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DURA LEX, SED LEX "La loi est dure, mais c’est la loi" (1)

Publie le vendredi 7 mai 2004 par Open-Publishing
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Le rapport à la loi, et à la légalité en général est au coeur de la problématique du changement social. Le respect de la loi est-il incompatible avec le changement social ? Si oui, le changement social est-il alors plus légitime que la loi au point de pouvoir, devoir, la transgresser ? Ces questions fondamentales, essentielles sont aujourd’hui totalement ignorées par les forces politiques qui n’envisagent, que de manière purement symbolique, et propagandiste, le « changement ».

Le respect de la loi est à la base de tout ordre social. Autrement dit respecter la loi c’est se soumettre à un ordre social et donc corollairement, si l’on respecte strictement la loi, n’y a aucune chance de changer l’ordre social ? Ceci pose, bien entendu, le problème de la légalité en matière de changement et donc de l’action illégale.

QU’EST-CE QUE LA LOI ?

La loi est une règle de vie qui organise un groupe social. Elle se fonde sur une éthique, sur des principes, sur des valeurs quelle exprime sous la forme d’un code qui engage les membres de la collectivité. Mais elle est plus que ça. Elle est un produit de l’évolution sociale, elle est l’expression de la manière dont les sociétés se sont organisées, à un moment donné de leur évolution, et codifie, à ce moment, le principe de l’organisation adoptée et au départ, dans l’Histoire, le mode de possession de la terre, principale ressource des richesses. Par extension le domaine de la loi concerne tous les actes de la vie économique et sociale… et par là même « stabilise » un état de fait économique et social, qui devient un « état de droit » déclaré implicitement et souvent explicitement immuable. Certes quelques lois peuvent changer, des lois mineures, mais l’essentiel lui est déclaré intouchable.

Quel est cet essentiel ? Tout ce qui concerne l’organisation économique et sociale et d’abord tout ce qui concerne la manière de produire et de distribuer les richesses. Aujourd’hui (comme hier d’ailleurs), la manière de posséder, de profiter, de répartir… bref de faire en sorte que se reproduise ce qui, économiquement et socialement, existe sans qu’on le remette en question…. Aujourd’hui ça veut dire concrètement : la possession de l’outil de production, la liberté d’embaucher et de licencier, la liberté de posséder le superflu même si aux autres il manque l’essentiel, la liberté d’épuiser les ressources naturelles, de détruire l’environnement,…

Certains diront, « mais la loi n’est pas que ça »… c’est vrai mais c’est essentiellement ça… le reste, les lois mineures, ne sont que des aménagements sans importance au regard de ce qui se joue socialement. Exemple ? La loi qui interdit de faire du bruit après 22 heures… celle là on peut effectivement la modifier… ça ne changera rien à la société (« on peut repeindre les volets, ça ne change pas l’architecture de la maison ! »)

La grande astuce du système, de tous les systèmes, c’est qu’ils mélangent tout, à dessein. La loi serait « LA LOI », seule et unique… et au nom du refus du chaos, il faut respecter « LA LOI »… c’est-à-dire « toutes les lois », sans distinction, justifiant par la même l’impératif de respect de l’ordre existant, de l’essentiel de ce qui constitue cet ordre.

La loi est-elle indispensable ? S’il s’agit de la règle collective, la norme qui organise les rapports inter individuels dans une collectivité, on peut difficilement nier son utilité. Mais en fait, nous l’avons vu, la loi n’est pas que ça, n’est pas qu’une modalité d’organisation, elle est l’expression d’un rapport social, d’une organisation sociale produit de l’évolution historique. C’est cette dernière caractéristique, qui donne tout son sens à la loi, qui est systématiquement minorée…. Et pour quoi est-elle ainsi minorée ?… parce qu’elle montre que la loi n’est pas aussi neutre que l’on voudrait nous le faire croire au regard du système d’organisation sociale.

DE LA VALEUR A LA LOI

Ce qui légitime symboliquement le plus la loi c’est la valeur morale sur laquelle elle se fonde, plus que la légitimité de l’autorité qui la promulgue. La légitimité est une référence tout à fait relative. Ainsi, à travers l’Histoire les lois se sont fondées sur des principes déclarés, justes, naturels, divins, moraux, … Il ne s’agit d’ailleurs pas que la loi soit conforme aux préceptes de la valeur, la référence suffit. Exemple ? L’Inquisition, et elle n’est pas la seule, qui commettait des crimes (légitimes) au nom d’un principe (l’amour de son prochain).

Le principe de la référence à la valeur suffit,… le reste n’est qu’une question d’adaptation et d’interprétation… autrement dit, on peut faire n’importe quoi, la référence à la valeur donne une sorte d’absolution morale.

La Révolution Française n’a pas trop innové en matière de relation entre loi et valeur. Au niveau des conséquences concrètes on retrouve les mêmes paradoxes et les mêmes contradictions. Ainsi « Liberté-Egalité-Fraternité »… n’a empêché ni le colonialisme, ni les guerres, ni l’exploitation salarié, ni la misère, ni… Autrement dit , les valeurs morales, l’éthique, qui président à la constitution de la règle de droit , ne sont pas tout à fait nouvelles. La véritable nouveauté (encore que pour les femmes il faudra patienter jusqu’au milieu du 20e siècle) réside dans la notion de citoyenneté… qui n’a pas le même contenu que la citoyenneté romaine.

Le corpus juridique issu des « Lumières » et des transformations politiques et sociales du 18e siècle a jeté les bases d’un système qui fait des valeurs de base une interprétation très particulière qui correspond,… comme par hasard, aux intérêts de la classe marchande qui prend le pouvoir. Ainsi, la « Liberté » sera surtout la liberté de commerce, d’entreprendre, de disposer d’une force de travail ou de la licencier,…. L’ « Egalité » sera, en principe, devant la loi et au moment du vote des représentants , mais certainement pas en fonction des besoins de chacun,… quant à la « Fraternité »,… sans commentaire.

On peut aujourd’hui évaluer le décalage entre la loi, le contenu de la loi, l’application de la loi et les valeurs qui sont censées la fonder.

Reste la légitimité de la loi qui, au 18e siècle, devient réellement populaire.

DE LA LEGITIMITE DE LA LOI

La légitimité populaire de la loi, du fait de la légitimité populaire de ceux qui la promulguent, n’est manifestement pas suffisante pour en faire, de la loi, une valeur définitive et absolue et surtout exempte de contradictions et de contestation… l’exemple nous en est fourni tous les jours . Pourquoi ? Pour deux raisons :

  ce n’est pas parce que le législateur a une légitimité populaire que le rapport qu’elle exprime est exempt de contradictions. Exemple ? le salariat, représenté par un système de démocratie représentative (ce qui est le cas de la plupart des pays développés), n’en demeure pas moins un rapport social inégalitaire, instrumentalisant les individus, les excluant et générant perpétuellement des conflits (voir l’article « VIOLENCE ET CHANGEMENT SOCIAL »).

  un rapport social évolue et ses contradictions initiales deviennent de plus en plus insupportables. Exemple ? Toujours le salariat qui, quoique contesté n’a jamais été remis fondamentalement en question dans les pays développés et ce pour une raison simple : il créait du lien social et améliorait la condition des salariés… aujourd’hui, ce n’est plus le cas il s’avère incapable d’assurer cette mission de cohérence sociale (voir l’article « DECADENCE »)

Ainsi, légitimité de la loi et expression de la loi, en tant qu’expression du rapport social, entrent en conflit… par exemple au moment d’un licenciement. On dit alors que la loi est « injuste »… peut-être,… mais elle est « légitime »… et toute révolte contre la loi est considérée comme une remise en question de sa légitimité, ce qui, dit autrement, est une atteinte à la volonté populaire…. Ça peut paraître bizarre mais c’est ainsi !

Le problème c’est que, formellement, ce raisonnement est juste. L’autre problème c’est que, ce n’est pas parce qu’il est juste qu’il explique comment doit se résoudre la contradiction. Côté pouvoir, c’est-à-dire garant de l’application de la loi, c’est la rigueur de la sanction au regard du contrevenant. Côté contestation c’est l’établissement d’un rapport de force pour faire accepter par le pouvoir la transgression de la loi, soit l’obliger à la changer.

Sur des questions non essentielles, c’est à dire ne remettant pas en question les fondements du système, un rapport de force peut faire céder le pouvoir quant à l’application de la loi. Par contre sur des questions essentielles, comme l’expression juridique des fondements du système (aujourd’hui : propriété privé des moyens de production, salariat,…) il est évident que le pouvoir ne peut pas céder et utilisera tous les moyens (légaux et illégaux) pour résister à la contestation. D’ailleurs, l’Etat (même dans une forme dite démocratique) n’hésite pas à violer sa propre légalité lorsque les intérêts, matériels, ou idéologiques du système, dont il est le garant, sont en jeux… il a pour cela différents prétextes : raison d’Etat, secret défense, secret des archives,… ou aucune explication (enterrement de l’affaire).

La loi n’est donc ni une norme arbitraire, ni un absolu au service d’une cause moralement juste… elle est une production sociale et correspond à des intérêts économiques et politiques. A ce titre elle doit être considérée comme un moment de l’histoire de la société ce qui relativise sa signification et sa portée. Elle est à la fois dérisoire, au regard de l’Histoire, mais aussi déterminante pour le système qu’elle codifie et dont elle assure la stabilité. La loi a tendance à figer le rapport social alors que celui-ci est essentiellement dynamique… au point de constituer l’Histoire. Changer c’est relativiser la loi. C’est cette opposition entre le conservatisme juridique et la dynamique sociale que nous examinerons dans le prochain article.

Patrick MIGNARD

Messages

  • L’expérience (*) de la critique du droit ouvre certainement le champ d’une nouvelle manière de traiter du droit. Dans cette recherche critique du droit il ne faudrait pas réaliser une nouvelle connaissance juridique qui deviennent, à la place de l’ancienne, le nouveau dogme, la nouvelle orthodoxie. Les armes de la critique ne doivent pas faire oublier la critique des armes ( Marx).

    (*) L’expérience c’est la somme des erreurs rectifier (Bachelard)

    Scooter Plouc écolo

    PS : pour info.sur le site des verts de Roubaix :

    http://www.vertsderoubaix.org/breve.php3?id_breve=945

    « Critique sociale du capitalisme »

    du 18-03-2004 au 02-04-2004, l’Association pour une critique sociale du capitalisme organise un festival de films et débats.
    « MOULINEX, LA MECANIQUE DU PIRE »
    Jeudi 18 mars. 19 h 30. salle alain colas, lille, metro marbrerie

     Présentation du film : Film de Gilles Balbastre, 2003, Point du jour , France 5, 52’.

    · En une vingtaine d’année, L’entreprise Moulinex est passée du statut de fleuron de l’industrie française de l’électroménagerŠ au dépôt de bilan. Le film retrace l’incroyable enchaînement des revers infligés à cette industrie des 30 glorieuses lorsque les lois du capital se sont mises à fonctionner contre le travail et l’industrie.
    Débat

    · Les lois de la concurrence sont censées fonctionner à l’avantage de tous. Mais le salarié n’est-il pas celui qui fait toujours les frais, en bout de chaîne, des soubresauts de la concurrence ? L’insécurité des travailleurs est-elle le prix à payer pour le « ravissement » du consommateur ? A-t-on besoin de la concurrence comme on a « besoin de yaourts » ?
    Avec Thierry Le Paon, représentant syndical CGT à Moulinex, et Frédéric Lordon, économiste.
    « MISERE AU BORINAGE » ET « LES ENFANTS DU BORINAGE »
    vendredi 19 mars. 19 h 30. salle alain colas, lille

     Les films :
    « Misère au Borinage », de Henri Storck et Joris Ivens, 1933, noir et blanc, muet, 29’. Prod : EPI-Club de l’Ecran.
    « Les enfants du Borinage » de Patric JEAN, 1999, 54’. Prod : CVB, RTBF-Liège, WIP.
    En 1933, Henri Storck et Joris Ivens filment la misère dans le Borinage (Belgique) et dénoncent les conditions de vie des mineurs . 65 ans plus tard, Patric Jean la revisite. Là où il pensait la misère disparue, il la retrouve plus présente que jamais. Mais elle a changé de visage : de zone surexploitée, le Borinage est devenu zone sinistrée.

     Le débat :
    On culpabilise toujours plus les chômeurs, stigmatisés comme seuls responsables de leur situation. Cela permet ensuite de justifier la réduction de la durée de leurs indemnités, voire de les supprimer. La politique antisociale actuelle va-t-elle nous conduire vers le retour d’une misère de masse et du travail forcé (RMA) ?
    Avec Didier Demazière, économiste, et François Desanti syndicaliste CGT chômage.

    « LE SANG DES AUTRES » ET « OUVRIER, C’EST PAS LA CLASSE »
    Samedi 20 mars. 15 H. salle alain colas, Lille

     Présentation des films :
    « le sang des autres » de Bruno Muel, 1974, ISKRA et « Ouvrier, c’est pas la classe », de Patrick Jan, 2002, INA, 52’.
    Les deux films ont été tournés avec trente ans d’écart dans les usines Peugeot de Sochaux Montbéliard. Ils livrent, sur des tons différents, des témoignages sur les conditions du travail à la chaîne et ses souffrances au début des années 1970 et 2000.

     Débat :
    La pensée dominante voudrait imposer l’idée de la disparition inéluctable du travail ouvrier (tout du moins selon le mode d’organisation à la chaîne) et par la même des souffrances qui lui sont liées. Pourtant les transformations de la gestion du travail ouvrier créent des nouvelles formes d’exploitation et de souffrance. Comment lutter ?

    · Avec Gérard Noiriel, historien, et Eric Pecqueur, secrétaire syndical CGT à Toyota Valenciennes

     « LA RAISON DU PLUS FORT »
    Samedi 20 mars. 20 h 00. salle alain colas, Lille

     Le film :
    Film de Patric Jean, Arte France, 85’.
    Patric JEAN montre comment la violence et « l’insécurité » sont avant tout économique et sociale, en lien avec la relégation spatiale et sociale de certains quartiers et certaines population. La criminalisation actuelle de la misère rappelle à ceux qui l’auraient oublié les logiques de classe qui traversent nos sociétés.
    ·
     Le débat :

    Face à la montée des préoccupations « sécuritaires », tout se passe comme si la santé, l’éducation, le travail social, la justice, qu’on pouvait jusqu’alors considérer comme des structures de progrès, étaient devenues des structures de répression et de régression sociale.
    Avec Laurent Bonelli, sociologue, Christophe Caron, éducateur, et un représentant du syndicat de la magistrature.

    « PAS DE REPOS POUR GRANNY »
    Le 24 mars 2004 à 20h00. à Arras
    IUFM les templiers, Amphi Derisbourg 37 rue du temple

     Le film :
    Film de Carine Lefebvre et Veronique Le Billon, 2003, Point du jour France 52’
    Aux États-Unis, être vieux et travailler n’est plus une contradiction. Le système de retraite américain ne permet pas à la plupart des citoyens âgés de vivre sans travailler. Pour les industriels les vieux représentent une aubaine : " Ils sont ponctuels, ils ne prennent pas de pauses toutes les dix minutes, ils sont fiables et productifs. "

  • L’ESPRIT DES LOIS
    Montesquieu 1748

    « TRES HUMBLE REMONTRANCE AUX INQUISITEURS D’ESPAGNE ET DU PORTUGAL »

    Une juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier auto-da-fé, donna occasion à ce petit ouvrage ; et je crois que c’est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s’agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

    L’auteur déclare que quoiqu’il soit juif, il respecte la religion chrétienne, et qu’il l’aime assez pour ôter aux princes qui ne seront pas chrétiens un prétexte plausible pour la persécuter.

    « Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l’empereur du Japon fait brûler à petit feu tous les chrétiens qui sont dans ses États ; mais il vous répondra : "Nous vous traitons, vous qui ne croyez pas comme nous, comme vous traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas comme vous. Vous ne pouvez vous plaindre que de votre faiblesse, qui vous empêche de nous exterminer, et qui fait que nous vous exterminons".

    « Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons que ce que vous croyez, parce que nous ne croyons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez vous-mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu : nous pensons que Dieu l’aime encore. Et vous pensez qu’il ne l’aime plus ; et, parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de croire que Dieu aime encore ce qu’il a aimé.

    « Si vous êtes cruels à notre égard, vous l’êtes bien plus à l’égard de nos enfants : vous les faites brûler, parce qu’ils suivent les inspirations que leur ont données ceux que la loi naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à respecter comme des dieux.

    « Vous vous privez de l’avantage que vous a donné sur les mahométans la manière dont leur religion s’est établie. Quand ils se vantent du nombre de leurs fidèles, vous leur dites que la force les leur a acquis, et qu’ils ont étendu leur religion par le fer : pourquoi donc établissez-vous la vôtre par le feu ?

    « Quand vous voulez nous faire venir à vous, nous vous objectons une source dont vous vous faites gloire de descendre. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle, mais qu’elle est divine, et vous le prouvez parce qu’elle s’est accrue par la persécution des païens et par le sang de vos martyrs. Mais aujourd’hui vous prenez le rôle des Dioclétiens, et vous nous faites prendre le vôtre.

    « Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous servons vous et nous, mais par le Christ que vous nous dites avoir pris la condition humaine pour vous proposer des exemples que vous puissiez suivre. Nous vous conjurons d’agir avec nous comme il agirait lui-même s’il était encore sur la terre. Vous voulez que nous soyons chrétiens, et vous ne voulez pas l’être.

    « Mais, si vous ne voulez pas être chrétiens, soyez au moins des hommes : traitez-nous comme vous feriez, si, n’ayant que ces faibles lueurs de justice que la nature nous donne, vous n’aviez point une religion pour vous conduire, et une révélation pour vous éclairer.

    « Si le ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la vérité, il vous a fait une grande grâce : mais est-ce aux enfants qui ont eu l’héritage de leur père de haïr ceux qui ne l’ont pas eu ?

    « Que si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la manière dont vous nous la proposez. Le caractère de la vérité, c’est son triomphe sur les coeurs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez la faire recevoir par des supplices.

    « Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre Christ est le fils de Dieu, nous espérons qu’il nous récompensera de n’avoir pas voulu profaner ses mystères ; et nous croyons que le Dieu que nous servons vous et nous ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu’il nous a autrefois donnée, parce que nous croyons qu’il nous l’a encore donnée.

    « Vous vivez dans un siècle où la lumière naturelle est plus vive qu’elle n’a jamais été, où la philosophie a éclairé les esprits, où la morale de votre Évangile a été plus connue, où les droits respectifs des hommes les uns sur les autres, l’empire qu’une conscience a sur une autre conscience, sont mieux établis. Si donc vous ne revenez pas de vos anciens préjugés, qui, si vous n’y prenez garde, sont vos passions, il faut avouer que vous êtes incorrigibles, incapables de toute lumière et de toute instruction ; et une nation est bien malheureuse, qui donne de l’autorité à des hommes tels que vous.

    « Voulez-vous que nous vous disions naïvement notre pensée ? Vous nous regardez plutôt comme vos ennemis que comme les ennemis de votre religion : car si vous aimiez votre religion, vous ne la laisseriez pas corrompre par une ignorance grossière.

    « Il faut que nous vous avertissions d’une chose : c’est que, si quelqu’un dans la postérité ose jamais dire que dans le siècle où nous vivons les peuples d’Europe étaient policés, on vous citera pour prouver qu’ils étaient barbares ; et l’idée que l’on aura de vous sera telle qu’elle flétrira votre siècle, et portera la haine sur tous vos contemporains ».