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DES PAROLES FORTES VENANT D’ITALIE

Publie le vendredi 18 avril 2008 par Open-Publishing

Fosco Giannini
Le congrès tout de suite
(paru dans L’Ernesto du 4 avril 2008)
(une première traduction [LAS] a été modifiée sur quelques points – NM)

Allons droit au cœur de la question.

Nous avons assisté à l’échec total du gouvernement Prodi et à l’échec, tout aussi total, nous l’affirmons en tant que dirigeants du PRC, de l’expérience du Parti de la Refondation Communiste au sein d’un tel gouvernement.

Sur les thèmes de la paix, du désarmement, de la redistribution des richesses, des droits sociaux et civils, rien n’a été obtenu. En revanche, notre Parti s’est saigné à blanc, dans cette expérience de gouvernement il s’est transformé, en compromettant ses liens avec les mouvements de contestation et avec l’ensemble du mouvement ouvrier. Il a aussi payé un lourd tribut pour ce qui touche à l’organisation et de la solidité interne. Aujourd’hui, dans les cercles, les fédérations, l’heure n’est certainement pas à l’enthousiasme : c’est plutôt la tristesse, le désengagement, l’étonnement, la désaffection. Un air de suspension : qu’avons-nous fait ? Qui sommes-nous ? Qu’allons-nous devenir demain ?

A l’échec - celui de l’expérience au gouvernement, mais bien plus celui, profond, de toute une politique issue du Congrès de Venise [2005] – le groupe dirigeant du PRC a pour l’essentiel répondu de trois façons : d’abord, en évacuant les bases matérielles de la défaite ; deuxièmement, en accélérant le processus d’effacement de la nature communiste de notre Parti ; troisièmement, en serrant la vis à l’intérieur, de manière antidémocratique, ce qui assurément n’évoque pas les meilleurs moments de l’histoire du mouvement communiste, et encore moins ce parti « antistalinien » et démocratique tant vanté par l’« innovation » à la Bertinotti.

En ce qui concerne les causes de la défaite, le groupe dirigeant du PRC a repris en bonne partie l’interprétation fournie par M. Prodi : l’échec serait dû à la trahison de l’aile modérée de l’Union de Prodi (Dini, Mastella) et au fait que le pouvoir économique se serait déchaîné contre lui au moment d’emprunter le tournant du « dédommagement social ». Il y a ensuite une analyse énoncée dans un premier temps par Giovanni Russo Spena [dirigeant du PRC] puis reprise par d’autres, selon laquelle la raison déterminante de l’échec serait le fait que ce gouvernement a été imperméable aux mouvements de contestation, c’est-à-dire qu’il ne se serait pas laissé pousser vers la gauche par eux.

Le premier de ces arguments (la trahison de l’aile modérée de l’Union) est un argument typiquement superstructurel et politicien : la composition politique, voire idéologique, de l’Union était bien connue, de même que ses limites quant au programme. Ces limites ont poussé à juste titre une large minorité interne au PRC à se battre contre le choix de participer à priori au gouvernement fait par la majorité du Parti lors du Congrès de Venise.

Prétendre demander de Dini et Padoa Schioppa [inflexible ministre du Trésor] – même dans la dernière phase du gouvernement Prodi - des politiques de redistribution pour frapper les profits et augmenter les salaires, c’eût été comme demander à Parisi et Rutelli de retirer les soldats italiens d’Afghanistan : une contradiction dans les termes.

En ce qui concerne le fait que gouvernement serait tombé du fait des pouvoirs économiques car désormais prêt à l’inversion de marche et au dédommagement social : il n’y a pas le moindre signe en faveur de cette hypothèse. Avant de tomber, le gouvernement venait juste d’achever le néfaste Protocole du 23 juillet qui mettait à mal la lutte contre la précarité, et s’apprêtait à gérer une saison contractuelle sous le signe de la priorité à la relance des entreprises, et pas du tout consacrée à porter les salaires au niveau du coût réel de la vie.

Quant à l’international, il allait prolonger les guerres en cours, relancer les dépenses militaires (ainsi que le montre l’activité de la Commission Défense, au Sénat, après la chute du gouvernement Prodi) et reconnaître l’indépendance du Kosovo.

L’argument proposé, comme une autocritique prudente, par une partie des dirigeants du PRC (gouvernement imperméable aux mouvements de contestation) est selon nous particulièrement faible. L’essentiel ne réside pas dans le fait que le gouvernement ait été imperméable à ces mouvements, mais bien que les politiques concrètement menées ont creusé un gouffre entre le gouvernement et ces mouvements, jusqu’à ce que tombe l’illusion, pas tout à fait honnête, que Bertinotti avait créée, selon laquelle les mouvements de contestation tireraient vers la gauche la politique du gouvernement.

A la place de cela, les mouvements de lutte – de celui de Gênes (2001) à celui dans la métallurgie, jusqu’à la contestation de la guerre – se sont retrouvés de l’autre côté de la barricade, par rapport au gouvernement Prodi, loin d’en être les compagnons de route.

La vérité est que le groupe dirigeant du PRC a commis un refoulement profond des causes de la défaite. Il a omis d’analyser la phase pendant laquelle s’est située l’expérience gouvernementale.
De manière idéaliste, il a ignoré les données concrètes et structurelles.
On pourrait définir la phase où le PRC est entré au gouvernement comme celle de la compétition globale.

Au niveau international, nous sommes face à un point d’orgue du conflit politique et économique entre les pôles impérialistes et capitalistes, une bataille très dure pour la conquête des marchés.
Les larges fractions capitalistes aujourd’hui hégémoniques – en Italie aussi – ne perçoivent qu’une voie pour battre la concurrence : baisser le coût des marchandises en réduisant brutalement les salaires, les droits, l’état social.

De ce point de vue, elles n’envisagent aujourd’hui aucun compromis avec le monde du travail, aucune solution de redistribution de type social-démocrate.

La redistribution des richesses ne pend pas de la branche de cette phase – comme un fruit mûr, prêt à être cueilli. Ce fruit, tout simplement, n’existe pas. Si le gouvernement Prodi entendait cueillir ce fruit, il devait s’inscrire en faux par rapport à la phase en cours (en d’autres termes, cela revient à dire qu’il fallait nuire un peu aux patrons).

Il ne l’a pas fait, ni n’aurait pu le faire, par sa nature. Voilà le point structurel qui nous mène à la question centrale : les conditions objectives existaient-elles pour que les communistes entrent au gouvernement Prodi ?

Plus encore : y avait-il les conditions pour y rester ? Ou n’aurait-il pas fallu, après l’Afghanistan, après Vicence, après le bouclier antimissile, après le Kosovo, après les mesures de droite sur la « sécurité », après la renonciation aux droits civils et face à la volonté d’acier de gouvernement Prodi de ne pas amender le Protocole du 23 juillet, retirer du gouvernement la délégation du PRC ?

Voilà, en vérité, ce qu’il aurait fallu faire, en bons communistes : rompre, du moins à partir du vote sur le Protocole, à savoir sur la complicité avec un gouvernement incapable d’exprimer une position autonome par rapport aux stratégies impérialistes des USA et de l’OTAN et aux politiques économiques désormais clairement libérales.

D’autres données structurelles ont été ignorées par l’analyse du PRC sur la phase en cours : les rapports de force sociaux en Italie, très défavorables à l’ensemble du mouvement ouvrier, et la tendance générale vers le centre modéré développée dans l’Union Européenne par le néo-impérialisme européen naissant. Deux questions qui ne comptent pas pour rien. Avec des rapports de force aussi défavorables aux travailleurs, il y avait le risque, en plaçant l’essentiel de la bataille sur le terrain institutionnel, de tomber, plus ou moins inconsciemment, dans le crétinisme parlementaire et d’aggraver encore davantage les conditions de vie des travailleurs, des précaires, des retraités, des jeunes gens au chômage, en consolidant le pouvoir des patrons.

Dictée par les forces hégémoniques du capital économique et financier, fonctionnelle à la constitution de l’impérialisme européen, cette profonde vague politique et culturelle du néo-centrisme qui prend forme dans toute l’Union Européenne constitue désormais bien plus qu’un mouvement souterrain. Elle marque, par-delà les forces explicitement libérales, une grande partie de ces forces politiques qui appartiennent à une sorte de centre-gauche européen.

Les forces modérées du gouvernement Prodi n’ont pas échappé à cette vague hégémonique et le PRC n’a pas su, n’a pas plus pu – en raison de sa nouvelle nature politique – affronter ces contradictions, à commencer par la subordination au carcan de Maastricht et à la mythologie de la réduction des déficits publics imposée par la BCE.

Dans la phase actuelle, comment une force de classe, anticapitaliste, communiste devrait-elle se placer face aux contradictions que suscite la compétition globale et face à l’attaque du capital ? Il n’y a pas de doute : elle devrait renoncer aux illusions institutionnalistes – non pas par extrémisme, mais en vertu d’une analyse précise de la situation concrète – et se mettre à la tête d’un nouveau, et probablement long, cycle de lutte sociales, avec l’objectif primordial de changer les rapports de force dans la société et de couper les griffes aux patrons. Surtout, cela signifie se consacrer à la constitution et à la consolidation du Parti communiste, cœur battant et unitaire d’un rassemblement plus large de lutte antilibérale, anticapitaliste, anti-impérialiste.

A la place de cela, qu’a choisi le groupe dirigeant du PRC après l’échec du gouvernement Prodi, après son propre échec ? Il a choisi d’accélérer le processus de dépassement de l’autonomie communiste et anticapitaliste pour se lancer dans la construction d’un nouveau et fumeux « sujet de gauche » : la « Gauche-Arc-en-ciel ». Un sujet qui naît, certes, comme produit final du long processus de dé-communisation à la Bertinotti, mais qui aujourd’hui prend sa forme la plus accomplie, focalisée sur la Gauche Démocratique [parti issu d’une scission de l’aile gauche des Démocrates de Gauche, lorsque ceux-ci ont formé le PD avec les ex-démocrates chrétiens], modérée et essentiellement social-démocrate.

L’effacement du Parti communiste est, à la fois, l’issue la plus fonctionnelle à l’attaque du grand capital et la plus délétère pour les intérêts des classes subalternes. Cette élimination comporte une espèce d’harmonie interne : elle représente une déchirure si violente dans l’histoire du mouvement ouvrier italien que, pour s’accomplir, elle a besoin d’autant de violence contre la démocratie : l’effacement est décidé par un groupe très restreint de dirigeants qui réduisent au silence et isolent quatre-vingt mille inscrits du Parti.

A bien y réfléchir, le tour de vis interne au PRC pour dépasser l’autonomie communiste est constitué par une longue série de prévarications : on constitue la « Gauche-Arc-en-ciel » sans la moindre discussion dans les cercles et les fédérations (en reprenant à vrai dire un schéma élitiste déjà employé pour la constitution de la Gauche Européenne et de l’Union pour Prodi – avec les résultats que chacun peut constater) ; en même temps, on élimine nos symboles, la faucille et le marteau ; on évite la moindre consultation de la base du Parti pour faire le bilan de l’expérience au gouvernement ; on lance la campagne d’adhésion au nouveau sujet politique (les cartes « Arc-en-ciel » sont en train d’arriver dans les fédérations justement au cours de cette campagne électorale : bel effort pour conforter l’esprit des communistes et les pousser dans les rues et les quartiers !) ; on suspend (jusqu’à quand ?) le Congrès national et l’on punit une minorité interne, « L’Ernesto », à travers une théorisation antidémocratique aussi inouïe que lâche et dangereuse : il y aurait des minorités « dialectiques » qui peuvent être récompensées et des minorités « d’opposition » (en ce qu’elles s’opposent à la liquidation du PRC) que l’on peut humilier et marginaliser.

C’est la campagne électorale, et les camarades de « L’Ernesto » travailleront elles et eux aussi pour leur Parti et pour la gauche. Après, un tel état de choses, une telle suspension de la démocratie interne ne seront plus tolérables. Qui veut éliminer le Parti communiste devra le dire, au lieu de raconter des fables. Et qui veut relancer l’autonomie communiste devra se battre.

Cette hypocrisie qui reste dans le vide est dangereuse pour tout le monde. Il faut trancher.

Après les élections, on ne pourra plus temporiser : il faudra un Congrès. Si le groupe dirigeant ne le convoque pas, les adhérents devront l’imposer.
Il est temps d’en finir.
La parole aux camarades. Le Congrès tout de suite !

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