fait que, dans un Etat de droit, on ne revient pas sur la chose jugé. Les juges se sont en effet déjà prononcés négativement en 1992 sur cette demande d’extradition. Mais, bien sûr, comme le disait Battisti lui même, il est toujours possible de trouver une astuce juridique pour appliquer une décision, quelle qu’elle soit, tout est question de rapport de forces…

Or un rapport de forces s’est très vite établi en faveur de Battisti : on a vu monter au créneau des gens qui restent d’ordinaire très discrets, tel Daniel Pennac, et d’autres qu’on ne peut suspecter de sympathies excessives pour la gauche radicale, tel Bernard Henri Levy. La manifestation qui s’est déroulée devant la Santé quelques jours après l’arrestation de Battisti réunissait sans doute plus d’écrivains, d’éditeurs et de journalistes au mètre carré que les allées du dernier salon du livre, où l’on a d’ailleurs aussi beaucoup parlé de cette affaire. Au nombre de ceux qui se sont mobilisés, outre la majorité des élus parisiens et le maire de Paris lui même, on compte des députés et maires UMP de villes dont Cesare a été l’invité. Les juges n’ont peut-être pas été insensibles à cette mobilisation, à moins qu’ils n’aient jugé en leur âme et conscience en fonction des seules règles du droit, ce qui les honorerait, puisqu’ils ont accepté de remettre Battisti en liberté. Sous strict contrôle judiciaire il est vrai, avec l’interdiction de quitter l’Ile de France. Mais ils ne se sont pas prononcés sur le fond et la menace persiste : ce n’est que le 7 avril que le sort de Battisti sera réglé.

D’abord un peu surprise par l’ampleur de la réaction en faveur du réfugié italien, la droite dure n’a cependant pas tardé à réagir. On a vu paraître divers articles incendiaires contre Battisti, notamment dans le Figaro, qui s’était d’ailleurs fait l’écho des mensonges de Perben.
Jusqu’aux fascistes purs et durs du Bloc identitaire qui ont organisé une campagne de pétitions pour réclamer l’extradition !
Une multiplication inquiétante de tribunes libres contre Battisti

Mais c’est surtout en Italie que cette affaire a déclenché un tir de barrage généralisé : si l’on excepte Le Manifesto, presque toute la presse a tiré à boulets rouges sur Battisti et sur les intellectuels qui lui ont apporté leur appui. Au point que BHL lui même est vilipendé comme élément subversif ! Cette contre-offensive a rapidement franchi les Alpes avec la multiplication, dans la presse française, de tribunes libres signées de personnalités italiennes de grande notoriété. Les dernières en date sont celles publiées le 27 mars dans Le Monde : deux articles occupant une page entière revendiquent l’extradition de Battisti avec des argumentations habiles qui visent de toute évidence à influencer les hommes de gauche qui se seraient laisser « abuser ». La place donnée à ces tribunes est évidemment inquiétante, car elle nous fait redouter un virage d’une partie de ceux qui, dans un élan de solidarité, se sont opposés à l’arrestation et l’extradition. Certains seraient même revenus sur leur signature après avoir découvert la nature des « crimes » dont Battisti est accusé…

Refaire le procès de Cesare Battisti dans la presse française, même pour le défendre, est un non sens. Ce serait tomber dans un piège grossier que de répondre aux arguments de l’accusation. Ceux qui défendent Battisti ne sont, dans leur immense majorité, solidaires ni des actes qu’il a pu commettre, ni de la politique de son organisation d’alors. Ils exigent tout simplement de l’Etat français qu’il tienne ses engagements. Ils constatent aussi que la justice de Berlusconi est loin de donner toutes les garanties souhaitables à un accusé comme Battisti, quoi qu’en disent les intellectuels italiens qui se répandent dans la presse française en insistant sur le caractère démocratique des institutions de leur pays.

Enfin, parmi les arguments, et non des moindres, qui ont été développés en défense de Battisti, rappelons celui de Daniel Pennac qui a comparé l’amnistie accordée aux Communards neuf ans seulement après les journées sanglantes de 1871 avec l’esprit de vengeance qui anime l’Etat italien trente ans après les faits. Et aussi celui de Patrick Raynal, ex militant de la Cause du Peuple, expliquant qu’il en aurait fallu bien peu, au début des années soixante-dix, pour que son groupe bascule dans le terrorisme. Tous ceux qui sont passés par de telles expériences devraient s’en souvenir aujourd’hui. J’y ajouterai un exemple tiré de mon expérience personnelle. A l’époque de la guerre d’Algérie, quand on torturait dans les commissariats parisiens, quand on massacrait les manifestants du 17 octobre et ceux de Charonne, quand on matraquait brutalement les manifestants qui réclamaient le retrait du contingent, j’avais la rage au cœur et, si un groupe quelconque m’avait mis une arme entre les mains, je l’aurais utilisée sans la moindre hésitation. J’avais dix-huit ans, l’âge de Battisti ou à peu près quand il s’est lancé dans la lutte armée. Pourtant, au début des années soixante, la France n’était pas non plus une dictature… Mais la violence de l’Etat suscitait inévitablement des fantasmes de réactions violentes. J’ai eu la chance à l’époque de trouver sur ma route des militants du PC qui, quels que soient les critiques qu’on peut adresser à ce parti sur sa politique algérienne, m’ont remis les idées en place et fait comprendre que la France n’était pas en guerre civile et surtout que la violence minoritaire était sans issue. Sinon, je ne sais pas si j’aurais l’occasion d’écrire ces lignes aujourd’hui. Et je ne suis bien entendu pas le seul dans ce cas. En Italie, ce sont des dizaines de milliers de jeunes et de militants ouvriers qui ont, pendant quelques années, agi ou sympathisé avec les mouvements armés, en réaction à la violence de l’Etat « démocratique » italien. Ce n’était peut-être pas la guerre civile, mais ça y ressemblait beaucoup, surtout pour ceux qui, des deux côtés des barricades, étaient lancés dans l’action. Ajoutons que la justice italienne a toujours fait preuve de la plus grande mansuétude vis à vis des « terroristes noirs », ces groupes fascistes liés le plus souvent aux services secrets qui n’ont pas hésité à fomenter des attentats sanglants pour tenter d’en faire accuser les « anarchistes » et l’extrême gauche. A l’époque, on parlait beaucoup de « stratégie de la tension » et de préparation de coups d’Etat à la chilienne. Les intellectuels italiens qui hurlent avec les loups, main dans la main avec Berlusconi, devraient s’en souvenir. Si fausse soit leur politique, ceux qui se sont lancés dans l’aventure de la lutte armée avaient peut-être quelques circonstances atténuantes. Comme on pouvait s’y attendre, ils ont perdu le duel sanglant qu’ils ont engagé contre l’Etat. Faut-il trente ans après les faits s’acharner sur eux, alors que les terroristes d’extrême droite et leurs mystérieux commanditaires, barbouzes et autres loge P2, n’ont jamais été inquiétés ?

Pour toutes ces raisons, et encore une fois sans cautionner la politique et les actes des groupes armés italiens des années de plomb, nous devons plus que jamais nous opposer à l’extradition de Battisti, et bien entendu à celle de tous ses camarades, qui représenterait un déni de justice non seulement scandaleux mais très inquiétant. Nous aurions tout à redouter d’un pouvoir et d’une justice qui renieraient leurs engagements !

Gérard Delteil